[SAGA MÉCÉNAT] Produits en partage
Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une saga estivale. À travers des chroniques étudiant quelques cas d'études Bernard Hasquenoph retrace quelques étapes-phares du fundraising : financement participatif, produit-partage, adoption de bancs... Retrouvez cette semaine son récit sur l'histoire du produit-partage dans les établissements culturels français...
Qui veut une carte postale ? En 1895, l’État créa la Réunion des Musées Nationaux (RMN) dans le but de recueillir des fonds pour à l’époque seulement quatre établissements, notamment par la vente d’estampes, de moulages et autres reproductions d’oeuvres de leurs collections. S’ajoutèrent en 1921 photographies et catalogues en même temps qu’un service commercial était créé et que les musées devenaient partiellement payants, non sans polémique. Peu à peu, leurs boutiques s’étoffèrent mais c’est réellement à partir des années 1980 que cette source de revenus se développa, à l’instar des musées américains, répondant à une demande toujours plus forte. En 1990, la RMN qui rassemblait désormais 33 musées devint un établissement public industriel et commercial, avec entre autres missions « de favoriser la fréquentation des musées nationaux et la connaissance de leurs collections en éditant et diffusant de façon commerciale des produits dérivés des oeuvres qui y sont conservées... » De quoi sourire à la vue de certains bibelots en vente dans ses boutiques dont elle perdra ensuite le monopole. La formulation disparaîtra d’ailleurs en 2011 quand elle fusionnera avec le Grand Palais. Vendons gommes, éventails et tapis de souris en toute liberté ! Ainsi, coexistent dans les boutiques de musées, produits bas de gamme mais qui rapportent, et objets de meilleur goût souvent chers mais plus valorisant pour l’établissement. Car le produit n’est pas seulement source de revenus mais aussi vecteur d’image. Ce qui entraîne parfois des conflits, comme « l’affaire des tongs de la Joconde » selon l’expression d’un rapport parlementaire de 2009. La boutique du Louvre gérée par la RMN proposait une ligne jeunesse « décalée » incluant une paire de tongs à l’effigie du célèbre portrait qui se vendait bien, mais qui ne fut pas du goût du musée qui l’avait pourtant validée. Le marketing pénétrant toujours plus les arcanes des musées, dans les années 2000 les grandes institutions se mirent à déposer des mots en tant que marques. Pour protéger leur image - parfois de manière abusive en multipliant les « marques barrage » pour empêcher la concurrence - mais aussi pour se lancer dans le business, directement ou en concession de licence. Avec un argument publicitaire puissant permettant des prix élevés, à savoir que l’achat, quasi assimilé à un geste de mécénat, contribue à la sauvegarde du patrimoine. Fort d’une cinquantaine de marques déposées, le Château de Versailles a à peu près tout tenté, exploitant un filon historique plus ou moins authentique : produire un vin, le Rosé de Marie-Antoinette (qui ne buvait que l’eau) sans réel résultat ; créer un parfum, reconstitution d’une fragrance préférée de la Reine (sans vraiment d’archives) ; proposer une ligne d'épicerie fine haut de gamme, française et bio aux « recettes (...) s’inspirant du renouveau culinaire initié par Louis XIV » ou des caisses à oranger, « adaptations brevetées des bacs jardiniers du 17ème siècle créés par André Le Nôtre »... Toujours plus prestigieux, le château lança en 2015 une souscription pour un carré Hermès vendu en édition limitée à 355 euros spécialement conçu pour Versailles. Devant « contribue[r] à soutenir la restauration et le remeublement des appartements royaux », la vente lui rapporta 330 000 euros sur 735 000 euros de recettes. L’année suivante, l’opération fut réitérée avec un parfum Guerlain inspiré de ses jardins à 550 euros. Un prix prohibitif pour un grand nombre de personnes qui s’en plaignirent sur les réseaux sociaux. Reste la nature incertaine de l’opération, aucun pourcentage d’argent versé au final au château n’étant précisé à l’achat. A ce détail près, cela aurait pourtant pu faire penser à un produit-partage . Une formule assez récente qui voit une marque s’associer à un organisme d’intérêt général pour vendre un produit,en lui reversant à la fin une partie de ses bénéfices. Fiscalement, selon la proportion donnée, l’acte est assimilé à du parrainage ou à du mécénat. En 2017, le Centre des monuments nationaux, souvent également innovant, s’est lancé dans l’aventure. En partenariat avec les Tricots Saint James, une série limitée de marinières a été proposée à 45 euros pièce - l’opération court jusqu’au 15 octobre - pour 2,50 euros en faveur de la restauration du cloître de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. D’autres établissements réfléchissent à la formule. Ainsi un jour, telle la Belle au bois dormant, pourra-t-on peut-être dormir sur un matelas Château de Chambord…