Tourisme solidaire, où en est-on ?
La Journée Mondiale pour le Tourisme Responsable et Solidaire célébrée le 2 juin est l'occasion de faire le point sur cette forme de voyage.
Le tourisme, aujourd’hui premier secteur économique mondial est à son apogée. Les chiffres font tourner la tête : 300 millions de touristes en 1980, 900 millions aujourd’hui, 1,6 milliards pour 2020 ! Le flamenco en Andalousie, les épices indiennes, la contre-culture à Berlin, l’exotisme à Malte… Tout est prétexte à aller découvrir l’ailleurs, l’autre, le temps d’un week-end ou de vacances estivales. Compagnies aériennes, hôtellerie, restauration, circuits clef en main, tout est pensé pour le rendre simple, agréable et bon marché. Si la plus-value du voyage est manifeste, les sociétés occidentales doivent également avoir à l’esprit les effets néfastes que peuvent engendrer leurs vacances.
Analyse et réflexion pour inverser la tendance.
A qui profite le tourisme de masse ?
Si l’industrie du tourisme est mondiale, ses effets pervers ont aussi une résonnance planétaire et ne peuvent laisser personne indifférent. Hyper concentration des infrastructures, en particulier sur les littoraux et dans les grands centres urbains, pollution, renchérissement du foncier, concurrence pour certains biens rares comme l’eau, précarité de l’emploi local, surexploitation de la main-d’œuvre, dégradation de la biodiversité, tourisme sexuel… la liste est longue.
Pourtant les enjeux sont majeurs. Alors que le tourisme est l’un des premiers moteurs de croissance des pays en développement, seule 3% de la population mondiale contribue à 80% des flux touristiques mondiaux.
Comment en faire un levier de développement inclusif et durable pour tous ? Aujourd’hui, une très faible partie de la manne engendrée par le tourisme revient aux pays du Sud et encore moins aux populations directement concernées. La majeure partie de la filière est aux mains de groupes privés occidentaux détenteurs des transports, des chaînes de restauration, et de l’exploitation des activités touristiques.Par exemple, 60% des recettes issues du tourisme en Thaïlande reviendrait actuellement à des exploitants du Nord (source : exposition Ritimo, Vacances, j’oublie tout !)
La nébuleuse du tourisme solidaire
Analyser de près les conséquences du tourisme de masse permet de réfléchir à des modèles alternatifs. Le sens que l’on donne à son voyage prend alors la forme d’un engagement citoyen et solidaire.
Voyager n’est pas neutre. Certains voyages peuvent contribuer à réduire les inégalités de développement. Il convient toutefois d’éclaircir la notion de tourisme solidaire et équitable pour comprendre ce qu’elle recèle.
C’est dans les années 1990 que des associations développent individuellement et sur leur propre lieu d’intervention, une nouvelle forme de tourisme orienté vers le développement économique local. Chacune établit ses propres principes et démarches et qualifie à sa manière le tourisme alternatif, qu’elle contribue à développer : écotourisme, tourisme solidaire, équitable ou éthique... A cette période, les fondements et principes du tourisme solidaire sont nébuleux. Ce n’est qu’a posteriori que ces associations tentent de se regrouper et de défendre un intérêt collectif, tout en revendiquant leurs spécificités mais qui. Mais toujours aujourd’hui, bien qu’il existe un cadre commun, il existe autant de conceptions du tourisme solidaire que d’expérimentations.
Tourisme durable, tourisme communautaire (prise en charge par les communautés), tourisme social (permettre au plus grand nombre de pouvoir voyager), agrotourisme, le tourisme équitable et solidaire (issu du tourisme équitable et solidaire qui vise à fixer un juste prix issu de la négociation entre les différents partenaires qui sont parties prenantes dans le voyage), ou encore tourisme solidaire (le prix du voyage permet de monter des projets de développement locaux)… sontdifférentes formules désormais proposés au public.
