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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 23 novembre 2020 - 14:23 - Mise à jour le 23 novembre 2020 - 17:57
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[Interview] Nils Pedersen, président de la Fonda, laboratoire d'idées du monde associatif

Prospective : le blog « chroniques philanthropiques » présente La FONDA  un think tank qui, depuis, 40 ans travaille sur la plus-value associative. Il est important qu’existent des réflexions, des analyses et de la prospective qui affirment le sens de l’action et la relation étroite avec la population. 

[Interview] Francis Charhon s'entretient avec Nils Pedersen, président de la Fonda, pour le blog Chroniques philanthropiques
[Interview] Francis Charhon s'entretient avec Nils Pedersen, président de la Fonda, pour le blog Chroniques philanthropiques
  • Nils Pedersen, vous présidez aujourd’hui la Fonda. La Fonda qui est un « laboratoire d’idées au service de acteurs associatifs et de leurs partenaires ». C’est une très ancienne organisation, mais il y a eu une très grande transformation et un rajeunissement depuis votre arrivée.

La Fonda a été créée en 1981 pour penser le « fait associatif ». C’est une association de personnes physiques, ce qui veut dire que nous sommes indépendants dans le choix de nos travaux et que nous avons une grande liberté pour travailler avec un large réseau d’acteurs associatifs, de fondations et d’autres partenaires sur la question de l’intérêt général. Elle est aujourd’hui reconnue d’utilité publique. Nous portons une conviction très forte : sans vitalité associative, il n’y a pas de vitalité démocratique. On l’a oublié, mais dans les années 1975-1980, il y avait des débats extrêmement forts dans le secteur associatif entre association sur ce qu’on appelle aujourd’hui « la raison d’être ».

  • C’était plus idéologique à l’époque… 

On peut résumer de manière assez schématique entre ceux qui considéraient que les associations devaient être subventionnées à 100 % par l’État et les autres qui considéraient qu’elles devaient plutôt avoir une indépendance vis-à-vis de ce dernier. Cela a entrainé des débats musclés. L’association « Développement des associations de progrès », qui est à l’origine de la Fonda, a été créé par François Bloch-Lainé pour réfléchir le fait associatif en lui-même. Quelle est la place des associations dans notre société ? Parmi nos réalisations, il y a eu la rédaction de l’amendement Coluche, le lancement de la CPCA (devenue Le Mouvement associatif), la mise sur les fonts baptismaux d’un certain nombre de structures du secteur. Pendant 20 ans, jusqu’aux années 2000, la Fonda a structuré la vie associative française. Elle s’est ensuite tournée sur d’autres thématiques. Elle a beaucoup travaillé sur les questions de cohésion sociale : comment fait-on lien au travers des associations, comment reconnaît-on la contribution essentielle des acteurs associatifs à la création de valeur économique et sociale, comment fait-on valoir le faire-ensemble ou encore la vitalité démocratique ? Aujourd’hui, elle se penche également sur le la transition écologique comme un impératif de société.

L’association : histoire d’une longue marche  

  • La question du fait associatif est en tous cas complétée par le fait philanthropique car il y a des acteurs externes aux associations : pourriez-vous donner un sentiment sur ces questions, dans un monde qui est aujourd’hui en total bouleversement ?

Je suis assez inquiet car on oublie trop souvent l’essence même d’une association : ce qu’elle est, d’où elle vient, son histoire. Il est important de rappeler que « l’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun de façon permanente des connaissances, ou leur activité, dans un but autre que de partager des bénéfices ». Cela nous paraît aujourd’hui évident, mais cette « Loi 1901 », c’est plus d’un siècle de débats pour arriver à la création des associations telles que nous les connaissons aujourd’hui. Notre pays affiche une histoire de 120 ans de vie associative dont une bonne part est structurée. C’est la résultante de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui reconnaît le droit aux citoyens de s’assembler entre eux paisiblement et de former des sociétés libres, charge à eux d’observer les lois qui régissent tous les citoyens. On oublie cette histoire de France où le XIXe siècle est marqué par une volonté continue d’émancipation. Notre imaginaire collectif s’est construit sur l’idée d’un État extrêmement central, pyramidal et qui serait en relation directe avec ses citoyens, en oubliant complètement que ce pays s’est construit avec ce que l’on appelle les « corps intermédiaires » que sont à la fois les syndicats, les partis politiques et les associations.

