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Par Carenews INFO - Publié le 12 décembre 2023 - 17:33 - Mise à jour le 8 février 2024 - 16:17 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Jeunes majeurs sortant de l’Aide sociale à l'enfance : les difficultés d’une population précarisée

Le « pack autonomie jeunes majeurs » présenté par Elisabeth Borne n’a pas convaincu les associations. Pour le collectif Cause Majeur! comme pour le militant Lyes Louffok, la situation critique des jeunes accompagnés par l’Aide sociale à l’enfance à leurs 18 ans impose une évolution du modèle.

La loi Taquet qui prévoit la continuité de l'accompagnement jusqu'à 21 ans est inégalement appliquée par les départements. Crédits : iStock
La loi Taquet qui prévoit la continuité de l'accompagnement jusqu'à 21 ans est inégalement appliquée par les départements. Crédits : iStock

 

Lors de la présentation du plan de lutte du gouvernement contre les violences faites aux enfants lundi 20 novembre, Élisabeth Borne a annoncé la mise en place d’un « pack autonomie jeunes majeurs ». Le dispositif comprend trois mesures parmi lesquelles la généralisation du mentorat et du parrainage, l’organisation d’une cérémonie annuelle pour les jeunes majeurs sortants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et le versement d’« un coup de pouce financier » à hauteur de 1 500 euros au moment de la majorité. 

Hervé Laud, représentant du collectif Cause Majeur!, juge ces mesures largement insuffisantes. Créé en mars 2019, le collectif rassemble une trentaine d’associations nationales. Les membres, qui plaident et accompagnent au quotidien les jeunes majeurs issus des services sociaux de protection de l’enfance, ont décidé d’unir leurs voix au sein du collectif « pour sortir de l’impasse qui dure depuis déjà quelques années ». L’impasse en question, c’est la situation dans laquelle se trouvent à leur majorité les jeunes sans soutien familial et accompagnés jusque-là par l’Aide sociale à l’enfance. 

Depuis l’abaissement de la majorité civile en 1974,  ces jeunes se retrouvent à partir de 18 ans sans accompagnement de la protection de l’enfance. Une situation qui pose problème, explique Hervé Laud. 

 

Un accompagnement différencié selon les départements

 

« Aujourd’hui la réalité est différente d’il y a 49 ans. Les attributs de l’âge adulte comme le premier emploi ou la construction d’un foyer familial arrivent plus tard », détaille le responsable du collectif. Pour celui qui est également directeur du Plaidoyer et de la communication chez SOS Villages d’enfants, il est temps « de s’adapter aux principes de réalité de notre jeunesse ». La période entre les 16 et les 25 ans constitue désormais un moment de vie à part, essentiel dans la construction du parcours vers l’âge adulte. Les allers-retours possibles entre indépendance et cellule familiale nécessitent d’allonger la période d’accompagnement, défend le responsable. 

Pour répondre à cette situation, la loi Taquet, adoptée en 2022, a instauré dans le Code de l’action sociale et des familles l’obligation de continuité de la prise en charge dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance. Jusqu’à ses 21 ans, le jeune majeur sans ressources ni soutien familial peut bénéficier d'un accompagnement au titre de l’« accueil provisoire jeune majeur » (APJM).

Mais l’application de la loi par les départements, en charge de la protection de l’enfance depuis la décentralisation, est encore aléatoire.  « Suite aux crises successives, la durée de l’accompagnement a diminué, les exigences se sont accrues envers les jeunes et il y a moins de possibilités de faire des essais ou des erreurs », dénonce le représentant de Cause Majeur!.

Les associations revendiquent notamment un « droit au retour » des jeunes majeurs qui demandent de l’aide après une première prise d’indépendance et pointe un vide dans les politiques d’accompagnement social prévues par l’État pour les personnes âgées de 18 à 25 ans. « Nous défendons un droit à vivre sa jeunesse », résume Hervé Laud. 

 

Une jeunesse fragilisée et précarisée

 

L’accompagnement revendiqué est d’autant plus nécessaire que les jeunes accompagnés par la protection de l’enfance sont souvent fragilisés par l’absence de structure familiale stable et par des traumatismes dans l’enfance.

« On demande aux jeunes issus de l’ASE d’avoir réglé l’ensemble des enjeux de leur jeunesse à 21 ans alors que l’âge moyen de départ du domicile familial en France est de 24 ans », dénonce le représentant de Cause Majeur!. Le collectif appuie sur la nécessaire présence de professionnels auprès des majeurs capables de les soutenir aussi psychologiquement. « L’argent ne suffit pas. Il faut rencontrer les jeunes dans leurs 16-20 ans pour les accompagner dans leurs projets », explique-t-il. 

Cause Majeur! défend une transformation profonde de l’offre proposée aux jeunes issus de l’Aide sociale à l’enfance. Possibilité de rester dans leur famille d’accueil ou dans un village d’enfants, accompagnement en milieu ouvert, système d’autonomisation, priorité d’accès au logement social... Selon les associations, les possibilités doivent être multiples et sur le long terme pour permettre aux jeunes d’acquérir une autonomie tout en étant sécurisés sur le plan socioaffectif. 

« Les durées d'accompagnement actuelles prévues entre trois et six mois ne le permettent pas », explique Hervé Laud. « La jeunesse accompagnée se retrouve précarisée », affirme-t-il.

 

« Fais attention ou tu finiras SDF »

 

« Tout le monde sait que le système est mal foutu », affirme de manière plus directe Lyes Louffok. Ancien enfant de l’ASE et militant pour les droits de l’enfant, il a publié en 2014 Dans l’enfer des foyers, un ouvrage qui dénonce les dysfonctionnements du système de protection de l’enfance. Pour lui aussi, les annonces du gouvernement sur les jeunes majeurs sont loin d’être à la hauteur.

À ses 18 ans, CAP de cuisine en poche, il commence à travailler. Un choix d’études courtes fréquent chez les jeunes accompagnés. « Les éducateurs nous disent : fais attention ou tu finiras SDF. Ça ne part pas d’une mauvaise intention, c’est une réflexion pragmatique », témoigne-t-il. Sans formation professionnalisante et sans accompagnement, les jeunes sont livrés à eux-mêmes à leurs 18 ans. 

« C’est une angoisse qui naît très tôt et qui nous suit en permanence dans notre vie d’adulte. Il y a toujours une crainte d’être sans domicile quand bien même on a un toit, un diplôme, un métier », raconte Lyes Louffok. Une crainte qui n’est malheureusement pas infondée. Selon une étude menée par la Fondation Abbé Pierre en 2019, plus d’un tiers des jeunes sans domicile âgés de 18 à 35 ans sont d’anciens enfants placés en protection de l’enfance. 

Aujourd'hui, Lyes Louffok veut lutter contre les orientations subies et les biais qui poussent les enfants placés à ne pas faire de longues études. « Tu as le droit de rêver », affirme-t-il.

 

L'enjeu : Faire appliquer la loi

 

Mais le militant dénonce « une absence de volonté politique », pour faire évoluer la situation. La priorité selon lui est de faire appliquer la loi de 2022 par les départements. 

L’idée est partagée par Cause Majeur! qui a publié en juin une enquête sur l’application de la loi Taquet. « Si des progrès sont à souligner suite à son adoption, de nombreuses disparités territoriales et marges de progression subsistent », notent les associations qui relèvent une application partielle et inégale de la loi. Le collectif évoque plusieurs pistes pour améliorer l’accompagnement des jeunes majeurs comme le renforcement des obligations des départements, associé à un soutien financier de la part de l'État. 

 

Elisabeth Crépin-Leblond 

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