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Par Carenews INFO - Publié le 24 mai 2022 - 09:30 - Mise à jour le 3 juin 2022 - 16:34 - Ecrit par : Christina Diego
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Métavers : une innovation tech dont la planète se serait bien passée !

Le Métavers fait parler de lui. Innovation technologique pour les uns, futur d’internet ou pollution environnementale exacerbée pour certains experts ? La rédaction se penche sur ce phénomène du Web 3.0 pour mieux en comprendre les enjeux en termes d’impact numérique.

L'impact numérique du Métavers questionne. Crédit : iStock
L'impact numérique du Métavers questionne. Crédit : iStock

 

Le Métavers est la dernière tendance technologique dont tout le monde parle. Dans les médias (beaucoup), le sujet est le plus souvent abordé sous l’angle de l’innovation technologique, le Web 3.0, futur d’internet. En octobre 2021, Mark Zuckerberg (son avatar) annonçait le nouveau nom de son groupe « Méta », pour signer son projet du Métavers. Depuis, ces univers virtuels n'en finissent pas d'interpeller. 

 

Le Métavers, de quoi parle-t-on vraiment ? 

Le réseau Entourage avait fait le buzz avec Will, premier sans-abri du Métavers, pour attirer l'attention sur l'isolement dont souffrent les sans abris dans la vie réelle. 

Les géants du e-commerce ont déjà leurs propres univers, des marques prestigieuses, leurs boutiques. Ces mégas-univers vous proposent, casque de réalité virtuelle vissé sur vos yeux, de jouer avec (les avatars de) vos amis, les rejoindre pour assister à un concert ou voir un film, participer à une réunion de travail avec vos collègues, tester une automobile ou visiter un appartement.

Super ? Pas sûr. Nous savons, grâce à l’ADEME, que la moitié des émissions de gaz à effet de serre générées par le numérique est liée aux datacenters stockant les données (25 %), et la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d’ici 2025. Le GIEC nous alerte depuis des années sur les causes (dont le numérique) du réchauffement climatique. La solution ? Faire preuve de sobriété dans différents domaines, le digital, les énergies, les transports, etc. 

Dans ce contexte, est-ce vraiment l’innovation technologique sur laquelle miser pour un futur durable ? Nous avons posé la question à Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr, collectif d’experts en sobriété numérique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet et prône un numérique éthique et régulé. 

 

Entretien avec Frederic Bordage de Green.IT 

 

Entretien avec Frederic Bordage de GreenIT. Crédit : libre de droits. 
Entretien avec Frederic Bordage de GreenIT. Crédit : libre de droits. 

 

  • Métavers, peut-on vraiment parler de phénomène tech ?

Pour nous, c’est uchronique, même pas anachronique, compte tenu des réserves de minerais disponibles à partir desquelles est fabriquée la haute technologie, dont le numérique. Les chiffres du GIEC nous alertent sur le fait que dans deux ans et demi nous aurons atteint le pic de nos émissions et qu’il faudra huit ans pour les diviser par deux. Tous les experts savent déjà qu’on aura atteint les +1,5 degré en 2026/2030, et non en 2100. 

À côté, les dernières études disent que pour réaliser le Métavers et l'avenir high-tech, il faudrait multiplier par trois le nombre de mines où sont extraites les matières premières en l’espace de 30 ans. Ces mines sont aujourd'hui considérées comme les principales sources de déchets industriels et de tensions sociales. 

S’il y avait un apport pour l’humanité ou l’avenir de nos enfants, il n’y aurait pas de débats. Mais les Métaverses sont des relais de croissance, une façon pour l'industrie du numérique de créer de nouveaux débouchés économiques en équipant la planète entière de casques de réalité virtuelle.   

 

  • Ces méga-univers virtuels sont présentés comme le futur d'internet. Y croyez-vous ?   

Je ne crois pas que cela existera. Ou alors, nous nous dirigeons vers un avenir très clivé où il y aura d’un côté les très riches qui vont y aller et casser la planète encore plus vite et augmenter les déséquilibres sociaux, ce qui ne semble pas très souhaitable. Je pense que c’est voué à l’échec, comme Second Life, il y a dix ou quinze ans. 

