Intissar Koussa (France Parrainages) : « Nous avons ressenti une ”sur” mobilisation des parrains en exercice et un engouement pour le parrainage »
Responsable des Actions France pour l’association France Parrainages, Intissar Koussa nous a partagé son regard sur les droits des enfants au temps du Covid et du parrainage de proximité.
En France, plus de 300 000 enfants sont confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Souvent placés en foyer ou en famille d’accueil, sans un cadre familial et des adultes « repères » pour les soutenir, ces jeunes sont nombreux à éprouver des difficultés pour s’insérer dans la société. C’est le constat de l’association France Parrainages, qui œuvre pour un parrainage de proximité. Dans une étude récente de l’association, 69 % des jeunes placés parrainés ont estimé que le parrainage a été un appui dans les moments difficiles. Autre constat important, 61 % des jeunes placés et parrainés obtiennent un emploi contre seulement 20 % pour les jeunes placés et non parrainés. L’enjeu est de taille pour ces enfants et leur avenir.
Nous avons rencontré Initissar Koussa, la responsable des Actions France de l’association pour échanger sur la situation des droits des enfants et l’actualité de la crise du Covid et ses répercussions sur l’activité de parrainage.
- Bonjour Intissar, pouvez-vous nous présenter l’association France Parrainages et votre parcours ?
Initialement, j’ai un master en relations internationales, à la suite de quoi, je me suis engagée dans des projets de coopération décentralisés auprès de l’organisme Cités Unies France. J’étais chargée de mission pour un programme de coopération entre la France et les pays d’Afrique du Nord, sur des sujets politiques concernant la jeunesse, l'enfance et le handicap. Ensuite, j’ai eu envie de rejoindre une entité où je pouvais vraiment me rendre compte de ce qui se passait sur le terrain afin de mieux appréhender les politiques publiques nécessaires. J’ai d’abord travaillé dans une association d’insertion professionnelle pour de jeunes bénéficiaires du RSA, avant de rejoindre l’association France Parrainages en tant que responsable des Actions France.
L’association France Parrainages a une première mission à visée internationale, bien connue d’ailleurs sur le territoire français, essentiellement pour le parrainage d’un enfant dans un pays en voie de développement. Une autre mission concerne le parrainage de proximité et des actions de soutien à la parentalité.
Nous sommes implantés sur les territoires grâce à huit antennes au total et huit associations partenaires. Il y a quatre antennes historiques : l'Ille et Vilaine, l’Ile-de-France, le Nord et la Picardie. En 2020, quatre nouvelles antennes ont été ouvertes, grâce à l’Agence nationale de la cohésion des territoires, en Seine-Saint-Denis, en Moselle, dans les Ardennes et le Pas-de-Calais. Cela représente 35 salariés au total, un chiffre en constante évolution, notamment grâce aux nouvelles ouvertures d’antennes. Ce sont des salariés à plein temps, essentiellement des éducateurs spécialisés, une assistante sociale référente parrainage qui a suivi une formation spécialisée et des psychologues.
- Quelles sont les principales actions menées par l’association en 2020 ?
Près de 950 enfants ont été accompagnés sur l’année 2020. Ce qui représente un fort intérêt pour le dispositif de parrainage, qui intéresse principalement les conseils départementaux et les services de protection de l’enfance.
Notre objectif est de pouvoir développer le parrainage et de proposer un dispositif à tous les enfants qui le souhaitent, partout en France. Or ce n’est pas le cas aujourd'hui. Il y a encore beaucoup trop de territoires qui sont dépourvus de cette possibilité. Nous avons d’ailleurs bon nombre de candidatures de parrains et marraines qui n’aboutissent pas, car le parrainage de proximité n’existe pas dans leur département et nous ne pouvons les réorienter vers aucune structure dans certains départements.
- Comment sont créées les nouvelles antennes ?
France Parrainages ouvre des antennes dès qu’un département a émis la volonté de développer le parrainage de proximité en complément des dispositifs de prévention et de protection de l'enfance. Nos premiers partenaires, financiers et techniques, sont les conseils départementaux et les services Enfance Famille. Nous coconstruisons le projet, selon les départements, il peut s’agir de parrainage d’enfants dans le cadre de projets de protection ou de prévention, ou parfois sur les deux projets.
