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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 2 décembre 2024 - 19:00 - Mise à jour le 13 décembre 2024 - 12:56
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Les associations en danger, un bien si précieux à préserver

Interview de Vivianne Tchernonog, chercheuse associée au Centre d’économie de la Sorbonne, grande spécialiste des études sur les associations, et de Martin Bobel, membre du CESE, qui a publié avec Dominique Joseph un rapport intitulé « Le financement des associations, une urgence démocratique ».

Mieux connaître pour mieux agir, le besoin de recherche sur la philanthropie est indispensable.

Des dispositions législatives, réglementaires, fiscales réduisent progressivement et silencieusement les capacités d’intervention des associations en rendant leurs interventions plus complexes et coûteuses. Analyses et regards croisés sur ce phénomène qui prend de l’ampleur alors que l’on sait que ces intervenants du dernier kilomètre permettent de répondre aux besoins en proximité et se battent pour la cohésion sociale. Leurs activités, parfois irritantes par leur liberté, mettent en lumière les angles morts des politique publiques et peuvent apporter des solutions souvent innovantes. L’ampleur des champs d’activité, le nombre des associations et l’action de 22 millions de bénévoles montrent qu’elles sont constitutives d’une démocratie vivante qu’il faut préserver. Le contrat d’engagement républicain est un frein important de la liberté associative et une atteinte à l’esprit de la loi de 1901 qu’il faudrait revoir.

 

État du monde associatif

  • Aujourd'hui, le secteur associatif fait face à de nombreux défis : certaines associations rencontrent des difficultés structurelles et le rapport avec l'État évolue. Viviane, vous avez étudié les associations depuis deux décennies en quoi diriez-vous que le secteur a changé depuis 2000 ?

 

Viviane Tchernonog (VT) : Notre équipe suit effectivement l‘activité des associations en France depuis plus de vingt ans à partir d’enquêtes périodiques qui montrent des évolutions et des transformations majeures à différents niveaux d’un secteur qui occupe une place importante et croissante dans l’économie et dans la société. Les quelques 1,4 million d’associations actives réalisent ensemble un budget de l’ordre de 113 milliards d’euros et contribuent pour 3,3 % au PIB, c’est-à-dire à la production des richesses du pays. La grande majorité des associations fonctionnent sans emploi salarié, en s’appuyant uniquement sur du travail bénévole. Les 144 000 associations qui ont recours à l’emploi salarié génèrent 7,2 % de l'emploi total public et privé du pays, soit environ 2 millions d’emplois qui sont pour la plupart concentrés dans quelques grandes associations.

(Détail des chiffres dans l’encart à la fin)

 

  • Cela signifie-t-il une polarisation du monde associatif ?

 

VT : Oui tout à fait. Outre l’emploi salarié, les budgets associatifs apparaissent très concentrés à différents niveaux. Dans les associations employeuses d’abord : si les associations sans salarié ne sont que faiblement dépendantes des ressources financières puisqu’elles elles s’appuient essentiellement sur le travail bénévole pour mettre en place leur projet, il n’en va pas de même pour les structures employeuses qui ont besoin de ressources régulières. Les associations qui ont recours à l’emploi salarié représentent 10,5 % du nombre total d’associations, mais elles concentrent 92 % du budget cumulé du secteur associatif. Autre chiffre expressif de l’importance de cette concentration : 18 000 plus grandes associations employeuses, le plus souvent actives dans le domaine de l’action sociale et médico-sociale et dans l’éducation concentrent 73 % du budget cumulé du secteur associatif.       

 

L’enjeu du financement, une évolution préoccupante

  • Martin, dans votre rapport, vous mentionnez cette idée d’"urgence démocratique" liée au financement des associations. Pouvez-vous nous expliquer ce concept et pourquoi vous pensez que le financement est devenu une question démocratique ?

 

Martin Bobel (MB) : Cette expression d’"urgence démocratique" est née d’une prise de conscience : les associations jouent un rôle central dans notre démocratie en permettant aux citoyennes et citoyens de s’engager et de contribuer directement à l’intérêt général. Elles sont l’un des piliers de la démocratie participative, notamment à l’échelle locale. Si elles disparaissent, c’est une partie du lien social et de la démocratie locale qui s'effrite. Cependant, les financements se raréfient, en particulier pour les petites et moyennes associations. Depuis les années 2000, on assiste à un basculement des financements sous forme de subventions vers des commandes publiques. Cette évolution change profondément la donne : les associations doivent maintenant se soumettre à des logiques de mise en concurrence pour obtenir des fonds, et elles se retrouvent souvent en compétition avec des entreprises privées. En plus d’inverser le rapport d’initiative au profit d’une logique descendante, ces commandes publiques sont techniquement et administrativement complexes, ce qui les rend inaccessibles pour environ 70 % des associations, selon notre enquête. Ce processus aggrave la concentration des financements vers les grandes structures, marginalisant les petites associations qui n’ont pas la capacité de répondre à ces exigences. De plus, il pousse les associations hors du champ de l’intérêt général au sens fiscal et interroge progressivement la possibilité de les subventionner du fait de règles européennes de concurrence très restrictives.