  • C’est quand même une résultante de la Révolution française… Il n’y avait pas de constituants entre l’État et le citoyen : cela signifiait que l’État prenait tout en charge.

C’est une construction politique issue de la Révolution, mais elle n’est pas évidente puisqu’entre la Déclaration de 1789 et la loi Le Chapelier, il y a deux ans à peine. Cette loi met fin à la fois aux confréries, au compagnonnage - et accessoirement aux associations qui ont fait la Révolution - et réaffirme un lien extrêmement direct entre l’État et les citoyens. À l’époque André Chénier écrivait : « imprudent et malheureux l’État où il se fait différentes associations, heureux le pays où il n’y a d’autre association que l’État, d'autre corps que la patrie, d'autre intérêt que le bien commun ». On est resté tributaire de cette vision de 1791 qui a d’ailleurs été reprise par Napoléon Ier, puis par Napoléon III satisfait de museler ces associations qui, à l’époque, étaient principalement des associations ouvrières ou des associations contestataires. Le pouvoir politique français a toujours eu peur des acteurs associatifs qu’il a assimilé à des « empêcheurs de tourner en rond », à une conscience de classe qui n’iraient pas dans le sens du pouvoir…

  • À l’époque, il est apparu nécessaire de recréer progressivement des associations par métiers… 

Napoléon Ier autorise les associations de moins de 20 personnes. La Révolution de 1848 ouvre une courte parenthèse avec une liberté absolue d’association qui est proclamée jusqu’en 1852, avant que Napoléon III n’y mette fin. S’est dessinée au cours de ce siècle tout ce que l’on appelle « l’économie sociale » : les associations, les mutuelles ouvrières qui se constituent parce qu’il fallait bien organiser la vie collective. Il faut attendre la IIIe République pour que l’émancipation des individus soit réaffirmée. Cela s’incarne par plusieurs lois : la liberté de la presse, la liberté des réunions publiques sans autorisation préalable, ce qui est un changement de fond. La légalisation des syndicats, l’école publique obligatoire et laïque, et bien sûr la loi de 1901. Cette loi, elle est capitale ! Elle rappelle les principes fondamentaux de 1789 : la primauté de l’individu, de ses droits et de sa liberté, la liberté d’adhésion, l’égalité des membres et l’administration libre de l’association. Bien souvent, on pense que c’est la démocratie qui a donné lieu à l’association, mais c’est l’inverse : c’est l’association qui fonde la démocratie. D’ailleurs notre constitution commence dans son préambule par « Le peuple français ». Ce sont bien les citoyens qui proclament solennellement la constitution, leur attachement aux droits de l’homme, etc.

N’oublions pas que notre contrat social est d’abord un contrat lié à l’association. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que les citoyens se reconnaissent collectivement comme des individus libres et égaux, avec une volonté de vivre ensemble et de construire en commun. C’est cela notre contrat social de base. À partir du moment où l’on réfute ce contrat et l’on cherche à construire une relation complétement verticale entre un Chef de l’État, son gouvernement et ses citoyens, on nie l’essence même de notre contrat social et l’on s’enferme dans une société pyramidale qui ne répond pas à nos enjeux contemporains. 

Je suis donc inquiet parce qu’aujourd’hui on ne veut pas reconnaître ce que sont les associations en tant que telles. L’association c’est d’abord la première constituante de la vitalité démocratique de notre pays. Pourquoi dis-je cela ? C’est parce que l’association est un élément de la liberté. On peut ou pas adhérer à une association. N’importe qui peut accéder à des responsabilités associatives, donc c’est un lieu d’expression démocratique en soit.

« Il ne peut pas y avoir de démocratie sans associations »

  • Elles sont un ciment fort du lien social, malgré tout dans un moment où il se délite de façon importante. 

Exactement. Les 1,5 million d’associations présentes partout en France sont des vecteurs de lien social extraordinaires. Pour donner un exemple, dans des territoires abandonnés où il n’y a plus de services publics, où il n’y a plus rien, il reste les associations. Par exemples, des associations de retraités, de boulistes, ou d’autres, qui tissent des liens de convivialité, de proximité, d’échanges et de partage. On voit bien les conséquences du délitement du lien social sur la démocratie : cela crée non seulement de la distance entre les populations et paradoxalement des bulles où les gens ne débattent plus et n’échangent plus comme c’est le cas dans les associations et s’enferment dans leurs propres certitudes. 

