Retour sur l’évaluation d’impact social du Campus Connecté Romans : la démarche, les résultats et les apprentissages
Lancés par le ministère de l'Enseignement supérieur il y a deux ans, les campus connectés permettent de suivre des études supérieures à distance, dans des lieux collectifs et conviviaux. On en compte aujourd’hui 89 sur tout le territoire français. Après deux ans d’expérience, le Campus Connecté Romans partage son étude d’impact social. Rencontre avec Michaële Groshans, responsable projet et partenariats au sein du Campus Connecté Romans.
Retrouvez les résultats de l’évaluation d’Impact du Campus Connecté Romans en cliquant ici.
Michaële, peux-tu nous expliquer ce qu’est le Campus Connecté Romans en quelques mots ?
Le Campus Connecté Romans, c’est un espace de proximité qui est situé à Romans-sur-Isère (commune de 33 000 habitants située dans la Drôme). À son origine il y un constat : le taux de poursuite scolaire après le bac est particulièrement faible dans le bassin romanais. Et ce pour de multiples raisons comme l’autocensure des jeunes, le manque de mobilité...
Alors en 2019, sur une initiative conjointe de la Ville de Romans, de la Fondation Break Poverty et de l’association d'éducation populaire ACCÈS, le campus connecté a vu le jour. Concrètement, c'est un lieu physique où l'on peut mener des études supérieures à distance tout en étant accompagné de manière individuelle et collective. Et plus encore : c’est aussi un lieu d'animation de la dynamique de la ville qui renforce le lien entre les étudiants et leur territoire.
Qui peut s’inscrire au Campus Connecté Romans ?
Potentiellement toute personne du bassin romanais qui est inscrite (ou souhaite s’inscrire) dans un parcours de formation à distance. Nous avons deux cas de figure principaux :
- L'étudiant qui a démarré sa formation et qui souhaite bénéficier d’un lieu physique d’étude et d'accompagnement. Par exemple, nous avons une étudiante mère de famille qui avait besoin d’un espace d’étude à proximité de chez elle, ou encore des sportifs de haut niveau qui ne pourraient pas mener des études dans une grande ville parce que leurs clubs sont ici.
- L’étudiant qui n’a pas été admis dans le parcours de son choix en présentiel et qui va pouvoir suivre cette formation pendant un an grâce au distanciel, avant de rejoindre le parcours principal.
Aujourd’hui, c’est plus d’une trentaine d’étudiants qui ont été accompagnés grâce au campus connecté.
Vous avez pris la décision d’intégrer l’évaluation d'impact social dès le lancement du projet il y a deux ans. Pourquoi et comment avez-vous lancé cette démarche ?
Quand un étudiant rejoint le Campus Connecté Romans, notre objectif va bien plus loin que de l’accompagner dans la réussite de son année scolaire. Suivre le taux de réussite des étudiants, c’est facile : en fin d'année on regarde qui a validé son année ou pas, et on en déduit un taux.
L’accompagnement du Campus Connecté Romans va au-delà du projet scolaire. Il se concentre sur trois objectifs clés :
- Devenir autonome dans sa formation et développer une stratégie d'apprentissage : être capable de planifier son travail, de s’approprier les attendus de la formation…
- Cheminer vers le monde professionnel : se projeter dans des projets professionnels, explorer les univers, mieux se connaître…
- Se former en tant que citoyen : développer son esprit critique, sa capacité à argumenter et à trouver sa place dans la société, découvrir son territoire…
Ce dernier point est spécifique à Romans, en raison de la culture d'éducation populaire d’ACCES. On collabore étroitement avec les associations, les maisons de quartier et les entreprises locales pour renforcer la connaissance du territoire.
Ainsi, les changements que nous cherchons à générer sont multiples :
- Des changements de représentation : comment je me représente le monde professionnel ? comment je me représente mon territoire ?
- Des changements de pratiques : comment j'apprends ? comment je développe des outils ? comment j'apprends à me connaître ?
- Ou encore des changements relationnels : apprendre à être avec les autres, à trouver sa place, à prendre la parole, à argumenter.
Et pour mesurer et démontrer ces impacts, il est nécessaire d'aller vers une approche d’évaluation d’impact social.
Cette démarche d’évaluation d’impact social, vous avez choisi de la mener en interne, par l’équipe du campus connecté. Comment s’est déroulée cette démarche ? Comment avez-vous défini ce qui devait être mesuré, comment le mesurer, etc. ?
