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Par Carenews INFO - Publié le 23 février 2024 - 17:55 - Mise à jour le 24 février 2024 - 13:53 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Les droits de la nature, un militantisme écologique pas comme les autres

Plusieurs associations en France défendent la notion de « droits de la nature », convaincues qu'ils permettraient une meilleure protection de l’environnement par la loi. Apparue il y a plus de 50 ans, la doctrine vise à reconnaître aux éléments naturels une personnalité juridique et des droits opposables.

Un collectif d'associations corses a proclamé en 2021 une déclaration des droits du fleuve Tavignanu. Crédits : iStock
Un collectif d'associations corses a proclamé en 2021 une déclaration des droits du fleuve Tavignanu. Crédits : iStock

 

La nature devrait-elle se voir reconnaître des droits pour elle-même ? Être dotée d’une personnalité juridique ? Et même pouvoir intenter un procès en cas de violation de ces droits ? Dans le contexte de la crise climatique, la théorie des « droits de la nature » trace son chemin parmi les discours militants et les actions associatives, comme une nouvelle arme en faveur de la protection de l’environnement. 

Reprise par les associations environnementales, la doctrine prône la reconnaissance d’une personnalité juridique aux éléments naturels et la possibilité de faire valoir leurs droits en justice par le biais de représentants. Un statut inédit dans le droit occidental.

 

La création d’« entités juridiques naturelles » locales

 

En novembre dernier, l’association SOS Durance vivante a proclamé la déclaration des droits de la Durance. L’action symbolique vise à alerter les citoyens et les politiques sur la dégradation de son écosystème. « Il s’agit d’interroger le droit parce que c’est la règle du jeu », explique Jean-Michel Van Couyghen, membre du conseil collégial de l’association.

Parmi les droits reconnus à la rivière, on retrouve celui d’exister, de s’écouler ou de ne pas être polluée. Ces derniers sont aujourd’hui insuffisamment pris en compte lors de l’élaboration des schémas d’utilisation de l’eau et menacés par les différents projets d’aménagements, soutient SOS Durance vivante. L’association dénonce entre autres le sur-aménagement du lit majeur, la bétonisation des rives et des retenues d’eau trop importantes dans le lac de Serre-Ponçon, impactant la santé de la rivière et des espèces qui la peuplent. 

« Aujourd’hui les aménagements perturbent le cycle de l’eau ce qui crée de plus en en plus d’inondations et de sécheresses. Le but de la déclaration est d’essayer de remettre la rivière au centre du jeu », détaille Jean-Michel Van Couyghen.  

Le bénévole conteste l’idée selon laquelle la rivière n’aurait de valeur que pour les usages que les humains peuvent en faire. Il milite pour qu’elle soit reconnue comme une « entité naturelle juridique », un statut qui n’existe pas en droit français aujourd'hui.

 

Une commission verte au barreau de Paris

 

Le concept est défendu par l’association Notre affaire à tous, venue en aide à SOS Durance vivante pour élaborer sa déclaration de droits de la rivière. Ayant pour objet d’utiliser le droit dans la lutte contre le changement climatique, Notre affaire à tous a concentré une partie de ses actions en faveur de la reconnaissance des droits de la nature et de l’écocide. Pour faire avancer cette idée dans le débat public, elle accompagne des collectifs locaux, comme SOS Durance vivante, et les aide à rédiger des déclarations de droits. En 2021, l’association avait notamment accompagné un collectif corse dans la rédaction d’une déclaration de droits du fleuve Tavignanu.

« Ces déclarations ne sont aujourd’hui pas contraignantes. Mais on regarde comment on peut les introduire dans les plans locaux d’urbanismes (PLU) qui, eux, sont opposables », explique Marine Yzquierdo, avocate au barreau de Paris et bénévole au sein de Notre affaire à tous. 

Pour la juriste, les droits de la nature répondent à un manque dans la protection des écosystèmes face à un droit de l’environnement insuffisant. « Le droit de l’environnement actuel manque d’effectivité. Il est complexe et éparpillé dans des codes », explique-t-elle. 

La catégorie d’entité naturelle juridique défendue par les associations, serait ajoutée à la distinction classique entre objets et sujets de droit, et permettrait de faire entendre la voix de l'élément naturel devant un tribunal. « Lors d’un procès, les intérêts opposés humains et non-humains pourront être mis en balance. Cela ne veut pas dire que les droits de la nature vont gagner à chaque fois mais cela permettra de rééquilibrer le rapport de force », défend Marine Yzquierdo. En plus de son engagement associatif, l’avocate a créé une commission verte sur les droits de la nature au barreau de Paris, pour former et échanger avec les autres avocats sur cette doctrine juridique. Lors de sa première réunion en novembre, une cinquantaine d’avocats étaient présents, se réjouit-elle.

 

Un renversement de paradigme

 

Bien que récente, l'idée n’est pourtant pas si nouvelle. Dans le monde occidental, elle remonte à 1972, date de la publication du texte de Christopher Stone « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? » (en anglais « Should trees have standing ? »). Le juriste américain y propose de reconnaître à la nature, en l’espèce une forêt de séquoias géants menacée par la compagnie Disney, une personnalité juridique qui lui permettrait de défendre ses droits procéduraux et substantiels devant la justice. Une forme de révolution, jusque là impensable et largement reprise par les penseurs de l’écologie politique en langue anglaise. 