 

  • Ce glissement vers les commandes publiques et la diminution des subventions se reflète-t-il dans vos études ?   

 

VT : Oui, tout à fait : c’est une tendance forte que nous avons pu observer, et qu’il faut resituer dans les transformations profondes de ses financements que le secteur associatif connait depuis trois décennies. Les financements publics représentent ensemble, toutes modalités confondues, près de la moitié des ressources budgétaires totales des associations, mais la tendance sur le long terme est à une contraction des ressources publiques dans le budget total des associations, malgré l’augmentation de la population et des besoins liés au vieillissement et à l’augmentation de la dépendance.

La baisse des financements publics conduit les associations à rechercher du côté des du financement privé les ressources nécessaires à la poursuite de leur activité. Mais leur marge de manœuvre est ici limitée : les dons et le mécénat ne représentent globalement que 5 % du financement total du secteur associatif, et ils sont en outre concentrés dans les grandes associations. Les deux autres types de ressources privées - les ventes (42 % des ressources) et les cotisations (9 %) - proviennent des usagers ; leur part dans les ressources totales est en forte croissance, elle représente aujourd’hui plus de la moitié des ressources budgétaires des associations. Mais la poursuite de leur augmentation se heurte à des limites évidentes. Elles tiennent à la solvabilité des populations concernées par les actions associatives et aux missions de solidarité et de cohésion sociale des associations qui vise à surtout accompagner les populations les plus démunies. Elle se pose en outre dans des termes différents d’un territoire à l’autre.

Cette baisse est allée de pair avec une transformation des modalités de leur financement : on observe en effet sur le long terme une fonte des subventions publiques et une explosion des commandes publiques. La part des subventions dans le financement, public et privé, des associations est passée d'environ 34 % en 2005 à environ 20 % aujourd'hui. A l’inverse, les commandes publiques, qui prennent la forme d’appels d’offres, de contrats gré à gré ou de délégations de missions de services publics, qui imposent des exigences précises en termes de performance et de contrôle, se sont considérablement développées : elles ne représentaient que 17 % du financement total du secteur associatif en 2005 et elles en représentent aujourd’hui 29 %. Cette transformation impacte fortement les associations n'ont ni la taille critique nécessaire ni les moyens en ressources humaines suffisants  pour répondre efficacement à des appels d’offres ou contracter avec la puissance publique.  

Ajoutons une troisième transformation, et non des moindre : la baisse du poids de l’état et la montée en charge des collectivités locales dans le financement des associations liée aux politiques de décentralisation. Elle présente sans doute de multiples intérêts et notamment celui de rapprocher les décideurs publics des associations. Mais elle a également eu pour conséquence de subordonner de façon croissante le financement des associations à la situation économique locale, et accru les inégalités de développement associatif déjà existantes entre les territoires riches et pauvres.

 

Un bénévolat en pleine mutation

  • Viviane, en matière de bénévolat, qu’observez-vous ? A-t-il évolué au même rythme que le secteur ?

 

VT : Le bénévolat est l’épine dorsale de nombreuses associations et il a en outre une forte importance symbolique. Malheureusement, la connaissance du travail bénévole est insuffisante : les données disponibles sur le sujet sont en effet peu nombreuses, irrégulières et les résultats disponibles varient considérablement d’une étude à l’autre selon les méthodologies utilisées. Nos enquêtes auprès des associations, qui comportent quelques questions sur le bénévolat, montrent que le travail bénévole a connu depuis plusieurs décennies un essor important allant de pair avec le développement du nombre des associations.

Au-delà des questions de volume, le bénévolat a connu des évolutions importantes au fil du temps, avec d’abord un vieillissement des bénévoles. La part des bénévoles âgés de plus de 65 ans était de 16 % en 2002, elle est aujourd’hui de l’ordre de 20 % alors que dans le même temps la part des bénévoles de moins de 35 ans (26 % des bénévoles) a diminué. Cette tendance est préoccupante. Le vieillissement des bénévoles impacte les présidences associatives : le poids des seniors dans les présidences d’associations est passé de 32 % en 2005 à 47 % en 2021. La seconde transformation majeure du travail bénévole est un changement de nature du bénévolat. Les bénévoles tendent de plus à s’engager pour des missions ponctuelles, sans souhaiter s’investir dans la durée ou dans des responsabilités de gouvernance. Cela complique le fonctionnement des associations, qui ont aussi besoin de bénévoles impliqués sur le long terme dans la vie de l’association. Ajoutons que la professionnalisation croissante des actions associatives impacte aussi les besoins en bénévolat. Les associations ont certes besoin de bénévoles, mais de bénévoles possédant les compétences nécessaires au projet associatif, et cet ajustement de l’offre à la demande de travail bénévole apparait souvent difficile.