  • Est-ce le projet actuel de la Fonda de remettre en avant et de montrer la valeur associative ?

Oui, c’est notre projet depuis toujours : faire reconnaître et valoriser le fait associatif pour ce qu’il est. Je le redis parce qu'il ne peut pas y avoir de démocratie sans associations. C’est illusoire. Nous prônons le pouvoir d’agir des citoyens. De quoi parle-t-on ? De donner les capacités à chacun d’agir pour lui-même. Non pas dans une logique individualiste car au-delà du pouvoir d’agir, ce que produit l’association, c’est une capacité à produire du résultat. Quand on s’engage dans une association, on produit des résultats concrets et tangibles, en plus de créer des liens. C’est pour cette raison qu’il y a une telle appétence et une telle envie d’engagement de la part des Français. C’est parce que c’est extrêmement concret et gratifiant. En France, il y a 22 millions de bénévoles dont 20 millions de bénévoles dans les associations. Ce qui fait que 43 % des Français sont engagés dans une action de bénévolat. 

Partout et dans tous les domaines

  • Vous pensez que leur force est la proximité ?

Même s’il y a de fortes disparités de tailles et de missions, elles mettent en œuvre des actions très concrètes et sont très proches de la vie des citoyens. Elles se créent en réaction à un problème parfois très local sur tel ou tel sujet et finalement cela donne une vraie vision à l’envers de ce qu’est la société française.

La réalité des 1,5 million d’associations, ce sont les 1,8 million d’emplois qu’elles créent, bien plus que le BTP ou l’agroalimentaire. Ce sont aussi 125 000 jeunes en service civique dont 80 % sont impliqués dans des associations. Elles gèrent la quasi-totalité des structures d’accueil d’urgence aux personnes en détresse. C’est un lit d’hôpital sur dix, ce sont les trois quarts de l’hébergement médico-social : crèches, maisons de retraite, foyers de jeunes travailleurs… Un enfant sur trois est accueilli à l’école, au collège ou au lycée par une association. C’est la quasi-totalité de l’activité périscolaire. Donc on voit bien que les associations couvrent chacun des secteurs de notre vie quotidienne, mais également des loisirs ou de la défense de droits et d’intérêts, dont les droits de l’homme ou la défense de l’environnement. À l’international, l’activité des ONG françaises est extrêmement forte. Ce qu’il faut souligner, c’est la confiance qu’ont les Français dans leurs associations. 

  • On a des exemples à travers la période du COVID où les associations ont beaucoup été en première ligne. On a parlé des premières lignes sanitaires ; mais on n’a pas parlé des premières lignes associatives qui se sont mobilisées pour nourrir, ou gérer les personnes âgées et vos collègues de France Générosités montrent que la collecte à cette période-là a augmenté. Cela veut-il dire que les Français ont fait confiance à des gens pour traiter immédiatement les questions qui se posaient ?

Exactement, ils font confiance car les acteurs associatifs étaient présents. Mais je m’inquiète quand je vois certaines dérives comme des amendes qui ont été appliquées à des structures associatives parce qu’elles organisaient des maraudes, parce qu’elles distribuaient des repas ou parce qu’elles venaient en aide aux plus précaires dont personne ne s’occupait. Cela m’inquiète parce que l’association n’est pas dans une revendication permanente. Les bénévoles agissent parce qu’ils ont des convictions sur la nécessité d’agir, encore plus quand il n’y a aucune réponse de la puissance publique. 

Acteur essentiel mais trop faible du lien social

  • Pensez-vous à travers votre expérience et vos travaux que le secteur de la philanthropie, dont le secteur associatif, est véritablement un secteur à part entière, comme l’est l’agriculture par exemple et qu’il doit être pris en compte comme un élément essentiel du lien social alors qu’aujourd’hui ce délitement du lien social laisse la place à des discours extrêmes, du complotisme, de la violence ?

Les acteurs de la cohésion sociale s’en rendent compte très vite. Dans les préfectures, les directions de la cohésion sociale connaissent le rôle incontournables des associations. Citons par exemple les associations sportives qui sont indispensables dans les territoires tout comme les associations d’éducation populaire. La valeur créée par les associations ne rentre pas budgétairement dans des cases de retour sur investissement car la création de lien social est immatérielle et pourtant essentielle.