La première année, la démarche a été portée par un groupe de travail composé de deux membres de la Fondation Break Poverty (qui a soutenu l’impulsion du projet et de son évaluation), de salariés du campus, de bénévoles de l'association et de deux étudiants. Ce groupe a identifié et formulé les changements que nous cherchions à générer au travers de nos actions : nous avons construit ce qu'on appelle une théorie du changement. Puis nous l’avons traduite en indicateurs et avons construit nos questionnaires avec Impact Track pour collecter les données. L’outil est pratique et efficace notamment pour communiquer en externe. Les équipes d’Impact Track et de Break Poverty nous ont aussi apporté une expertise tout au long de la démarche.
Pour cette deuxième année, le processus a été plus rapide car nos outils étaient déjà prêts : on a ajusté certains indicateurs grâce à notre recul. Et surtout, l'évaluation est devenue une pratique permanente. Que ce soit lors des rendez-vous individuels avec les étudiants (où l'étudiant auto-évalue son propre cheminement) ou encore lors des assemblées qui réunissent tous les étudiants et salariés du campus deux fois par mois pour échanger et prendre des décisions.
Vous partagez les résultats de votre évaluation d’impact social. Quels conclusions et apprentissages en tirez-vous ?
Les résultats ont permis de conforter certaines intuitions et d’identifier des axes d’amélioration.
L’évaluation a confirmé que les dimensions collectives et sociales sont nos forces. Par exemple, 82 % des étudiants ont noué de nouvelles relations amicales au campus. Malgré le contexte Covid, le Campus Connecté Romans est resté ouvert en continu. Je me souviens d'un étudiant qui disait : « Je me sens attendu ». En distanciel, on est seul avec son ordinateur, le campus apporte une dimension humaine, avec les autres étudiants, mais aussi grâce aux rendez-vous individuels avec l’équipe. Avoir sa place au sein d'un collectif est un levier de motivation et les chiffres le montrent : 82 % des étudiants considèrent que le campus leur a permis de rester motivés malgré les difficultés.
Nous avons aussi identifié des points d’amélioration comme la nécessité d'approfondir la stratégie d'apprentissage et d'accompagnement. Les étudiants auto-évaluent leurs besoins, et ils sont assez diversifiés. Pour mieux y répondre, nous nous orientons vers un parcours plus « à la carte ». Cette année des intervenants professionnels externes renforceront également les apprentissages sur les approches cognitives, la mémorisation, etc.
Le prochain défi du campus, c’est de maintenir la qualité de l’accompagnement individuel et ce climat de bienveillance, de collectif tout en augmentant significativement le nombre d'étudiants accompagnés. Le plan de développement des campus connectés labellisés par l’État prévoit que notre capacité d'accueil atteigne 60 étudiants d'ici 2024 !
Comment résumerais-tu ce que vous apporte la démarche de mesure d'impact?
Je dirais qu’en premier lieu, c'est un garde-fou de la raison d'être du projet. Et c’est primordial. Ça nous empêche de glisser vers une logique où l’on se contenterait d’augmenter le nombre d'étudiants, en regardant uniquement le taux de réussite et leur satisfaction globale. On creuse collectivement et on pose : au fond, que recherche-t-on ? Comment nos actions permettent d’y parvenir ? Par quel type d'accompagnement ?
C'est également précieux pour la transmission : en rejoignant le projet, ça a été pour moi un excellent moyen de m'approprier sa stratégie et sa philosophie.
La deuxième chose, c'est que ce cadre méthodologique et ces outils nous guident et nous font gagner du temps pour valoriser le projet en communiquant mieux, de manière rigoureuse et auprès d’un public plus large. De façon concrète, depuis mai-juin, on rencontre différents mécènes. Si on se limitait aux questions de certains financeurs, on ne communiquerait que sur notre taux de réussite de 100 %. Aujourd’hui, nous pouvons leur présenter factuellement les spécificités du Campus Connecté Romans, à travers des indicateurs tangibles et des témoignages. La communication est facilitée quand on montre que derrière le discours, on va aussi évaluer tels effets par tels indicateurs et de telle manière. Le bilan devient concret, on passe de l'intuition à la démonstration.
Qu’as-tu envie de dire aux structures qui hésitent à se lancer dans une démarche de mesure d'impact ?
Que c’est une opportunité à saisir !
Certes la mesure d’impact demande un investissement de temps, surtout au départ. Mais on gagne du temps par la suite pour dialoguer et construire en interne, avec les bénévoles, les partenaires... Elle ancre également ce qui a été construit collectivement : c’est un garde-fou de la raison d’être du projet. Je pense que c'est précieux pour le milieu associatif ou dans les contextes de turn-over.
C'est aussi une façon d’illustrer concrètement nos valeurs au-delà des mots et du discours. C’est une opportunité de démontrer que les associations jouent un rôle clé sur les questions du vivre ensemble, de la cohésion sociale, des inégalités... et se professionnalisent : nous mettons en place des processus d'évaluation exigeants pour mieux piloter nos actions.