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Par Carenews PRO - Publié le 30 août 2013 - 14:33 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:19
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Le droit de rêver: témoignage d'un jeune vendeur de Tombouctou

Pour son histoire du vendredi, Carenews a choisi de laisser la place au témoignage. Notre but est d’informer, d’encourager, de faire voyager et de transmettre les histoires de ceux qui font le « care », mais aussi et surtout de leur offrir une voix. Alors aujourd’hui nous avons choisi de laisser parler Amadou, jeune marchand des rues de Tombouctou qui vient de traverser mille épreuves pour enfin avoir le droit de rêver. Aujourd’hui, il vous raconte son histoire sur Carenews.

Le droit de rêver: témoignage d'un jeune vendeur de Tombouctou
Le droit de rêver: témoignage d'un jeune vendeur de Tombouctou

« Je m’appelle Amadou, j’ai 14 ans, et je suis vendeur ambulant à Tombouctou. Avant la guerre, je vendais des souvenirs aux touristes qui étaient très nombreux à venir visiter ma ville, qu’on appelle la ville aux 300 saints, compte tenu du nombre de mausolées qui font que Tombouctou est classée au patrimoine mondial de l’humanité. Mais ça, c’était avant…

Nos problèmes ont commencé avec la mauvaise récolte de 2011. Les prix sur les marchés étaient très hauts en raison du manque de denrées. Mon père a deux femmes, et nous sommes douze enfants dans ma famille. Ca fait beaucoup de bouches à nourrir. En 2011, donc, nous avions faim. Le pays entier avait faim. Et c’est là qu’ils sont arrivés.

Le coup d’état, nous n’en avons pas vu grand-chose. Tout s’est passé à Bamako, les putschistes ont pris l’ORTM (la radio-télévision du Mali), puis la présidence. Ils ont mis un militaire à la place d’ATT, notre ancien président. Ce coup d’état a plutôt eu des conséquences sur les touristes, qui ne sont plus venus visiter Tombouctou. J’ai donc acheté en contrebande des cigarettes, et je suis devenu vendeur de cigarettes ambulant. Et puis les Touaregs se sont réveillés. Ils sont arrivés du désert, comme le vent de sable. Ils ont pris les villes et les villages du nord, pillé les maisons, et ont commis des exactions sur les populations civiles. Mais la ville restait calme.

Et puis est venu ce jour, ou plutôt ce petit matin. Je ne me rappelle plus de la date exacte. C’était en 2012. Tôt le matin, donc, des pick-ups chargés d’islamistes armés sont entrés dans la ville. Ils avaient des porte-voix et nous annonçaient qu’ils étaient une force de sécurité chargée de protéger Tombouctou contre les Touaregs. Mais personne n’y croyait. L’illusion de ce mensonge a duré moins d’une journée. Ils ont conquis la ville presque sans combats, quelques échauffourées tout au plus. Et puis le silence est tombé sur Tombouctou.

Durant l’occupation, les islamistes nous ont imposé la charia, la loi religieuse radicale. Nous n’avions plus le droit de nous couper la barbe. Les femmes devaient porter le voile. Celles qui outrepassaient ces règles, et toutes les autres qu’on leur imposait étaient enfermées dans le sas du distributeur automatique de la banque centrale, une pièce de quatre mètres carrés où on les mettait par 15, les condamnant à une mort certaine sous la chaleur écrasante. Les murs de Tombouctou résonnent encore de leurs cris.

Pour ma part, je devais survivre, et pour survivre, il me fallait continuer de vendre des cigarettes. Le problème est que les islamistes me l’avaient interdit, sans doute afin de garder pour eux le bénéfice de leur contrebande. Il fallait vendre les cigarettes en cachette. Un jour je me suis fait prendre, et heureusement j’ai pu m’enfuir. Sinon, c’était 30 coups de fouet. J’ai couru, couru et je me suis caché dans la savane, pendant deux jours. En rentrant chez moi, en haillons, j’étais méconnaissable. J’ai pu passer inaperçu dans la foule de tous ceux que l’occupation avait rendu misérables.

Les Français sont arrivés en mars. Je m’en souviens car c’était le jour de l’anniversaire de mon frère. On a vu leurs avions, très rapides et très bruyants. Puis les troupes à pied. En quelques jours, tous les islamistes avaient fui. Il y avait des africains avec eux. Ils étaient très forts. Depuis, mon petit frère veut intégrer l’armée. J’essaie de l’en dissuader car… Enfin car c’est mon petit frère quand même !

Le jour de la visite du président, j’étais dans la foule. Je l’ai à peine aperçu, il n’est pas très grand et puis j’étais loin. Les forces de sécurité me tenaient à l’écart. Dommage, je lui aurais bien serré la main.

Depuis… Depuis la vie a repris. Les français sont partis, ont été remplacés par d’autres soldats africains, ceux de la Minusma, la force de l’ONU pour le Mali. On les voit souvent en centre-ville. Il y a ceux de l’armée malienne aussi, qui sont revenus. Et pour ma part… Rien n’a changé ! Avant il y avait les touristes, aujourd’hui il y a les ONG et les agences de Nations-Unies. J’ai donc repris mon commerce de souvenirs, et, croyez-le ou non, je gagne plus d’argent qu’avec les touristes ! Les humanitaires ont moins de temps, donc moins de négociation !

Voilà ma vie… Si c’est une belle vie ? Non, on ne peut pas dire ça. Mais grâce à Dieu ma famille est saine et sauve et j’arrive à gagner un peu d’argent pour la soutenir. Après, oui, j’ai des rêves. Je voudrais faire de la politique. Une ONG m’a appris ce qu’étaient les droits de l’homme. Je n’ai pas tout compris, à part que nous étions chacun libres et égaux en droits. Alors pourquoi n’aurions-nous pas le droit de tout faire… Et surtout le droit de rêver ? »

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