Les associations déçues par l’application de la loi Taquet concernant l’hébergement des jeunes de l’ASE à l’hôtel
Le décret d’application de la loi Taquet, permettant l’entrée en vigueur de l’interdiction de l'hébergement des jeunes dépendants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à l’hôtel, est paru au Journal officiel ce dimanche 18 février. Attendu par les associations, le texte qui met en place un système dérogatoire à l’interdiction, ne fait pas l’unanimité.
Avec 18 jours de retard, l’interdiction de l'hébergement à l’hôtel prévue par la loi relative à la protection de l’enfance, dite « loi Taquet », est enfin entrée en vigueur.
Adoptée le 7 février 2022, la loi avait posé l'interdiction à partir du 1ᵉʳ février 2024, de l’hébergement en hôtels des jeunes dépendant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Faute de décret d’application jusqu’au dimanche 18 février, la mesure n’était toujours pas entrée en vigueur, provoquant l’indignation des associations. Si c’est désormais chose faite, l’interdiction comprend néanmoins des dérogations.
Un dispositif dérogatoire pour « des situations d’urgence »
Le décret d’application paru au Journal officiel détaille en effet les dérogations aux conditions d'hébergement prévues par la loi Taquet.
Il pose ainsi les conditions de l'accueil autorisé « à titre dérogatoire, pour des situations d’urgence ou pour assurer la mise à l’abri » des jeunes de plus de 16 ans et de moins de 21 ans « dans des structures d’hébergement dites jeunesses et sports ou relevant du régime de la déclaration ». Parmi les structures d'hébergement dites jeunesses et sports, on retrouve notamment des centres de vacances.
Le texte prévoit plusieurs conditions. Cet accueil est limité à une durée maximum de deux mois. Préalablement à la prise en charge, « le président du conseil départemental s’assure qu’elle est adaptée à l’âge et aux besoins fondamentaux du mineur d’au moins seize ans ou du majeur de moins de vingt et un ans ». Le décret impose également « une surveillance de jour comme de nuit au sein de la structure, par la présence physique sur site d’au moins un professionnel formé à cet effet », ainsi que « des visites régulières sur site », assurées par le président du conseil départemental afin de contrôler « les conditions matérielles de prise en charge ».
« Des dérogations trop larges et un manque de précisions »
Mais, en incluant dans le régime dérogatoire « des structures relevant du régime de la déclaration » aux côtés des structures dites jeunesses et sports, le décret ne confirme pas clairement l’interdiction d'hébergement des jeunes dépendants de l’ASE dans les hôtels.
En effet, ces « structures relevant du régime de la déclaration » citées dans le décret du 18 février sont définies par l’article L-321-1 du Code l’action sociale et des familles comme « toute personne physique ou toute personne morale de droit privé qui désire héberger ou recevoir des mineurs de manière habituelle, collectivement, à titre gratuit ou onéreux », sous réserve d’une autorisation départementale. Or, les hôtels sont des personnes morales de droit privé. Ils pourraient donc être autorisés par le président du département à loger temporairement des jeunes dépendants de l’ASE.
Ainsi, malgré les conditions que pose le décret, « sa portée risque d’être limitée par des dérogations trop larges et un manque de précisions », alerte sur X le militant des droits de l’enfant Lyès Louffok. « Il prévoit des exceptions à mon goût encore trop nombreuses », estime quant à elle Perrine Goulet, présidente de la Délégation parlementaire aux droits des enfants.
Le placement dans les hôtels, un système critiqué par les associations
L’hébergement de mineurs dépendant de l’ASE dans des hôtels est vivement décrié par les associations de protection de l’enfance. Selon un rapport paru en 2020 de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), la situation concerne 5 % des mineurs de l’ASE soit un peu plus de 10 400 jeunes. 95 % d’entre eux sont des mineurs non accompagnés (MNA).
Fin janvier, le drame du suicide d’une adolescente de 15 ans alors qu’elle était hebergée dans un hôtel social de Clermont-Ferrand avait suscité de vives réactions.
Début février, une dizaine de députés de gauche ont adressé un courrier à la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, pour alerter sur les risques encourus par les mineurs placés à l’hôtel. « L’absence quasi-systématique d’encadrants formés dans les hôtels renforce l’isolement des enfants hébergés et les expose à toute sorte de risques (trafic de drogue, prostitution, violence, etc.) », dénoncent les députés.
De son côté, l’association d’élus Départements de France défend une position inverse. Elle estime que l’interdiction posée par la loi Taquet est « une bonne intention inapplicable dans les conditions actuelles ».
« Face à l’arrivée massive de mineurs non accompagnés nous n’avons plus de possibilités d’accueil dans nos départements. Nos personnels, très dévoués, sont sous tension », arguait le 14 février leur président François Sauvadet dans un communiqué de presse.
Elisabeth Crépin-Leblond