 

  • Y a-t-il des stratégies pour attirer et retenir les jeunes bénévoles, malgré cette volatilité ?

 

MB : Ce modèle de bénévolat « de projet » convient aux jeunes, mais il ne remplace pas un engagement stable. Beaucoup de jeunes sont motivés par l’impact social direct de leurs actions (Claire Thoury l’étudie très bien dans son livre le 3e temps de l’engagement), mais moins par la gestion associative en elle-même, qui s’est complexifiée et alourdie. Pour les associations, cela pose un défi de taille, car elles doivent réinventer leurs modes de fonctionnement pour attirer et retenir une nouvelle génération de bénévoles. L’utilisation des outils numériques peut, par exemple, faciliter l’accès au bénévolat à distance, répondant ainsi aux attentes des jeunes tout en permettant aux associations de toucher un public plus large. Mais cela peut être coûteux et chronophage.

 

Demain, comment soutenir le monde associatif ?

  • Martin, quelles solutions préconisez-vous dans votre rapport pour éviter cette concentration et soutenir les petites associations ?

 

MB : Notre rapport s’est appuyé sur le résultat de questionnaires, d’auditions, de journées de travail. Nous proposons plusieurs axes d'action, je peux vous en citer quelques uns.

Premièrement, nous recommandons une hausse significative du budget public attribué sous forme de subvention. Pour le budget de l’État le CESE préconise que les subventions atteignent 2,5 % de son budget contre 1,7 % aujourd’hui.

Nous recommandons de remettre la subvention au cœur du financement public des associations, car elle est l’instrument le plus fonctionnel pour financer l’initiative citoyenne d’intérêt général. Nous proposons de l’améliorer et de mieux juridiquement la sécuriser tant pour les pouvoirs publics, les élus, que les associations. Cela permettrait de préserver leur autonomie et d'alléger les contraintes administratives. Nous avons également proposé la création d’un Fonds de mobilisation pour la vie associative, cogéré entre l'État, les collectivités locales et les représentants du secteur, qui pourrait soutenir les petites structures. Ce fonds, cogéré sur le modèle du FONJEP, serait en quelque sorte un levier pour renforcer la diversité associative en ciblant en priorité les petites et moyennes structures qui apportent des solutions de proximité. Il pourrait également encourager l’innovation sociale et offrir une réponse adaptée aux besoins spécifiques des territoires. Enfin, il est essentiel de simplifier les démarches administratives. En rationalisant ces procédures, on permettrait aux associations de consacrer plus de temps à leurs missions et moins aux contraintes bureaucratiques, ce qui in fine renforcerait l’attractivité du bénévolat de gouvernance.

En plus de restaurer la subvention comme mode de financement principal, nous avons proposé de simplifier les démarches administratives pour que les associations aient accès aux financements publics de manière plus fluide. Beaucoup d’associations sont découragées par les formalités qui accompagnent les demandes de financement.

Pour permettre de restaurer un cadre de confiance entre pouvoirs publics et association, le CESE appelle à l’abrogation du "contrat d’engagement républicain" car il instaure une méfiance à priori vis-à-vis du projet associatif. Nous proposons de le remplacer par la charte d’engagement réciproque, fondée sur la confiance et qui détermine les rôles, droits, devoirs et responsabilités tant des associations que des pouvoirs publics. Nous avons également suggéré d’augmenter les financements du FONJEP (Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire) et du FDVA (Fonds de développement de la vie associative), pour renforcer les dispositifs de soutien aux petites associations locales.

 

  • Viviane, selon vous, quelles seraient les priorités pour l'État et les collectivités dans le soutien à ce secteur ?

 

VT : L’État et les collectivités locales devraient sans douter porter une attention plus grande à la situation des associations qui n’ont pu s’adapter aux nouvelles modalités des financements publics : ces associations, qui sont souvent portées par des acteurs locaux et des citoyens sont très intégrées dans les territoires et développent des actions qui répondent à des besoins locaux. Leur disparition laisserait la place à un secteur associatif composé d’un coté des grosses associations gérant les missions de service public et captant la quasi-totalité des ressources et de l’autre de très petites associations de bénévoles dont la vitalité est importante.  Elles devraient pouvoir bénéficier d’un soutien public plus ciblé et de démarches administratives simplifiées.   

 

  • Pour conclure, quels sont, selon vous, les enjeux cruciaux à venir pour le secteur associatif ?

 

VT : Il est très important que le développement des associations, et la nécessité de trouver les moyens nécessaires à leur action dans le court terme ne mettent en danger les fondamentaux des associations en les amenant à s’éloigner des principes et les valeurs qui ont guidé leur action depuis l’origine. 

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

 

Le Paysage associatif français - Profil, financements, perspectives
Viviane Tchernonog

 

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