Historiquement, ce sont des ONG ou de petites associations engagées en faveur de l’aide au développement qui se transforment en « voyagiste », sans avoir véritablement l’expérience d’organisations et de logistique de voyages. En lien avec leur(s) partenaire(s), elles apprennent « sur le tas » en organisant dans les villages auxquels elles viennent en aide des séjours pour de petits groupes de touristes, invités à partager pendant quelques jours la vie des habitants, voire à mettre la main à la pâte pour les travaux des champs ou la construction d’un puits ou d’un bâtiment. La plupart du temps, les villages choisis se situent dans des régions peu ou pas touristiques, dont on souhaite assurer le développement par ce moyen.
Puis, apparaissent des organisations qui se professionnalisent comme l’association française Tourisme et Développement Solidaire (TDS), fondée en 1998, proposantune dizaine de destinations.
L’économie sociale et solidaire est au cœur de cette formetourisme. Cette activité vient en complément d’autres activités génératrices de revenus et bénéficie à un petit groupe habitant dans des lieux dont l’attractivité touristique n’est pas forcément reconnue. Autre point commun entre ces différentes terminologies. Trouver ce type de voyages dans une agence classique est quasiment impossible. Il faut s’adresser à des voyagistes spécialisés dans l'aventure ou le voyage à pied.
Quel est le concept ?
Des voyagistes (agences de voyages ou associations) proposent à la vente des vacances qui sortent de l’ordinaire. Il n’est pas question de courir après les curiosités touristiques du pays en moins d’une semaine. Non ! La filière propose de découvrir la culture locale autrement, de façon plus authentique, loin des circuits touristiques trop empruntés. Concrètement, il s’agit d’aller à la rencontre des populations et de vivre selon les us et coutumes du pays en dormant chez l’habitant par exemple. On vous propose le logis et le couvert « couleur locale », vous participez à leur vie quotidienne, à des activités sociales et culturelles, et bien souvent vous êtes impliqués dans des projets de développement local (scolarisation, formation, santé, artisanat, agriculture,…). Enfin une partie des bénéfices perçus à l’occasion d’un voyage solidaire (en moyenne 5%) permet de financer des actions de développement, tout en conscientisant le voyageur sur le contexte local, la culture traditionnelle et le respect environnemental. L’utilisation modérée des ressources est d’ailleurs bien souvent l’un des prérequis à la participation d’un voyage responsable et solidaire.
Pourquoi et comment voyager solidaire?
Le tourisme responsable et solidaire participe à l’essor d’un développement local durable de par la répartition du prix du voyage.
En moyenne une organisation agréée répartit le prix du voyage comme suit :
↘ 40% dans les prestations d’accueil, directement allouées à l’économie locale.
↘ 40% dans les transports aériens (billets d’avion)
↘ 15% de frais de fonctionnement pour la structure qui assure l’organisation
↘ 5% alloués à un fond dit de développement en vue de co-financer des programmes de coopération internationale.
Le secteur s’est structuré et formalisé notamment par la création d’un label Tourisme responsable en 2007. La création de labels et de procédures de contrôle se met lentement en place, à l’image de ce qui se passe pour le commerce équitable avec la procédure de certification Max Havelaar. Ceci ayant pour objectifd’assurer une plus grandetransparence du secteur et d’inciter l’ensemble des agences à mettre en œuvre de bonnes pratiques. Renseignez-vous auprès du voyagiste de la répartition du coût du voyage. L’association ou l’agence se doit d’être transparente sur ces informations.
A qui s’adresser pour partir ?
En France, plusieurs associations se sont lancées dans l'organisation de ce type de voyages, avec des ambitions et des systèmes différents. C'est par exemple le cas de l'Association du tourisme équitable et solidaire (ATES) ou d'Agir pour un tourisme responsable (ATR) qui regroupe une dizaine de voyagistes spécialisés dans le tourisme d'aventure et de marche à pied. Voyages Développement Solidarité, elle, se charge d'assurer la liaison avec des ONG qui œuvrent dans certains pays et assurent la prise en charge d'éventuels touristes.
L'Association française d'écotourisme (AFE), créée en 2005 afin de diffuser le concept d'écotourisme en France, se propose d'accompagner le développement de projets et la mise en place de stratégies de territoire liées au tourisme durable. Une preuve que cette activité ne se situe pas exclusivementdans le cadre des relations Nord-Sud.