« On est à l’aube d’un grand virage qui nous fait envisager le monde différemment », affirme Nicolas Blain, créateur du site francophone droitsdelanature.com, sur lequel il recense les initiatives et partage ses analyses sur ce « champ juridique nouveau ». Reconnaître des droits à la nature exige de sortir d’une vision anthropocentrée du monde, pour adopter un écocentrisme à l’origine d’une vision plus horizontale et d’une unicité avec la nature, explique l’ancien juriste en droits humains, engagé pendant plusieurs années dans une entreprise de la reforestation et qui dit avoir été bouleversé à la lecture de la prix Nobel de la paix Wangari Muta Maathai.

 

La reconnaissance chez certaines nations autochtones

 

Au-delà d’une révolution juridique, c’est une révolution philosophique qui est défendue par les promoteurs des droits de la nature. « Il s’agit de reconnaître la nature pour ce qu’elle est et de défendre sa valeur intrinsèque », explique Nicolas Blain. 

Le militant s’appuie notamment sur « la jurisprudence de la terre », une philosophie juridique élaborée par le penseur Thomas Berry. L’éco-théologien américain proposait de se fonder sur la nature pour y établir la source primaire du droit et d’adopter un biomimétisme afin de définir les règles juridiques. Il se fondait sur la notion de « communauté de la terre » et faisait des entités naturelles des sujets de droit. « Il s’agit de se penser comme faisant corps avec le vivant », résume Nicolas Blain, appuyant sur le rôle « mutuellement bénéfique » des êtres vivants entre eux. Pour ses défenseurs, les droits de la nature serviraient ainsi de base à la défense des droits humains

Cette conception pensant le monde comme une symbiose nécessaire entre les humains et la nature a trouvé un écho naturel chez les nations autochtones. L’Équateur a ainsi proclamé dans sa Constitution de 2008 les droits de la Terre-mère, « la Pachamama ». En Nouvelle-Zélande, le Parlement a attribué le statut d’entité vivante au parc national Te Urewera et au fleuve Whanganui. En 2014, un tribunal argentin a quant à lui reconnu le droit d’un orang-outan, « personne non-humaine », à vivre en liberté. En Australie, un collectif milite pour la reconnaissance des droits de la grande barrière de corail.

 

Un virage amorcé dans le droit français 

 

Mais la doctrine a également donné naissance à des évolutions juridiques en Europe. En septembre 2022, le Sénat espagnol a ainsi approuvé la loi conférant une personnalité juridique à la lagune Mar Menor ainsi qu’à son bassin. Une première dans le droit européen.

En France, si aucune personnalité juridique d’éléments naturels n’a encore été conférée, des évolutions ont néanmoins contribué à changer le paradigme du droit de l’environnement au-delà de la prise en compte du seul intérêt humain. En 2006, l’arrêt Erika rendue par la Cour de cassation a reconnu pour la première fois un préjudice objectif porté à l’environnement lors de la marée noire de 1999. Le concept a été ensuite consacré en 2016 par la loi relative à la biodiversité qui introduit dans le code civil l’obligation de réparation du préjudice écologique, ce dernier « consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement ».

En 2021, la loi Climat et résilience a quant à elle introduit le délit d’écocide dans le code de l’environnement, recouvrant deux infractions distinctes. Celle de commettre intentionnellement des atteintes à l'eau, à l'air, à la faune et à la flore visées à l'article L. 231-1, et celle ne de pas se conformer aux règles applicables en matière de gestion des déchets, s'il en résulte des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l'air, du sol ou de l'eau. Depuis le 16 novembre 2023, la notion d’écocide a également été introduite comme infraction aggravée dans un accord sur une directive de l'Union européenne.

 

Un défi démocratique

 

Ces évolutions ne signifient pas pour autant un consensus juridique sur la notion des droits de la nature défendues par les associations. Le professeur de droit Laurent Neyret, fervent défenseur du principe du préjudice écologique, estimait ainsi en 2017 dans le journal Le Monde qu’« accorder des droits à la nature est illusoire ». Le juriste, spécialisé en droit de l’environnement et désormais directeur de cabinet du président du Conseil constitutionnel, écrivait ainsi que « ce n’est pas tant le statut juridique de l’environnement qui importe, entre droits de l’homme ou droits de la nature, que la reconnaissance des devoirs de l’homme à l’égard de l’environnement ». 

Marine Yzquierdo juge quant à elle qu’« il est encore trop tôt » pour faire rentrer les droits de la nature dans le droit français. « Il y a encore un travail de plaidoyer à faire », avant de faire adhérer la majorité à la notion, estime l’avocate. 

De plus, la question du choix des représentants de la nature capables de faire valoir ses droits pose également une question démocratique. « Il n’y a pas de réponse toute faite. Il faut expérimenter et tester avec des personnes issues de domaines différents », affirme Marine Yzquierdo. « Nous sommes prêts à discuter, nous n’avons pas le monopole du porte-parolat », assure quant à lui Jean-Michel Van Couyghen, de l’association SOS Durance vivante.

 

Elisabeth Crépin-Leblond 

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