Sur le plan financier, c’est aussi un acteur économique à part entière qui représente 3,3 % du PIB, plus que l’automobile et le secteur pharmaceutique. Le budget des associations, c’est 113 milliards d’euros par an et les emplois associatifs représentent plus de 10 % de l’emploi. Le poids économique des acteurs associatifs est massif. Pourtant, le pouvoir politique a du mal à appréhender la réalité économique même des associations. Il faut à ce titre saluer le rôle du Mouvement Associatif qui pendant le confinement, s’est battu auprès des pouvoir publics pour accompagner les acteurs associatifs, car les dispositifs d’aide étaient initialement mal calibrés pour eux. Ils sont l’impensé d’une politique économique de ce pays.

Concernant les fondations, c’est aussi un secteur à part entière. Mais je crois qu’il souffre d’une certaine faiblesse puisque si l’on regarde leurs dépenses annuelles, on les évalue entre 10 et 12 milliards d’euros. Ce qui est beaucoup, mais au regard des 113 milliards d’euros du secteur associatif, forcément ce secteur apparaît plus en retrait. Il est plutôt un lieu d’innovation ou d’expérimentation et non pas de réparation ou de substitution à l’État providence. Même au niveau européen, le secteur philanthropique français ne pèse finalement pas très lourd.

Il faut néanmoins se réjouir des dons collectés par les associations et les fondations. En 2017, ils représentaient environ 7,5 milliards d’euros, entre les dons déclarés, non-déclarés et également les dons aux partis politiques. À ce titre, c’est intéressant de constater que les Français donnent aux associations environ 2,6 milliards par la seule réduction de l’impôt sur le revenu et pour les partis politiques c’est 90 millions. Néanmoins si on regarde le budget dans le détail des associations, la part des dons et du mécénat représente 5 %. Ce chiffre est stable depuis 2005. Les cotisations sont bien à part et représentent un peu plus de 10 % du budget. On voit donc bien qu’il y a encore une marge pour la philanthropie en France, en particulier comme soutien aux acteurs associatifs. J’en veux pour preuve le dernier Panorama des fondations et fonds de dotation créés par des entreprises mécènes : la part du don qui est versée aux porteurs de projets diminue. En 2016, il était fait état de 30 400 euros de don moyen aux structure, en 2018 on était à 19 400 euros et on monte légèrement en 2020 à 23 000 euros. Ce qui reste quand même assez faible au regard des moyens et des besoins.

Faire ensemble en 2030

  • Alors, en regardant ce que fait la Fonda, une chose me frappe : vous avez un projet intitulé « Faire ensemble 2030 ». Est-on dans une situation où nous pouvons attendre 2030 ? Quelle est la dynamique de ce projet qui est quand même pour vous un cheval de bataille ? 

Pour nous, c’est un programme structurant qui a aussi une histoire au sein de la Fonda. Avant 2030, il y avait 2020 ! En 2010, Pierre Vanlerenberghe alors Président de la Fonda, avait lancé le chantier « Faire ensemble ». C’était un chantier de prospective pour réfléchir collectivement à notre futur et ainsi outiller les acteurs associatifs pour se projeter dans le temps long. La prospective n’est pas de prédire l’avenir, on ne fait pas de futurologie. On cherche à élaborer des scénarios d’un futur souhaitable sur la base de connaissances actuelles. L’idée n’est pas d’accumuler les chiffres, mais d’être dans une approche d’intelligence collective. On analyse en profondeur un certain nombre de signaux et de tendances que l’on peut observer, avec une règle qui est toujours de placer l’homme - ou la femme évidemment - au centre de la réflexion. On peut bien sûr se tromper. La Fonda dans son scénario de prospective n’avait pas forcément vu venir la crise du COVID telle qu’elle est apparue. L’idée de dix ans est pour nous un avenir assez proche. Quand nous avons voulu lancer notre chantier « Faire ensemble 2030 », nous avons vu un alignement avec l’Agenda 2030, un dispositif d’action internationale et transversale qui repose sur 17 Objectifs de développement durable (ODD).

  • Pourquoi les ODD ?