Lier international et local est au cœur des préoccupations de voyagistes en France. Pour voyager, il n’est pas toujours nécessaire d’aller bien loin. C’est la réflexion menée par l’association Bastina, basée en région parisienne, qui propose à la fois de découvrir des destinations étrangères mais aussi de voyager à côté de chez soi. Le concept a le vent en poupe. Vous souhaitez revisiter le quartier Barbès accompagné par un migrant malien ? Partir à la rencontre de la diaspora d’Inde du sud à Paris ? Bastina propose des balades urbaines de quelques heures, en présence d’un guide d’origine étrangère, pour découvrir votre quartier avec un nouveau regard. Histoire d’immigration, déjeuner chez l’habitant, activités culturelles… un riche programme est concocté par des associations de migrants qui sont rétribuées.
En région Centre, une dizaine d’associations [1] sont engagées pour l’appui au développement d’un tourisme solidaire et équitable. Les projets prennent des formes varieés : organisation de séjours vers des destinations insolites (association La Saharienne), renforcement des capacités locales (Conseil régional Centre Val de Loire), soutien à l’émergence d’infrastructures (association APAC 37)… Et c’est en septembre 2007 qu’un premier pas a été franchi, à Tours, lors des Premières Rencontres sur le Tourisme responsable en région Centre, où plus de 150 acteurs de tous horizons ont pu échanger, débattre et s’informer mutuellement sur les bonnes pratiques, faire le point sur les stratégies, évaluer les outils existants, renforcer les réseaux et créer de nouvelles synergies. Depuis, ces organisations continuent à se mobiliser que ce soit en participant aux rencontres thématiques et géographiques de Centraider ou en intensifiant leur programme sur le terrain.
Comment s’assurer de l’impact du tourisme solidaire sur le terrain ?
Ce tourisme de niche à petite échelle n’influe pas nécessairement de façon massive le développement d’une communauté. S’il reste encore difficile de mesurer la plus-value de cette forme de tourisme (comparé au tourisme classique), les effets sur le court-terme de ces voyages sont positifs. A la fois, le voyage permet l’augmentation de revenus des partenaires impliqués, le maintien de l’agriculture familiale, une création d’emplois pour appuyer la logistique du voyage (guides locaux, cuisiniers,…), le renforcement des capacités (formations, apprentissages) ou encorela valorisation des modes de vie traditionnels locaux.
Reste à savoir si ces effets perdurent dans le temps et ne se limitent pas à la durée du voyage. D’où l’intérêt de soutenir des projets de développement par la suite. Si là encore, il est difficile de mesurer les résultats concrets de ces activités, le tourisme solidaire s’attache à défendre une approche du développement communautaire et soutient des micro-projets souvent inéligibles auprès des bailleurs de fond internationaux.
Mais il reste de nombreuses questions en suspens : comment est perçu ce tourisme par les populations locales ? N’est-ce pas vécu comme une intrusion dans la vie des autochtones ? Les échanges entre voyageurs et locaux sont-ils intègres ? S’il est difficile de répondre à ces problématiques, il est indéniable que le tourisme solidaire même s’il n’atteint pas l’ensemble de ces objectifs, cherche à s’en approcher et à réduire les nuisances qui peuvent être celles du tourisme de masse.
Le tourisme solidaire empreint de critiques
Nous l’aurons compris, le tourisme solidaire est principalement imaginé par les pays du Nord pour s’appliquer principalement aux pays du Sud. Ces pratiques sont encore très marginales sur le plan quantitatif et, s’inscrivent, tout comme le commerce équitable ou l’épargne solidaire, dans un ensemble de discours qui plaident pour un changement de paradigme. Le consommateur occidental, de plus en plus attachéà laportée de ses actes, souhaite devenir un « consom’acteur » jusque dans le tourisme, avec l’idée de participer, à son échelle, à une modification des termes de l’échange entre pays riches et pays pauvres. Mais qu’en est-il vraiment ?
