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Par Carenews PRO - Publié le 16 janvier 2017 - 14:15 - Mise à jour le 19 janvier 2017 - 12:28
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[MÉCÉNAT CULTUREL] Quand JTI faisait un tabac au Palais de Tokyo

Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une rubrique mensuelle. À travers des chroniques étudiant quelques cas d'études de mécénat culturel, Bernard Hasquenoph retrace l'historique des relations entre de grandes marques, souvent du luxe, et les institutions culturelles françaises. Croisant les problématiques de la philanthropie, du marketing, de l'image, du financement, du parrainage... ses récits sont au coeur d'une spécificité bien française, celle du mécénat culturel traditionnel, devenu nécessaire et omniprésent, parfois sans le dire, dans les musées, établissements publics, opéras, théâtres...

[MÉCÉNAT CULTUREL]  Quand JTI faisait un tabac au Palais de Tokyo
[MÉCÉNAT CULTUREL] Quand JTI faisait un tabac au Palais de Tokyo

Trois lettres vertes inconnues du grand public. Pourtant, elles ont longtemps été associées au Palais de Tokyo, ce dynamique centre d'art contemporain parisien se voulant en tout innovant. A commencer par son statut d’entreprise commerciale. Une originalité dans le paysage culturel national. Car si depuis 2011 l’établissement est constitué en société par actions simplifiée, il émane bien de l'Etat qui en est l’unique associé. Pour remplir sa mission de « service public », le ministère de la Culture lui verse une subvention annuelle, équivalent en 2015 du tiers de son budget. Le reste lui vient pour l’essentiel du monde de l’entreprise. Un milieu qui fascine son président Jean de Loisy, comme il s’en est confié un jour dans la presse. Au Palais de Tokyo, tout est privatisable. Même la programmation qui inclut parfois des manifestations promotionnelles pour des marques, à l'instar de « N°5 Culture Chanel » ou « Perspective Playground » par Olympus. A la réouverture du centre en 2012, les mécènes ont fait l’objet d’une prospection marketing. Parmi eux, on trouvait JTI, « partenaire Fondateur », resté fidèle par la suite. Derrière cet acronyme, se cache Japan Tobacco International, l'un des principaux groupes de tabac au monde. Présent dans plus de 120 pays, il compte des marques aussi célèbres que Winston ou Camel. Malgré le discrédit qui pèse sur une industrie dont les produits tuent un consommateur sur deux, le groupe se porte bien. De quoi choquer une vieille association française reconnue d’utilité publique, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) qui rappelle inlassablement que cette sale habitude reste la première cause de mortalité prématurée et évitable, avec plus de 5 millions de victimes par an sur la planète. En 2014, le CNCT a publié un rapport  pour dénoncer l’ingérence de l'industrie du tabac en France dans les politiques de santé publique, n’hésitant pas à parler de « blanchiment moral » au sujet de la stratégie mécénat des cigarettiers. L’association pointait précisément le soutien de JTI au Palais de Tokyo mais aussi à la Manufacture de Sèvres et même au musée du Louvre. En effet, le groupe, sous le nom de JT International, fait partie du Cercle Louvre Entreprises depuis 2008, a financé la restauration de mosaïques romaines et est « mécène fondateur » de la rénovation du jardin des Tuileries pour en améliorer l’accès aux personnes handicapées. De quoi se donner bonne conscience ? Et curieux de la part du Louvre quand sa charte éthique du mécénat l’engage à refuser un donateur quand « une association d’image » pourrait lui être préjudiciable. Pour cette raison, des ONG réussirent à faire annuler en 2013 un mécénat JTI en Suisse, où le groupe possède son siège social. Il faut dire que le bénéficiaire n’était autre que le musée de la Croix-Rouge qui reconnut piteusement « un manque de vigilance » . Vexé, JTI refusa de récupérer la somme et continue de soutenir des lieux culturels genevois comme le Mamco. Comme il le fit dans d’autres musées, parmi les plus prestigieux du monde : Prado, British Museum, Rijksmuseum, Ermitage... Pourquoi JTI s’engage-t-il dans le mécénat ? Pour palier à un manque de visibilité liée à l’interdiction de publicité pour le tabac ? Flatter ses actionnaires ? Faire profiter ses salariés de sa JTI Cultural Card ? Sans doute tout cela, mais aussi et surtout selon ses détracteurs pour pénétrer des cercles de sociabilité bien choisis, afin de peser sur les décideurs politiques. Ce que reconnaissait un de ses anciens lobbyistes dans un ouvrage qui fit grand bruit : « Ce genre de contact aide à orienter les réglementations dans un sens qui ne nous est pas défavorable ». Il faisait allusion à l’hommage rendu à JTI en 2011 par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. Pour son mécénat de l’exposition Monumenta d’Anish Kapoor au Grand Palais, artiste déjà soutenu dans le passé par le groupe, il se trouve curatée par Jean de Loisy. Mais étrangement, JTI s’est évaporé en 2016 du Louvre comme du Palais de Tokyo. L’explication, c’est Emmanuelle Béguinot, directrice du CNCT, qui nous la donne : « Nous avons rencontré les responsables du Louvre. Ils nous ont promis de mettre un terme à ce mécénat ». Ce que nous a confirmé le musée. Depuis fin 2015, JTI ne fait plus partie du Cercle Louvre Entreprises et ne soutient plus aucune opération de mécénat. Pour le Palais de Tokyo, les choses ont été plus loin puisque la directrice nous apprend qu’en 2013, son association a attaqué au pénal JTI ainsi que le centre d’art contemporain, pour violation de la loi Evin. En toute honnêteté, elle nous indique que le CNCT a perdu en première instance, l’affaire est en appel. Mais l’association est sereine puisqu’entre-temps, la loi Santé de janvier 2016 lui a donné raison, en interdisant définitivement « toute opération de parrainage ou de mécénat » des fabricants de tabac. Information passée inaperçue. Coïncidence ? La même année, le Palais de Tokyo présentait l’exposition « Rester vivant » de Michel Houellebecq. L’écrivain, accro à la clope et pourfendeur des lois anti-tabac, avait installé en son cœur, sous couvert d’installation artistique, un réel fumoir. Ça puait le tabac froid. PS. Nos remerciements à Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme et au musée du Louvre. Ni JTI, ni le Palais de Tokyo n’ont répondu à nos sollicitations.

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