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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 2 mars 2020 - 10:31 - Mise à jour le 17 avril 2020 - 10:39
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Histoire des fondations en France (1/2)

Au moment où le Gouvernement, par le truchement d’une mission parlementaire, veut mettre en place une nouvelle loi sur la philanthropie à la française, il semble utile de faire une visite historique du concept de philanthropie en France notamment à travers l’histoire des fondations.

Histoire des fondations en France, première partie. Francis Charhon revient sur l'exercice de la philanthropie à travers l'Histoire
Histoire des fondations en France, première partie. Francis Charhon revient sur l'exercice de la philanthropie à travers l'Histoire

En effet on constate une tension permanente entre l’État et les acteurs de la générosité : les congrégations religieuses à une époque ancienne, puis les particuliers ou les entreprises. L’Histoire montre la volonté progressive de contrôle par l’État pour des raisons de pouvoir et de finances avant que soient supprimés tous les corps intermédiaires à la révolution puis qu’ils soient progressivement recréés. La discussion entre le rôle de l’État et les acteurs de la générosité existe depuis toujours, comme sont aussi les interrogations récurrentes dans la société. Est-ce que faire des dons importants est un privilège de riches parfois considérés comme entaché par l’origine des fonds ou est-ce une activité généreuse qui peut se développer au gré des volontés du donateur. L’intérêt général peut-il être porté par des acteurs privés, quelles relations avec l’État ? Ces questions sont largement ouvertes et ce blog pourra contribuer à faire valoir différents points de vue. Cette histoire, pour la partie française, fera l’objet de deux articles :  le premier jusqu’à la Révolution ; le second, jusqu’à notre époque, élargit le concept à la philanthropie en général.

De l’origine de la philanthropie à sa chute

Ce sont les Grecs et les Romains qui ont développé la notion de philanthropie et posé les bases de la fondation moderne dont certains principes sont encore appliqués. À cette époque le mécénat avait un caractère obligatoire pour les riches afin de contribuer à la vie de la cité. Toutes les causes étaient concernées : le sport (jeux olympiques), la culture, la religion, le secours des pauvres des malades, des vieillards, des orphelins. Si des associations se formaient librement certains donateurs préféraient créer une communauté (la fondation). Le principe de base de la fondation pour que l’objet se perpétue, était l’affectation d’un capital à une entité existante, qu’elle soit reconnue par les pouvoirs publics à condition que cela ne porta pas atteinte à l’ordre public. 

Certains de ces principes perdurent encore aujourd’hui : autorisation pour la création, l’organisation, le fonctionnement et l’affectation de patrimoine.

Après la chute de l’empire romain et pendant le Moyen Âge, les fondations ne subsistaient plus qu’au sein de l’église et sous sa seule autorité, reposant sur l’idée de charité. Toutefois, sous Philippe III, une volonté de réglementation voit le jour concrétisée par une ordonnance de 1275 qui introduit des lettres patentes pour l’autorisation et le règlement des droits d’enregistrement. L’esprit du texte était surtout la sécurisation des biens de l’église plus que leur contrôle.  À cette époque les coutumes et le droit étaient régionaux, la France n’avait pas encore de législation unifiée, car le territoire fluctuait en fonction des guerres et de la possession des terres. Aussi était-il difficile de faire appliquer le droit de façon uniforme. 

Le pouvoir temporel et spirituel s’opposent de plus en plus pour des questions de pouvoir, d’impôts et de contrôle sur ce que l’on appelait les biens de mainmorte. Ces biens de mainmorte étaient les biens possédés par des congrégations, des communautés ou des hôpitaux.  Ils avaient une existence indéfinie et échappaient aux règles des mutations lors des décès. En compensation fut créé un droit d’amortissement au profit du royaume. Cet amortissement est une redevance payée au roi, quand un immeuble est acquis par legs ou héritage, par des gens de mainmorte (corporationscommunautés d'habitants). Ce paiement garantissait le transfert de propriété.