Les acteurs les plus nombreux investis dans cette forme de tourisme proviennent à ce jour du monde associatif. Or, le secteur associatif par définition ne cherche ni profit ni rentabilité de son investissement. Problématique qui se pose alors que le tourisme est par essence un secteur marchand et lucratif. C’est également la raison pour laquelle aujourd’hui on compte de plus en plus d’agences de voyage qui s’engouffrent dans ce secteur d’activité. Conscients de l'impact positif que cela peut avoir pour leur image, les grands opérateurs n'ont pas voulu laisser le monopole du tourisme solidaire aux seules associations. Ce qui laisse leurs responsables sceptiques. Pascal Languillon, Président et fondateur de l'Association française d'écotourisme (AFE), salue la démarche des opérateurs, mais déplore qu'ils ne soutiennent pas davantage de projets locaux, compte tenu des moyens dont ils disposent par rapport aux petites structures. "Ils peuvent ainsi se donner bonne conscience en finançant des microprojets", lance-t-il.[2]
« Si, au départ de beaucoup d’expériences de tourisme solidaire, il y a eu beaucoup de générosité et de dévouement de bénévoles, le mouvement commence à prendre aujourd’hui une ampleur suffisante pour attirer les convoitises des professionnels du secteur. Car désormais, beaucoup d’entreprises touristiques, petites ou moyennes des pays pauvres, comme des pays riches, jouent la carte du « tourisme solidaire » avec, probablement une inégale adhésion à la logique du projet. »[3]
Enfin, comme le souligne Jean-Didier Urbain, Sociologue spécialiste du tourisme : « Il n’est pas bon de se présenter comme touriste face à la survalorisation de la figure mythique du voyageur (Urbain, 1993) ou de l’ethnologue, mais aussi celle plus contemporaine du militant de la cause humanitaire, que les médias ne cessent de glorifier. [u1]
Aussi, le choix d’une formule de vacances labellisée tourisme solidaire répond à la culpabilité de certains touristes qui se rendent dans des pays en développement où le différentiel de niveau de vie est manifeste.
Le tourisme solidaire reste toutefois une réponse intéressante a étudier au cas par cas. Cette option a le mérite de faire réfléchir sur le rôle et le positionnement du touriste sur de lointaines destinations.
Pour celles et ceux qui aspirent à voyager autrement, hors des sentiers battus, la règle d’or : être un acteur qui préserve et valorise les patrimoines culturels et naturels des régions visitées. Comme dirait l’un des célèbres guide local: » Il n’y a pas de mauvais touristes. Il n’y a que des voyageurs mal informés ».
Pour aller plus loin
Lecture
Etre Ecovoyageur (Nature & Découvertes, 50 pages, 1 €) : définitions des tourismes durable, responsable, équitable et solidaire, large part faite à l'écotourisme (en France et ailleurs), et répertoire des chartes et labels.
Tourisme solidaire (Le Petit futé, 200 pages, 15 €). Très complet : définitions, enjeux du tourisme solidaire, carnet d'adresses des voyagistes et organisations.
Le Tourisme autrement (hors-série pratique n° 18 d'Alternatives économiques, 9 euros). Un ouvrage remarquablement complet sur ce dossier. Bien que datant de mars 2005, il est toujours d'actualité..
Sites Internet
Sites pour voyageurs indépendants :
www.voyagespourlaplanete.com
www.echoway.org
Sites d'associations :
- ATES, Association pour le tourisme équitable et solidaire : www.tourismesolidaire.org
- ATR, Agir pour un tourisme responsable : www.tourisme-reponsable.org
- AFE, Association française d'écotourisme : www.ecotourisme.info
Chartes
La charte du tourisme équitable, rédigée en 2002 par quatre associations et le PFCE, plate-forme pour le commerce équitable : www.croqnature.com/tourismeequitable.htm.
La charte de l'UNAT (Union nationale des associations de tourisme et de plein air), créée en 1920, charte élaborée en 2002 par ses 56 membres, pour la plupart de grandes fédérations : www.unat.asso.fr.
[1] 27 structures actives sur la thématique du tourisme responsable sont référencées dans le répertoire de Centraider. Le descriptif des projets et les coordonnées des associations sont disponibles sur le répertoire des acteurs sur le site web de CENTRAIDER : www.centraider.org
[2] Le Monde, le choix du tourisme solidaire, 20 avril 2007.
[3] Knafou 2003, cité dans Stock, 2003, p251 sur www.teoros.revues.org/602
Crédit photo : CC Flick'r