Céline Greco : la « Madame Santé » des enfants placés
Médecin, chercheuse et fondatrice de l'association Impactes, Céline Greco se bat depuis toujours pour améliorer les conditions de vie des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance. Rencontre et portrait.

À proximité d’un moniteur médical, des peluches font face à un mur agrémenté d’illustrations d’animaux et de dessins d’enfants. Le fauteuil d’examen est rose, comme le pantalon que porte Céline Greco ce jeudi 3 avril dans son bureau de l’hôpital Necker-enfants malades. La médecin et chercheuse y est cheffe de l’unité de la douleur et des soins palliatifs depuis 2020. « La perspective de devenir un jour médecin a été mon étoile du berger. Ce rêve m’a permis de tenir face aux maltraitances que j’ai vécues enfant », confie-t-elle dans le cliquetis de l’ouverture d’une cannette de soda.
Son combat pour que la santé des enfants placés ne passe plus à la trappe
« Marche ou crève » : c'est avec ces termes que la quadragénaire aux lunettes multicolores décrit son enfance. Dès l’âge de quatre ans, Céline Greco subit les sévices infligés par son père. L’« exigence » requise par ce dernier à l’occasion de leçons de piano se transforme en violences. Rapidement les humiliations, les coups et les privations de repas dominent le quotidien. Les enfermements dans la cave sont aussi monnaie courante.
« Parfois je n’étais pas autorisée à aller me coucher. Je devais jouer du piano jusqu’à 4 ou 5 heures du matin de manière ininterrompue », raconte-t-elle. « Passée une certaine heure, je faisais une pause de quelques minutes. S’il ne se manifestait pas, cela voulait dire qu’il était assoupi et que je pouvais enfin aller dormir », ajoute-t-elle.
Grande témoin des « failles du système »
À quatorze ans, Céline Greco pèse 31 kg. Alors qu’elle est en classe de seconde, son extrême maigreur alerte l’infirmière scolaire qui effectue un signalement auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE). La jeune fille, qui « semait des graines » pour alerter le personnel scolaire, est enfin entendue, et placée à l'ASE.
Ce placement tardif lui « sauvera la vie », mais elle constate un « criant manque de formation dans la détection des maltraitances ». Afin de pallier ces défaillances, une fois devenue médecin, elle crée en 2021 des équipes mobiles chargées de repérer les enfants victimes de violences intrafamiliales au sein des hôpitaux.
Financées par la Fondation des hôpitaux, ces équipes seront pérennisées sous forme d'unités d'accueil pédiatrique pour les enfants en danger (Uaped) et d'équipes pédiatriques régionales référentes pour les enfants en danger (Epred). « Là, j'ai réalisé que des mesures de mécénat pouvaient guider une politique publique ! », lance-t-elle, enthousiaste.
Un an plus tard, en 2022, elle crée l’association Impactes, destinée à améliorer les conditions de vie des enfants placés. L’organisme d’intérêt général propose un accompagnement scolaire et culturel aux jeunes relevant de l'ASE âgés de 0 à 25 ans, adapté selon leur âge.
Céline Greco est en charge de l'unité de la douleur et des soins de l'hôpital Necker-enfants malades. Crédit : Léanna Voegeli
L’association travaille également à la création de centres d'appui à l'enfance, des structures de soins médicaux et psychologiques de proximité visant à mieux prendre en charge la santé des jeunes. La chercheuse a en effet constaté de fortes défaillances dans ce domaines : en sortant de l’ASE à 18 ans, elle pesait toujours une trentaine de kilos. « Depuis une étude de 1998, nous savons qu’un enfant de l’ASE perd 20 ans d’espérance de vie en raison des traumatismes qu’il subit. Il faut enfin que la question soit prise à bras le corps ! », argue-t-elle en réajustant ses lunettes.
Elle souligne avoir vu les failles du système des deux côtés : en tant que principale concernée mais aussi dans l’exercice de son métier en aidant d’autres enfants victimes. C’est grâce à cette vision globale qu’elle a imaginé la création de ces centres d'un genre nouveau.
Depuis une étude de 1998, nous savons qu'un enfant de l'ASE perd 20 ans d'espérance de vie en raison des traumatismes qu'il subit. Il faut enfin que la question soit prise à bras le corps ! »
Une empathie naturelle
Vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance de 2016 à 2019, juriste et ancienne inspectrice à l'ASE, Michèle Creoff rencontre Céline Greco en 2017, quand cette dernière devient membre de l’instance. Elle évoque deux mots qui caractérisent celle qui est devenue son amie : détermination et ténacité.
Elle souligne aussi une empathie naturelle et une « extrême bienveillance ». « Lorsqu'on travaille avec Céline Greco, on devient forcément son ami. Céline est d’une fidélité et d’une solidarité très profondes », raconte-t-elle . « Elle ne lâche jamais et est extrêmement rigoureuse. Elle sait où elle va et s’attaque aux éventuels freins étape par étape », ajoute-t-elle.
Cette persévérance, permettra la pose symbolique de la première pierre du premier centre d'appui à l'enfance le 6 mai, sur le site d'une ancienne école dans le 12e arrondissement de Paris. Il devrait ouvrir ses portes en septembre.
L'ambition de Céline Greco est que ces centres se déploient dans chaque département français d'ici dix ans.
Léanna Voegeli