Pendant les XVIe et XVIIe siècles, face aux guerres, à la famine, à la peste les institutions charitables se multiplièrent pour faire face aux conséquences sanitaires et sociales. Toutefois l’afflux des pauvres vers les villes amena celles-ci à faire des tris et à mettre en place des lieux de formation au travail. On y voit apparaître « les bureaux des pauvres », qui ne dépendent pas des institutions religieuses mais des villes qui levaient des impôts spécifiques « la cotte des pauvres » et acceptaient des dons. Bien que les deux types d’institutions fussent complémentaires, il existait une confrontation permanente entre les politiques et les dévots. (cf. Georges Viard).   

Progressivement, les légistes du roi de France, pour éviter la prolifération des biens de mainmorte et le développement de corps intermédiaires, et ainsi une diminution des droits de succession, ont remis avant les règles du droit romain qui donnait au seul monarque le droit de donner l’existence juridique des fondations et l’affectation des biens.  

De nombreuses ordonnances royales précisent que la création de telles communautés, et l'acquisition par elles de biens, ne peuvent se faire qu'après enquête et approbation du roi.  

Jean Bodin, juriste du XVIe siècle, indique qu'« aucune association ne peut faire corps ni être réputée collège ou communauté si elle n’est pas autorisée par la puissance publique. Elles doivent tenir leurs pouvoirs au civil du souverain sous la domination duquel elles sont établies. Les communautés sont des gouffres d’où rien ne doit naturellement ressortir. Sans des précautions indispensables, elles engloutiraient insensiblement tout l’État. » Les gens de mainmorte et les communautés doivent alors déclarer tous leurs biens sous peine de confiscation (cf. Jean Imbert). On voit déjà apparaître une prévention sur la notion de capital immobilisé.

L’ordonnance de 1275 n’ayant pas eu les effets escomptés, une succession de règlements sont alors publiés : l’édit de 1629, la déclaration de 1659 puis en 1666 l’édit de Saint-Germain-en-Laye qui prohibe les communautés nouvelles et les réglementent subordonnant leur existence, leur capacité de recevoir dons et legs par autorisation royale.  Il semble que l’exécution de cette préconisation fut encore une fois peu suivie par manque de connaissance du périmètre exact de tous ces biens. C’est pour cela qu’en 1691 un édit crée les greffes chargés de recenser tous les biens de mainmortes et envisage toutes les situations qui amènent à déclaration sous peine de confiscation. 

Le clergé catholique, principal bénéficiaire de la générosité des fidèles, est particulièrement visé. Par exemple, un amortissement de ses biens lui est demandé en 1639. Il doit alors débourser 5,5 millions de livres. En 1689, le clergé doit payer 18 millions. Les seigneurs qui créent des communautés sont aussi soumis à un système comparable appelé indemnité.

En 1749 le chancelier d’Aguesseau (cf. Isabelle Storez et Isabelle Brancourt) publie un édit qui rassemble toutes les dispositions antérieures et confirme l’autorisation préalable, l’amortissement (droit de mutation) et interdit toutes dispositions testamentaires universelles ou particulières pour des établissements à créer. Cet édit évoque aussi ce qui est utile à l’État (ancêtre de l’intérêt général). Il est appliqué de façon particulièrement sévère. Un exemple d’application est la décision du parlement de Metz en 1770 sur les congrégations, confréries et associations créées après les édits ordonnant leur dissolution.   

L’édit fut ensuite assoupli non pour les communautés religieuses mais pour les établissements charitables On assiste alors à multiplication des hôpitaux à la suite d’affectation de patrimoine. (cf. Jean-Luc Marais). La Fondation de la société philanthropique est créée en 1780. Elle est un modèle d’organisation sans relation avec la religion dont l’activité est l’assistance sociale.

Ces legs massifs pour des établissements ne posaient pas seulement de problèmes au pouvoir mais aussi collatéraux du donateur. Un certain nombre de cas ont été portés devant la justice par des ayants droit qui se trouvaient lésés. La plupart du temps ils furent déboutés. Il n’existait pas encore la réserve héréditaire qui ne fut créée que sous Napoléon Ier. 

La chute

À cette même époque, les philosophes du siècle des lumières s’alignent sur les positions des monarques considérant que ces corps intermédiaires manquaient de légitimité et abusaient de leurs privilèges.

