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Par Carenews INFO - Publié le 11 juillet 2025 - 17:24 - Mise à jour le 11 juillet 2025 - 17:48 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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La déception des ONG de solidarité internationales à l’issue de la conférence de Séville

La conférence de Séville sur le financement du développement, qui s’est achevée le 3 juillet, a été une « occasion ratée », selon plusieurs organisations de solidarité internationale françaises. Ces dernières appellent à une reconnaissance de la crise de la dette qui pèse sur de nombreux États et sur le développement, ainsi qu’à une plus grande prise en compte de la société civile.

La Conférence s'est déroulée sous l'égide des Nations unies. Crédits : iStock.
La Conférence s'est déroulée sous l'égide des Nations unies. Crédits : iStock.

 

La 4e conférence des Nations Unies sur le financement du développement s’est achevée jeudi 3 juillet à Séville, après quatre jours de négociations encadrées par la Norvège, le Népal, le Mexique et la Zambie. Dans un contexte de recul des États occidentaux sur les financements de l’aide au développement, la rencontre internationale nourrissait les espoirs des organisations françaises de solidarité internationale. 

« Cette conférence représente une occasion unique de redresser la barre », considérait par exemple Coordination Sud dans un communiqué publié en mai. « Aujourd’hui le développement et son grand catalyseur - la coopération internationale - sont confrontés à des vents contraires massifs », pointait également du doigt le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors du premier jour de la conférence, appelant de ses vœux à « accélérer les investissements à l’échelle et à la vitesse requise » afin de « réparer et relancer le moteur du développement ». 

  

Un contexte de désengagement budgétaire de la part des États occidentaux 

  

Depuis le mois de janvier, les États-Unis, absents à Séville après s’être retirés du processus, ont suspendu la majorité des programmes de leur agence pour le développement international (USAID), qui permettaient de financer 42 % de l’aide humanitaire mondiale en 2024. Le 1ᵉʳ juillet, soit lendemain de l’ouverture de la conférence, cette même agence américaine a été officiellement dissoute.  

De l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, de nombreux pays, dont la France, ont procédé ces derniers mois à des coupes budgétaires de grande ampleur dans l’aide publique au développement. En parallèle pourtant, les besoins ne cessent de croître. 

Mais les résultats des négociations n’ont pas été à la hauteur des espoirs formulés. « Le constat est celui de la déception. Malgré des appels répétés des pays du Sud et de la société civile à agir rapidement pour résoudre la crise de la dette en cours, qui engendre une crise du développement, le texte a été vidé de son ambition, notamment par les pays riches », regrette Mathieu Paris, chargé de plaidoyer dette et aide publique au développement au sein du CCFD-Terre solidaire. 

 

Il y a des pays qui ne peuvent plus financer leurs secteurs publics ni leurs dépenses sociales à cause de la dette. Mais le FMI et certains pays riches préfèrent parler de crise de liquidités ».

Mathieu Paris

  

Un accord loin d’être à la hauteur de la crise de la dette, selon le CCFD-Terre solidaire 

  

En dépit de quelques mesures « bienvenues » mais « très dépendantes de leur implémentation », le responsable du CCFD-Terre solidaire déplore un engagement « à demi-mot » de la part de la communauté internationale. « Il y a un décalage entre l’ampleur de la crise de la dette et les réponses adoptées », appuie-t-il.  

Alors que l’ONU considère qu’il faudrait 4 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour combler le déficit de financement des objectifs de développement durable, plus de 1 000 milliards de dollars ont été dépensés par les pays du Sud en 2023 dans l’unique but d’assurer le remboursement de leurs dettes, rappelle Mathieu Paris. « Il y a une vraie urgence », interpelle-t-il. 

Parmi les mesures adoptées lors de la conférence, se trouve par exemple l’engagement à travailler sur un registre de transparence de la dette des pays ainsi que le lancement d’une coalition de pays pour mettre en place des clauses de suspension en cas de chocs climatiques touchant un pays. « Pour nous, c’est une demi-mesure car cela existe déjà. De plus, on ne connaît pas les seuils de déclenchement de ses clauses, qui par ailleurs ne prennent pas en compte d’autres chocs externes importants, comme les enjeux sanitaires », considère-t-il.  

Concernant la création d’un « forum des emprunteurs », visant à permettre aux pays qui empruntent de se coordonner, le chargé de plaidoyer du CCFD-Terre solidaire qualifie l’initiative de « bienvenue » mais « largement insuffisante », dans la mesure où la crise de la dette n’a pas été reconnue par l’ensemble de la communauté internationale. « Il y a des pays qui ne peuvent plus financer leurs secteurs publics ni leurs dépenses sociales à cause de la dette. Mais le FMI et certains pays riches préfèrent parler de crise de liquidités », dénonce-t-il.  

Autre déception pour l’organisation, la disparition de la convention sur les enjeux des dettes aux Nations unies, pourtant évoqué dans la version provisoire de l’accord. « Cela aurait permis d’avoir des discussions contraignantes au niveau des Nations unies. Aujourd’hui ces conversations ont lieu dans des clubs dominés par les intérêts des pays riches, comme le Club de Paris, le G20, le G7 et le FMI », déplore Mathieu Paris.  

