[TRIBUNE] Covid 19 : quel rôle pour les fondations quand la justice sociale se meut d’impératif éthique à question vitale ?
Alors que la pandémie de Covid-19 amplifie les inégalités , elle montre aussi le rôle fondamental des fondations : aider et accompagner les porteurs de projets. Laurence Lamy, déléguée générale de la Fondation groupe EDF, le rappelle dans cette tribune : les associations, présentes en première ligne aujourd'hui, seront encore plus nécessaires après la crise. Le mécénat doit leur apporter un soutien sans réserve.

« Selon que vous serez puissant ou misérable »
Le virus ne fait pas le tri entre les humains, certes, mais certains groupes sociaux sont plus vulnérables que d’autres. Surreprésentation parmi les victimes des afro-américains aux États-Unis, de la Seine Saint-Denis département le plus pauvre de France : les chiffres sont implacables qui montrent que nous ne sommes égaux ni face au virus, ni au face au confinement. Les deux phénomènes révèlent et exacerbent les inégalités d’âge, sociales, sanitaires, d’éducation, de genre.
En éclairant ces inégalités qu’elle accélère, la crise nous rappelle plus que jamais à la mission première de nos fondations : encourager les initiatives de la société civile qui œuvrent à créer une société plus inclusive
L’humilité du colibri pour agir face à l’urgence
L’ADN de solidarité du groupe EDF a guidé logiquement sa fondation à soutenir dans l’urgence les plus démunis, victimes dans le contexte d’une « double peine » : promiscuité induite par le mal-logement, rupture des dispositifs d’aide alimentaire, surpopulation en centres d’hébergement, déscolarisation, déficit de ressources, la mendicité et les petits boulots faisant mauvais ménage avec le télétravail.
À protéger aussi de nouvelles vulnérabilités amplifiées par la crise : femmes victimes de violences conjugales, jeunes en situation de handicap ou pris en charge par l’aide sociale à l’enfance victimes d’un double enfermement, enfants et adolescents scolarisés privés d’accès à internet et démunis du capital culturel familial susceptible de les accompagner.
Dans le temps de l’urgence une attitude s’impose pour le mécène privé : bousculer ses dispositifs traditionnels de décision pour donner tôt aux acteurs de terrain qui se mobilisent les moyens de la lutte. Suppléer le régalien quand il s’agit de soutenir les hôpitaux. L’heure n’est pas à tergiverser sur le rôle de chacun.Avec l’humilité du colibri : s’il y a une vertu du côté du financeur ce ne peut être que celle d’encourager en les finançant et en les mettant en réseau les acteurs de terrain, associations, collectifs de quartiers, couturières solidaires, « bricoleurs du dimanche » qui se sont spontanément mobilisés sur tous les territoires pour restaurer l’accès aux biens essentiels pour les plus démunis et la fabrication d’équipements de protection pour les personnels soignants : colis repas, kits d’hygiène, création des conditions de réouverture des dispositifs traditionnels de soutien (maraudes, accueil de nuit), livraison d’ordinateurs et tablettes, fabrication de masques et de visières 3D.
Quelle philanthropie pour le « monde d’après » ?
Après le temps de l’urgence viendra celui de la solidarité car c’est sur tous les fronts des inégalités que nous devrons agir : éducation, économie, logement, secours alimentaire. « Tous seront frappés » : travailleurs, citoyens, entreprises, associations. Beaucoup de celles qui œuvrent dans le champ social seront fragilisées : elles manqueront des ressources qui se seront focalisées sur la recherche, dont l’accès aura été différé par les programmes bousculés des mécènes, et la fonte des donations des particuliers au diapason des circuits postaux.
Or ces associations joueront un rôle clé pour modérer les dégâts humains et sociaux du Covid-19. Des gens qui n’avaient jamais fréquenté un dispositif d’aide sociale risquent de basculer et les solliciteront. Une perspective qui fait écho au rapport alarmant d’Oxfam : entre 6 et 8 % de la population mondiale pourrait glisser dans la pauvreté à l’issue de la crise. On aura plus que jamais besoin du rôle d’amortisseur que joue le tissu associatif.
Le rôle des mécènes et des philanthropes dans cet effort de reconstruction sera complémentaire de la puissance publique qui n’aura pas les moyens seule d’agir.
- Nous aurons à réinterroger nos principes de financement, en soutenant peut-être de manière plus structurelle les associations fragilisées.
- L’actualisation par la crise des dynamiques inégalitaires interpelle déjà l’écosystème philanthropique sur les manières d’agir. Nous aurons à trouver collectivement des façons novatrices de s’attaquer aux inégalités sociales. Avant la crise, c’était un impératif éthique. On a compris que cela pouvait devenir une question de vie et de mort.
- Nous aurons à consolider les élans de générosité et de solidarité spontanés qu’a fait émerger la crise : renouvellement des viviers de bénévoles, groupes d’entraide à l’échelle des quartiers, socio-financement, reconversion des capacités de production des entreprises d’insertion. Nous pourrons encourager ces nouvelles formes d’organisation sociale, plus horizontales et démocratiques, former des coalitions, créer des liens entre associations et citoyens.
- Nous aurons une pierre à apporter au développement d'une économie locale et durable dans les territoires. La crise nous aura montré la grande fragilité de l’interdépendance généralisée des économies. Sur ce point, les fondations pourront agir grâce à des stratégies d’investissement d’impact qui soutiennent les initiatives locales qui offrent des biens et services essentiels aux communautés.
Mais entraînés par l’urgence sociale, nous ne devrons pas oublier le long terme. Et nous rappeler l’origine écologique de la crise : les atteintes à la biodiversité qui ont rapproché l’homme d’agents pathogènes qu’il n’aurait jamais dû côtoyer. Il sera nécessaire de marcher sur deux pieds : justice sociale et préservation de la planète. La crise que nous vivons nous appelle plus que jamais à réconcilier ces deux enjeux : ce sont toujours les plus démunis qui sont les plus exposés, il en sera des conséquences du changement climatique comme de la pandémie actuelle.
Avec les deux combats de son nouveau mandat « changeons pour les générations futures » et « agissons pour des territoires solidaires », La Fondation du groupe EDF est prête, avec ses relais territoriaux qui ont apporté un précieux soutien dans leur capacité à identifier les initiatives de terrain, à se projeter dans ce nouveau monde, celui dans lequel, au-delà de l’urgence, nous voulons positivement vivre.
Laurence Lamy, déléguée générale de la Fondation groupe EDF
Tribune initialement publiée sur LinkedIn.
À la suite du conseil d’administration extraordinaire qui s’est tenu le mardi 31 mars 2020, sous la présidence de Jean-Bernard Lévy, président directeur général du groupe EDF et président de la Fondation groupe EDF, le conseil a voté la création d’un fonds d’urgence et de solidarité d’un montant de 2 millions d’euros pour faire face à la crise sanitaire et sociale du Covid-19. Ce fonds agira en France et à l’international en consacrant un million d’euros pour l’aide d’urgence au personnel soignant et aux plus démunis, ainsi qu’un million d’euros en faveur des plus démunis à l’issue de la crise sanitaire.
Pour connaître les premiers projets soutenus : https://www.carenews.com/fr/news/fondation-groupe-edf-creation-d-un-fonds-d-urgence-et-de-solidarite-covid-19