La remontée du besoin en parrainage de proximité vient du terrain, des agents du service de protection de l’enfance. Ce sont eux qui vont évaluer les besoins dans un territoire donné, en échangeant avec les travailleurs sociaux. Ce diagnostic sera ensuite porté à la connaissance de leur direction, puis au niveau du conseil départemental, auprès des élus, en l’incluant dans les schémas budgétaires départementaux annuels. Notre force est de proposer un parrainage professionnalisé, avec des équipes formées, dispensé par des travailleurs sociaux salariés. Une antenne France Parrainages a un coût. Il faut avoir envie d’investir dans notre action, dont les premiers résultats parfois ne se verront qu’au bout de un à deux ans.
Au niveau du développement territorial, nous bénéficions principalement d’un cofinancement par les conseils départementaux et l’agence nationale de la cohésion nationale des territoires. En complément, nous avons des financements privés comme celui de la Fondation Bettencourt depuis six ans, et de la Fondation Bruneau qui nous soutient dans le développement de l’association France Parrainages depuis le début, ainsi que la French-American Aid for Children (FAAFC), mécène historique depuis plus de 20 ans, de Français établis aux États-Unis et qui a un projet de parrainage pour la France.
- Quelles sont les démarches pour parrainer un enfant chez France Parrainages ?
Le prérequis est de participer à une réunion d'information. France Parrainages organise une réunion mensuelle ouverte à toutes les personnes qui souhaitent parrainer un enfant. C'est un moment clé et un véritable panorama sur ce qu’est le parrainage de proximité, l’aide sociale à l'enfance, quels sont les profils des enfants accompagnés, les relations avec les travailleurs sociaux, avec l'association et avec les parents des enfants.
C’est ce qui va amener le-la candidat.e à aller plus loin dans la démarche de parrainage. Ensuite, le dossier administratif est envoyé aux personnes identifiées. C’est le premier pas de l'engagement envers l’association, avec la constitution des principaux documents, pièces d’identité, casier judiciaire, attestations d’assurance, etc. Autre information importante nécessaire au dossier, des renseignements sur le projet de parrainage, par exemple, pourquoi il arrive maintenant, est-ce un projet familial ?
Ensuite, un premier entretien est organisé avec une personne de l’association, puis un second aura lieu trois mois plus tard, plus poussé, avec un autre travailleur social, pour vérifier comment le projet s'inscrit dans l’histoire de vie des parrains, et comment l'enfant sera accueilli à leur domicile. Au total, il faut compter un délai de six mois pour valider un projet de parrainage, entre la première réunion d'information et l’engagement auprès du filleul.
- À quel engagement cela correspond ?
Il s’agit d’un engagement sur le long terme. En effet, la durée du parrainage de l’enfant chez France Parrainages dure de cinq à sept ans, et cela peut même perdurer au-delà de la majorité des enfants. On va coconstruire avec les parrains le projet de parrainage, vérifier si celui-ci s’accorde avec l’histoire de l'enfant. Les enfants et les jeunes parrainés ont entre 18 mois et 18 ans. Il est d’ailleurs possible d’aller plus loin, notamment lorsqu’il s’agit d’un contrat jeune majeur de l'aide sociale à l'enfance. Le point commun est la libre adhésion. Souvent, les enfants sont en demande d’un parrainage.
Ce sont principalement des enfants suivis dans le cadre de la protection à l’enfance. Ils sont soit placés ou vivants chez leur famille. La moitié d'entre eux fait l'objet d’une mesure sociale. Le parrainage peut être mis en place dans un cadre préventif, pour des familles monoparentales ou nombreuses, identifiées par des travailleurs sociaux de secteur, comme vivant une fragilité. Ces familles peuvent se saisir du parrainage de proximité pour éviter la question de la protection de l’enfance. Les parrainages se font à des rythmes très différents, à minima, une fois par mois, le temps d’un weekend. Dans certains cas, c’est plus fréquent, par exemple, tous les weekends, puis petit à petit, avec des nuités, puis pendant les vacances scolaires. Cela peut-être de l'aide aux devoirs, dans ce cas, on met en place un dispositif co-éducatif, avec les parents. Nous avons fait une étude sur l’appréciation des relations entre parrains et les parents, et la majorité avait répondu avoir des relations cordiales voire amicales. Parfois, les parrains deviennent de véritables repères pour les jeunes. Certaines histoires entre jeunes parrainés et parrains aboutissent sur des adoptions simples.
- Quels ont été les impacts de la crise sanitaire sur le parrainage de proximité ?