  

Les financements privés, une solution risquée qui alerte les ONG 

  

Pour pallier le désengagement financier des pays occidentaux, l’appel aux financements privés a été particulièrement mis en avant, juge de son côté Aurore Pereira, chargée de plaidoyer égalité de genre au sein de l’ONG Care France. « La conférence a donné l’impression que l’aide publique au développement allait être financée par le secteur privé. En réalité, c’est une façon pour les États de se désengager », considère-t-elle. « Il y a encore l’attente que le secteur privé va miraculeusement remplacer le secteur public, mais cela fait dix ans que nous les attendons », abonde en ce sens Mathieu Paris. 

Les deux responsables associatifs appuient sur les risques inhérents à la part croissante du secteur privé dans le financement du développement. « Ces financements sont largement réalisés sous la forme de prêts et non de dons, ce qui signifie qu’ils continuent d’alourdir la dette. De plus, ils se concentrent sur des projets rentables à court terme. C’est un vrai danger pour les politiques sociales », analyse Mathieu Paris. Alors qu’une grande part des dettes des États sont d'origine privée, le chargé de plaidoyer du CCFD-Terre solidaire dénonce une « peur des États du Nord de froisser les créanciers privés », en imposant davantage de régulation. 

Pourtant, « sans réguler le secteur privé, d’énormes problèmes se posent », alerte Aurore Pereira. « Y compris concernant les violences envers les femmes », ajoute-t-elle.  

Pour elle, le compromis de Séville adopté en amont de la convention ne prend pas du tout suffisamment en compte ces enjeux. « Dès mars, les références à l’égalité de genre ont été supprimées du texte. Le texte ne s’intéresse pas à la réalité des femmes et ne permet pas de réels changements structurels dans l’architecture financière pour mettre fin à la pauvreté », accuse-t-elle. 

 

Nous ne pouvons pas lutter contre la pauvreté en laissant de côté la moitié de la population ». Aurore Pereira.

  

Un processus de décision critiqué 

  

En plus du fond, Aurore Pereira regrette un processus qui a mis de côté la société civile et la voix des femmes. « Il y a un véritable enjeu de représentation. Nous ne pouvons pas lutter contre la pauvreté en laissant de côté la moitié de la population », interpelle-t-elle. Or, « le texte est extrêmement silencieux sur les oppressions et la marginalisation systémique des femmes. Il fait seulement référence à ces dernières en tant que potentiels économiques ».  

Durant la conférence, les organisations de la société civile ont eu la sensation d’être mises à l’écart, après s’être fait confisquer des éventails, des t-shirts et certains prospectus affichant des slogans, comme « la dette tue le développement ». « Nous étions cantonnés à de petits espaces où il faisait très chaud tandis que le forum business se déroulait dans un grand auditorium climatisé », raconte Aurore Pereira, voyant dans cette scène une forme d’illustration des rapports de force.  

Alors que les femmes se retrouvent en première ligne des politiques d’austérité menées par les États, « il y a eu une seule prise de parole féminine sur une dizaine d’intervention lors du lancement de la conférence », regrette la chargée de plaidoyer égalité de genre. « Il faudrait la parité au plus haut niveau des hautes sphères stratégiques », affirme-t-elle, dénonçant le poids de plus en plus important « d’États conservateurs hermétiques aux valeurs onusiennes ». 

 


À lire également : Les pays développés ne respectent pas leurs engagements d’aide internationale en faveur du climat


 

  

Un appel à plus d’ambitions de la part de la France 

  

Enfin, la question du financement des pertes et dommages climatiques reste prégnante, soulève Mathieu Paris. Malgré des prises de parole des États africains et insulaires qui subissent fortement les conséquences du réchauffement climatique y compris sur leurs dettes, « la responsabilité des pays du Nord n’a pas été reconnue », déplore le chargé de plaidoyer du CCFD-Terre solidaire. « Ce sont des discussions qui vont devoir reprendre à Belém [lors de la Cop 30] », soutient-il. Là encore, la question de la nature des financements pose question. « 70 % des financements climatiques sont réalisés sous forme de prêts. De plus, ils vont à des secteurs qui sont rentables, ce qui ne répond pas à la question des pertes et dommages », estime Mathieu Paris, appuyant sur le « lien inextricable » entre dette et climat. 

Si la France s’est prononcée en faveur d’une taxe sur les billets d’avion premium qui servirait à financer « les transitions équitables et la résilience » face au changement climatique, cette mesure « manque d’ambition comparé au rôle que la France pourrait et devrait avoir sur les enjeux de dette », estime Mathieu Paris. « C’est une bonne nouvelle mais ce n’est qu’un début », considère de son côté Aurore Pereira. 

Les deux responsables appellent la France à s’engager pour davantage d’ambition dans le règlement de la dette et le financement du développement lors des prochains rendez-vous internationaux, notamment lors de sa présidence du G7 en 2026. Parmi les mesures défendues par le CCFD- Terre solidaire, se trouve par exemple l’annulation de certaines dettes trop pesantes, des financements climat d’origine publique ou encore des critères de transparence accrus dans les contrats de prêts. 

 

Élisabeth Crépin-Leblond

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