Turgot, contrôleur général des finances de Louis XVI, dans un article de l’Encyclopédie,  prend violemment à partie les fondations.  Il indique d’abord qu’un don à long terme ne garantit pas une bonne exécution de l’intention du donateur. Dans son article, plusieurs arguments sont apportés qui trouvent un écho dans les débats d’aujourd’hui :

« Il est difficile de prévoir qu’un établissement produira les effets escomptés voire le contraire. »

Rien ne garantit que les intentions d’origine soient perpétuées à la disparition des fondateurs  : « il n’est point de corps qui n’ait à la longue perdu l’esprit de sa première origine. Les fondateurs s’abusent bien grossièrement, s’ils s’imaginent que leur zèle se communiquera de siècle en siècle aux personnes chargées d’en perpétuer les effets. »

Il évoque la question de l’assistance qui selon lui accroîtrerait la pauvreté en empêchant d’aller travailler et que ce serait à l’État de traiter cette question : « Faire vivre gratuitement un grand nombre d’hommes, c’est soudoyer l’oisiveté et tous les désordres qui en sont la suite. » 

Il considère qu’il vaut mieux financer des associations gérant des flux de fonds plutôt que de développer des établissements capitalisant les finances et réduisant l’impact immédiat. « L’emploi libre des revenus d’une communauté, ou la contribution de tous ses membres dans le cas où le besoin serait pressant et général ; une association libre et des souscriptions volontaires de quelques citoyens généreux aura par cette méthode cet avantage inestimable sur celle des fondations, qu’elle n’est sujette à aucun abus important. »

De son côté Rousseau écrivait qu’il était important qu’il n’y ait pas de société particulière dans l’État. Cette assertion est reprise pendant la Révolution et à l’instigation de Mirabeau on assiste durant l’année 1789 à :

  • La suppression des privilèges de biens de mainmorte 
  • La confiscation des biens des ecclésiastiques
  • La dissolution des congrégations et de leurs fondations 
  • La dissolution des corporations (loi le chapelier) et de toutes les corporations
  • La confiscation et la vente de tous les biens hospitaliers charitables, 
  • L’abolition de toute mainmortes et la prise en charge par l’État des établissement privés d’assistance et de bienfaisance.

La Révolution appliquait l’idée qu’il n’existait pas de constituant entre l’État et le citoyen. Ceci impliquait que l’État prenait toutes les questions touchant l’individu à sa charge.  Voilà certainement une des caractéristiques qui a marqué l’esprit français et perdure aujourd’hui : en cas de difficultés et en toutes circonstances chaque individu ou corporation corporation se tourne vers l’État pour apporter une solution. Par contre dans les pays anglo-saxons, à travers les siècles, l’individu est acteur de son destin.

Toutefois dès l’an III (1794-1795), une réalité s’impose : il est nécessaire d’avoir des corps intermédiaires. Un article de la Constitution limite alors la prohibition aux seules corporations jugées dangereuses et rétablit les « bonnes mainmortes et communautés » pour des personnes morales relevant du gouvernement. 

Si le Code civil de 1802 ignore les fondations, c’est sans les prohiber, car il prévoit l’acceptation de libéralités par des établissements d’utilité publique. Dans le même temps,  les dons sont favorisés par l’organisation de collectes : «  les solidarités fraternelles ». On voit apparaître des clubs, des instituts et des établissement charitables (cf. Catherine Duprat).

Il faut noter que trois fondations ont survécu à la Révolution et existent toujours avec de nouveaux statuts mais avec leurs lettres patentes : 

  • l’hospice de Blerencourt
  • l’hospice de Condé
  • l’hôpital de Vireresxel. 

Après la Révolution, la philanthropie reprend progressivement vie ; ceci sera développé dans la seconde partie de cet article.

Bibliographie
Bibliographie L’histoire de la générosité, notamment celle des fondations, est riche et longue comme nous le rappelle Michel Pomey qui l’a explorée de façon exhaustive dans son Traité des fondations d'utilité publique (PUF, 1980). Il fut chargé de poser les bases de la Fondation de France dans un esprit d’ouverture et de développement de la philanthropie. Toutes les facettes du droit des fondations y sont traitées de façon magistrale, avec des positions juridiques d’une grande actualité. Ce traité ouvrait la voie vers une philanthropie moderne. D’autres auteurs ont écrit sur cette question (voir les liens dans l'article ci-dessus). On lira aussi la passionnante publication d’Arthur Gautier sur l’histoire de la philanthropie de 1712 à 1914.

 

 

 

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