Autre raison, il y a actuellement deux propositions de loi à l’Assemblée nationale pour encadrer les usages numériques. Nous, nos enfants, sommes trop dépendants des écrans. La société civile est donc en train de créer des lois pour maîtriser l’emprise du numérique sur nos cerveaux. Et ce, partout dans le monde. 

Il existe, sans exagération, une sorte de manipulation de masse réalisée par les acteurs du numérique, en exploitant des mécanismes inconscients dans nos cerveaux comme le circuit de la récompense. Dans ces univers, on va se retrouver encore plus exposé à des darks pattern (interfaces addictives), comme l’ infinite scroll ou les pastilles avec un chiffre qui permettent de gratifier les utilisateurs. La raison ? Les Homo Sapiens qui vivent en 2022 ont été sélectionnés par l’évolution sur une caractéristique principale : la sociabilité. Celle-ci est activée par la pastille de couleur des interfaces qui donne la possibilité d’échanger avec ses pairs. 

 

  • À l’heure où tous les experts prônent la sobriété numérique, n’est-ce pas une aberration ?   

En effet, le numérique représente plus d’un tiers du forfait annuel soutenable d’un Européen, c’est-à-dire la quantité de gaz à effets de serre qu’une personne peut émettre pour rester sous un réchauffement global de 1,5 degré, ou la quantité d’eau qu’on peut prélever sans agir sur le cycle de l’eau, idem pour les ressources naturelles non renouvelables. 

Quand on regarde les émissions de gaz à effets de serre d'un Français, on est entre 8 et 12 tonnes équivalentes CO2 par an. Le GIEC nous dit que si on ne veut pas dépasser les 1,5 degré, on aurait le droit à 1,7 tonne, donc il faudrait diviser par 6 à 10 notre empreinte environnementale à moins de 30 ans. C’est colossal. 

Le numérique ne devrait même pas représenter 4 %. C’est un détail dans nos vies humaines. Il faut aussi se nourrir, se déplacer, se loger, se soigner, etc. Et pour aller dans le Métavers, il faut un casque de réalité virtuelle, soit 50 kilos équivalents CO2 pour sa fabrication, et 200 kilos de matières premières. En eau, cela correspond à 80 mètres cubes (80 000 litres d’eau)... Multiplier par des millions ou milliards d’utilisateurs, cela fait beaucoup.

 

  • Doit-on réguler ce genre d’innovation ? 

 

Il faut réguler. Pour la première fois, le 15 novembre 2021, la France a légiféré sur le sujet avec la loi sur la régulation du numérique en responsabilisant les acteurs et en encadrant les usages. J’espère que les pays vont légiférer plus vite et fort sur les usages du numérique, car aujourd’hui, sans faire de politique, nous sommes dans une vision très libérale du sujet, où chacun peut faire ce qu’il veut des ressources du numérique. 

Il reste 30 ans de numérique devant nous, au rythme où on le consomme. Après, nous aurons épuisé les ressources qui permettent de le produire. Nous sommes toutes et tous devenu.e.s dépendant.e.s d’une ressource qui sera épuisée dans un futur proche. Le Métavers contribue à accélérer cette limite.

Est-ce qu’on a envie d’un numérique qui soit un Métavers ou qui permette de préserver le climat, se soigner, etc. ? On devrait le considérer comme un bien commun. Nous sommes arrivés à l’heure du choix civilisationnel sur ce qu’on veut faire du numérique. 

 

  • Pourquoi y aller alors ? 

Je pense que nous sommes face à un biais cognitif. Tant que nous n’aurons pas ressenti, en nous, ce mur sur lequel on est en train de s'écraser, on ne réagira pas. Dans les pays développés, comme la France, on a des amortisseurs (le prix, la dette, l’exploitation d’autres peuples, etc.) qui nous permettent de moins sentir ce qui va se passer en comparaison aux pays du Sud. Eux vivent déjà les conséquences, comme les pays d’Océanie qui sont menacés de disparaître. Ils ressentent vraiment les limites planétaires que nous sommes en train d’atteindre.

 

Christina Diego 

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