Les ODD ont finalement des objectifs « assez simples » sur le principe : éradiquer la faim et la pauvreté tout en reconnaissant le développement humain et la préservation de notre planète. Nous nous reconnaissons totalement dans cette démarche.

Dans ce programme « Faire ensemble », il nous paraissait intéressant de travailler collectivement à l’échelle de dix ans pour dresser un nouvel horizon vers lequel nous tourner. Mais les associations connaissent encore mal les ODD alors qu’elles sont pourvoyeuses d’analyses et expertises tout à fait compatible avec l’Agenda 2030. Ce dernier nous concerne tous : les pays du Nord et du Sud, les États, les entreprises, et évidement la société civile. L’ODD numéro 17 qui prône des partenariats pour l’atteinte des ODD, était pour nous la clé de voute pour construire une stratégie d’impact collectif. Définir une stratégie est important parce qu’elle nous permet de définir très clairement comment on veut « Faire ensemble », avec des visions de gouvernance, des indicateurs, des évaluations des mesures d’impact. Elle permet aussi de mettre en place des communautés d’actions pour agir collectivement dans un but donné.

  • Sans être opérationnels vous proposez des pistes pour ceux qui veulent s’emparer de vos réflexions ?

Jusqu’à présent, nos travaux consistaient essentiellement dans des études et des analyses mais pas dans des mises en pratique. Nous avons souhaité expérimenter dans le cadre de nos programmes de travail sur le Faire Ensemble et la création de valeur. Nous avons ainsi lancé des communautés d’actions, c’est-à-dire groupe d’acteurs qui décident ensemble de mener une action déterminée avec un objectif et un but que l’on se désigne en commun - dans le domaine de la précarité énergétique, de la réussite éducative et d’une approche collective de la santé. Nous avons choisi ces thèmes sur la base d’une consultation avec les membres de notre communauté. Nous passons d’un « think tank » à un « think and do tank ». Dans le prolongement de nos travaux sur la création de valeur que nous avons mené avec l’AVISE et le Labo de l’ESS, nous menons actuellement deux dispositifs d’évaluation sur neuf terrains d'expérimentions en partenariat avec Territoires Zéro Chômeur et la Fédération des Centres Sociaux

Quels indicateurs de la plus-value associative ?

  • Comment entendez-vous la création de valeur ?

L’idée est de réinterroger la question de la chaîne de valeur et de sortir d’une logique purement d’indicateurs financiers. Les associations ont évidemment un impact économique, mais aussi un impact social. Elles créent du lien, elles créent une richesse qui est une richesse sociale différente de l’entreprise qui fabrique des produits ou les vend. Dans leur cas, la valeur est liée aux résultats basés sur les normes comptables mais elles ne prennent pas en compte les externalités négatives comme les coûts liés au stress au travail, la destruction des systèmes écologiques ou la paupérisation des salariés. Il nous appartient de modéliser une autre chaîne de valeur sociale. Nous militons pour de nouveaux indicateurs de performance économique qui permettent de reconnaître l’apport d’acteurs associatifs, au-delà de leur dimension économique, par leurs apports sur le terrain. On revient ainsi à la question du lien social, à la question démocratique, et à ce qui se crée. Prenons l’exemple d’un centre social : on peut réduire la valeur d’un centre social par le nombre de salariés qu’il emploie, par le montant des subventions publiques perçues, par le montant des tarifs journaliers ou encore le nombre de bénéficiaires. On peut aussi regarder l’impact que le centre social a sur son quartier. Que produisent-ils ? Des jeunes qui ont plus confiance en eux, des jeunes plus intégrés dans le tissu social et reconnus comme tel. On observe des cercles vertueux : les jeunes et les enfants sont plus épanouis, ils sont plus attentifs à l’école et les résultats scolaires s’améliorent. On peut aussi observer des changements dans l’espace public : ici des jardins partagés apparaissent incitant au lien intergénérationnel. Là, des activités culturelles nouvelles qui permettent à un nouveau public de se connaître. Ce sont là des éléments que l’on peut mesurer mais qui ne rentrent pas dans un bilan financier car leur impact est à long terme. La réussite scolaire se mesure sur deux, trois, quatre, cinq ans, ou plus.

  • La Fonda souhaite-t-elle regarder l’activité du monde associatif dans son activité économique et surtout sa plus-value sociale ?