Notre association est basée sur le lien social, le partage et la rencontre entre les personnes. La crise sanitaire a mis à l’épreuve l’essence même de l’activité de parrainage de proximité. Nous avons donc dû réadapter les relations entre les parrains et les enfants, les accompagner notamment sur l’utilisation des outils numériques pour leur apprendre à partager du temps, comme avant la crise du covid. Les parrains ont réussi à revoir leur filleul après le premier confinement. Les services de protection à l’enfance et l’agence nationale de cohésion des territoires nous ont autorisés à poursuivre notre engagement et nos activités de parrainage pendant toute cette période. Nous n’avons pas trop souffert du confinement, et surtout, nous n’avons perdu aucun parrainage depuis le début de la pandémie. C’est très important. Les relations se sont au contraire rapprochées particulièrement pour les enfants placés et ceux vivant dans des milieux familiaux fragilisés. Mais plus récemment, nous ressentons certaines réticences de la part des parrains à organiser des rencontres aussi régulièrement.
Nous avons aussi constaté des impacts plus négatifs, notamment chez des enfants placés en établissements, qui ont réellement décompensé psychologiquement pendant la période de confinement. Ils tournaient en rond, ne voyaient personne. En lien avec le service de la protection de l’enfance, nous avons pu agir et permis à certains enfants de passer un temps de confinement chez leur parrain. Les mères seules, déjà isolées, ont vécu un isolement social exacerbé par le confinement. Heureusement, il y a eu un réseau d’entraide des parrains envers ces familles pour les aider dans l’organisation des achats alimentaires, des rendez-vous chez le médecin, tous se sont relayés pour pallier les difficultés du quotidien.
Nous avons ressenti une “sur” mobilisation des parrains marraines en exercice et un engouement pour le parrainage, avec une arrivée massive de demandes de parrainages qui se sont concrétisées malgré la crise sanitaire. Nous nous sommes retrouvés, en fin d’année, dans la majorité de nos antennes, avec beaucoup plus de parrains en attente que d’enfants en attente de parrainage.
- Quels sont les projets à venir ?
La crise sanitaire est venue bouleverser un peu nos ambitions. Nous devions nous consacrer principalement au déploiement de notre développement territorial en 2021 et 2022. Nous allons donc travailler à la stabilisation des quatre nouvelles antennes ouvertes, les pérenniser, c'est très important. Dans les projets à venir, nous avons reçu des appels des départements du sud de la France comme l’Hérault, le Var, le Lot-et-Garonne, qui commencent à s’intéresser au développement du parrainage dans leurs territoires.
- Enfin, quel regard portez-vous sur les mesures annoncées par le gouvernement au sujet des droits des enfants et du parrainage, vont-elles dans le bon sens ?
La cause de l’enfance est de plus en plus portée dans l’espace public, c’est un très bon signal. Ce qui est intéressant, à mon sens, c’est de voir que les médias se saisissent aussi de cette question du droit des enfants, longtemps passée sous silence, et qui anime des milliers de travailleurs sociaux au quotidien chaque année. Les travaux en cours, annoncés par le gouvernement, sur un plan de réforme de la protection de l’enfance sont également très positifs. Le secrétaire d’État, Adrien Taquet a reconnu lui-même la défaillance du pilotage de cette politique publique. Et la responsabilité de l’État. Les résultats étaient attendus normalement à l’automne 2020, il n’y a rien eu à ce jour. Mais les choses vont dans le bon sens. Je continue de penser que c’est grâce à la mobilisation de la société civile que les lignes bougent. J’inclus aussi la question de la qualification de l’inceste et des violences sexuelles faites aux enfants. L’annonce récente du seuil de non-consentement fixé à 15 ans et à 18 ans en cas d’inceste, c’est très bien et nécessaire. Il faut frapper fort.
Autre sujet d’actualité en lien avec l’association France Parrainages, dont on parle un peu moins, mais qui nous concerne, c’est le plan de soutien qui vient d’être annoncé par le gouvernement. Le dispositif « 1 jeune 1 mentor » vise à soutenir les associations et les entreprises dans le mentorat. Je salue cette initiative, car chez France Parrainages, nous avons un programme intitulé « Tandem Plus », qui représente 20 % de parrainages de jeunes de 16 à 21 ans dans l’insertion socioprofessionnelle. C’est très positif.
Christina Diego