Nous militons pour un changement de prisme envers le monde associatif. L’État s’est enfermé dans une logique de « new public management » qui réduit l’intervention publique à une simple intervention comptable. C’est d’ailleurs problématique pour les fonctionnaires eux-mêmes qui perdent le sens de leur mission de service public. Les associations sont aujourd’hui des acteurs à part entière de la définition des politiques publiques. Elles doivent être pleinement associées. Il faut arrêter de les considérer comme des centres de coûts et via le prisme des seules subventions. En 2017, ces dernières ne pèsent d’ailleurs que 24 % du budgets des associations.

  • Que dire de la relation entre l’État et les associations ?

Il faut nous interroger sur notre propre positionnement comme « être politique ». Tant que l’on ne définit pas une vision de la politique que nous voulons, on l’abandonnera à des professionnels des partis et on abandonnera le « terrain de l’imaginaire ». Si l’on ne porte pas d’utopie, si l’on ne bataille pas pour ses idées, alors l’on ne fait pas société. Si l’on ne connaît pas son histoire, on n’avance pas. Il faut que l’État reconnaisse le secteur associatif pour ce qu’il est réellement et accepte de travailler en partenariat avec lui, dans un contrat de reconnaissance réciproque. L’État ne se rend pas compte aujourd’hui que son meilleur allié sur les territoires, ce sont les associations. Elles peuvent recréer du liens entre acteurs publics et sont la clés de la confiance dans la démocratie. 

La gouvernance associative

  • Réfléchissez-vous sur la gouvernance associative qui aujourd’hui est interrogée pour des questions de professionnalisation, de connaissance, de choix stratégiques, de risque ?

Nous avons beaucoup écrit plutôt dans les années 2010 sur la question de la gouvernance. Par ailleurs, dans le cadre de l’étude sur le bénévolat menée par Lionel Prouteau, nous disposons de chiffres sur la gouvernance associative qui méritent réflexion. Si la répartition hommes/femme est assez homogènes parmi les adhérents, les responsables associatifs sont des hommes à 55 % et encore plus pour les présidents (65 %). Si 59 % des adhérents ont moins de 54 ans, 63 % des présidents ont plus de 55 ans. Les présidents d’associations sont des hommes, CSP+ ; le nombre de président ouvriers est inversement proportionnel à ceux représentés dans la sociologie française. Cela doit nous interroger.

Pour donner un autre exemple, les associations connaissent la règle des quatre P : Produit, Public, Privé, Publicité. Il y a deux autres P qui nous concernent qui sont le Pouvoir et le Partage. Certains acteurs associatifs sont dans une relation très verticale au pouvoir : ils ont du mal à partager et à anticiper leur suite, partant du principe qu’ils sont indispensables. La Fonda prône pour une horizontalité de la gouvernance, beaucoup plus inclusive. Si l’on veut une pérennité du secteur associatif, il faut inclure l’ensemble des composantes de la société française. 

  • Qu’est-ce que l’horizontalité de la gouvernance ?

Il faut inclure toutes les parties prenantes. Les jeunes doivent être pleinement associés et pas seulement dans une instance qui leur serait dédiée mais bien aux cœur des organes de décisions. Il faut aussi associer à la prise de décision les usagers et les partenaires. Par exemple, à la Fonda, les salariés sont pleinement partie prenante des réunions de Bureau. 

  • N’existe-t-il pas, en France, un problème sur la formation des gouvernances associatives ; parce que quelqu’un qui fait n’importe quel métier, du plus haut au plus bas, peut devenir président d’une association ? Cela ne lui donne pas automatiquement la capacité de savoir comment gérer ce type d’organisation. 

Je pense que c’est la beauté des associations d’être ouvertes à chacun. Pour autant, cela ne donne pas un brevet de compétences. On a donc un problème sur cette question. À partir du moment diriger une association repose sur un acte libre et volontaire, l’idée de la responsabilité peut amener à se former. À la Fonda nous proposons un outil de diagnostic en ligne pour tester ses propres modalités de gouvernance. 

La responsabilité du président d’association est quand même bien encadrée. Il y a une responsabilité pénale du président qu’il ne faut pas minorer, en particulier pour toutes les activités sportives, de plein air ou encore éducatives. Mais il y a quand même une jurisprudence qui est assez forte. À partir du moment où le président - ou la présidente - est en capacité de s’appuyer sur un collectif, la responsabilité est partagée. Si le président accepte une délibération collective permanente, soit au travers de son bureau, soit au travers de son conseil d’administration, cela l’aide à conforter la décision. Mais s’il considère que tout seul il a raison sur tout, association ou pas association, le problème restera le même.

Une réflexion en réseau

  • Quels sont les think tanks sur le monde associatif ?

La Fonda est le seul think tank entièrement dédié au monde associatif même si, évidemment, nous ne sommes pas les seuls à réfléchir aux problèmes des associations. Le Mouvement associatif, le Labo de l'ESS, France Bénévolat, les grandes fédérations ou développent des activités de réflexion et de retour d'expérience, souvent avec le concours de la Fonda. Je pense également à l’INJEP ou encore à Viviane Tchernonog ou Lionel Prouteau pour la recherche universitaire. Plus récemment, l'Institut français du monde associatif a commencé un travail d'animation des recherches universitaires. Ce qui est frappant, c'est que le fait associatif est massivement présent dans tous les aspects de la vie sociale, mais qu'elles ne sont jamais traitées comme tels par les politiques publiques. La connaissance du fait associatif mérite plus d'attention et plus de moyens ! J’en profite d’ailleurs pour remercier nos partenaires et mécènes. Inspirons-nous du modèle allemand dont les budgets de fonctionnement sont largement supérieurs à ce que l’on observe en France, avec une moyenne autour de 8,9 millions d’euros.

  • Et vous avez des relations internationales ?  

Nous en avons eu au niveau européen, puisque le « Social Economy Europe » est issu d’une structure qui a été en partie porté par la Fonda. Anne David, délégué générale a été très active de 2000 à 2010 sur les questions d’associations européennes et de reconnaissance du secteur. Actuellement, la Fonda s’est recentrée sur les questions de prospective et est donc moins mobilisée d’autant que le Mouvement associatif ou encore ESS France portent désormais ces sujets de plaidoyer. Cela ne veut pas dire pour autant que nous détournons notre attention des questions européennes. Nous avons d’ailleurs publié une interview du président du Parlement Européen dans la Tribune Fonda de septembre. Je suis par ailleurs vice-président en charge de la recherche et des affaires institutionnelles du Social Good Accelerator, un mouvement européen qui prône une accélération de la transition technologique des organisations d’intérêt général en Europe. J’ai reste convaincu qu’il est nécessaire pour les acteurs associatifs de peser dans le débat public. Pour cela, il faut se réunir, travailler ensemble, encore plus qu’aujourd’hui, pour inverser la tendance et pas seulement en France. 

Espoir et craintes

  • Après toutes ces choses, un espoir, des craintes ?

J’observe avec beaucoup d’espoir les jeunes s’engager pour des causes qui nous transcendent : la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des inégalités sociales… Ils se préoccupent de notre avenir à tous car ils ont bien conscience que nous sommes tous des acteurs du changement. Néanmoins, j’ai des craintes quant à l’organisation politique de notre pays qui a du mal à accepter que la démocratie se porter en dehors des partis politiques ou des institutions. Tant que les citoyens n’auront pas confiance dans leur personnel politique, la crise démocratique qui est la nôtre aujourd’hui va amener des choses assez moches dans les prochaines années. Il est donc urgent d’agir pour éviter que cette fracture ne s’accentue.

On doit s’appuyer sur le niveau local qui est l’échelle de confiance, avec les associations et avec les maires. Les Français ont confiance en eux parce qu’ils sont accessibles et parce qu’ils perçoivent concrètement la réalité des actions menées. La crise et la défiance démocratique sont la résultante de promesses qui sont faites lors des élections mais qui ne sont pas tenues. Les électeurs, et plus largement les Français, ne croient plus dans le personnel politique parce que ces promesses sont toujours les mêmes et qu’au final il n’y a peu, voire pas de résultat. Soyons à ce sujet honnête, on ne peut pas blâmer systématique les élus. L’action du politique sur le concret du quotidien peut prendre plusieurs mois ou années. Enfin, notre définition du progrès social a évolué. Alors qu’il nous portait vers l’avenir et qu’il nous émancipait, cette notion s’est vidée de son sens. Comment faire pour collectivement retrouver confiance ?

 

Propos recueillis par Francis Charhon

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