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Par Lire pour en sortir - Publié le 25 avril 2017 - 15:11 - Mise à jour le 26 avril 2017 - 06:40
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Surpopulation carcérale, il faudrait 15 000 personnes de moins en prison

En plein débat pour l'élection présidentielle et alors que les deux candidats présents au second tour affichent dans leur programme la construction de 15 000 et 40 000 places de prison supplémentaires (respectivement Emmanuel Macron et Marine Le Pen), des acteurs de la société civile agissant en milieu carcéral attirent l'attention sur la nécessité absolue de réduire le nombre de personnes détenues. Les chiffres de la population carcérale au 1er avril 2017 tombés il y a quelques jours (70 230 personnes emprisonnées en France, 120% de taux moyen de surpopulation - 200% dans plusieurs maisons d'arrêt) soulignent cette nécessité. Il ne s'agit pas de vider les prisons mais de limiter les peines d'emprisonnement pour des courtes peines et mesurer le recours à la détention provisoire, pour rééquilibrer le taux d'occupation et permettre notamment aux intervenants extérieurs comme les visiteurs de prison, les chargés d'activités culturelles, de mieux accompagner la réinsertion des personnes détenues. Réinsertion cruciale quand on connaît un élément qui alimente la surpopulation carcérale, le taux de récidive.

Surpopulation carcérale, il faudrait 15 000 personnes de moins en prison
Surpopulation carcérale, il faudrait 15 000 personnes de moins en prison

Un taux de personnes détenues et de surpopulation carcérale jamais atteints en France, la démission du tout nouveau Directeur de l’Administration pénitentiaire et le refus de la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, d’accueillir toute nouvelle personne détenue dans son établissement saturé à plus de 200% marquent l’échec des politiques publiques menées en matière de sécurité depuis plus de 15 ans à travers des dispositifs pénaux inefficaces (peines planchers, élargissement des infractions assorties d’une peine de prison, réduction des accès aux aménagements de peine et aux alternatives à la prison).

Pourtant, bien qu’il soit évident que ces dispositifs ont failli en accroissant la récidive sans pour autant avoir fait baisser le taux de criminalité, certains, au nom d’une fermeté aveugle qui serait la solution à tous les maux, proposent non seulement de les reconduire, voire de les étendre, mais aussi de construire entre 15.000 et 40.000 places de prison supplémentaires.

Face à cette démagogie aussi irresponsable que dangereuse, il est urgent de s’attaquer, avec responsabilité et pragmatisme, au cœur du problème de la surpopulation carcérale : les maisons d’arrêt (qui connaissent une surpopulation pénale de 140% en France et jusqu’à 200% en Ile de France), les courtes peines (65% des peines en prison) et la détention provisoire (un tiers des personnes détenues). Avec un objectif : réduire de 15.000 le nombre de personnes détenues.

En premier lieu, il est important d’organiser une coordination Parquet/Juges/Prison au niveau local afin d’organiser une régulation des flux d’entrée et de sortie des personnes détenues qui soit partagée et gérée par tous ces acteurs, avec deux objectifs principaux : diminuer l’incarcération des personnes ayant à exécuter des peines de prison de moins d’un an à 25% des personnes détenues (36% actuellement) et limiter le recours à la détention provisoire afin de réduire le nombre de personnes détenues à ce titre en dessous de 20%.

En deuxième lieu, il est nécessaire de revoir l’échelle pénale de certains délits mineurs (comme le téléchargement illégal) en supprimant la peine encourue de prison par des peines alternatives (amendes, jour-amende, semi-liberté, TIG et autres obligations contraignantes), de rendre moins systématique l’usage des comparutions immédiates et de réduire la durée et les cas de recours à la détention provisoire en matière délictuelle.

En troisième lieu, sur la prévention, il est urgent de concevoir les prisons, non plus comme des lieux d’exclusion, de punition et d’humiliation, mais, au contraire, comme des lieux d’insertion, de reconstruction et d’ouverture sur la société civile. A cette fin, il faut élargir et renforcer l’action des intervenants extérieurs en matière scolaire, culturelle, sociale et économique. En effet, à quelques exceptions près, les personnes condamnées à des courtes peines de moins d’un an ne sont pas dangereuses, elles sont malheureusement pauvres (60% en dessous du seuil de pauvreté), désocialisées (plus de 50% sont sans emploi et sans famille), déscolarisées (76% n’ont pas le niveau CAP) et déculturées (32% ont des difficultés de lecture). C’est pourquoi, cette ouverture des établissements pénitentiaires doit s’accompagner de la mise en œuvre de politiques de prévention et d’insertion spécifiquement destinées aux personnes dont la situation culturelle, sociale ou économique en fait des candidats naturels à la prison.

Enfin, s’agissant des maisons d’arrêt, il est essentiel de limiter l’encellulement à deux personnes, de ne conserver que des établissements de taille moyenne, de rénover les bâtiments existants, d’organiser des instances de dialogue surveillants/Direction/personnes détenues, de favoriser l’ouverture des cellules en journée, de développer les activités scolaires, culturelles, sportives et de travail, d’accroitre sensiblement le nombre des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et de créer des unités psychiatriques adaptées.

Cette politique sera infiniment moins coûteuse et plus efficace que les programmes de construction de prison qui sont aujourd’hui présentés comme la panacée mais qui ne feront qu’aggraver les maux dont souffrent les prisons françaises.

C’est pourquoi, acteurs engagés de la société civile, présents en milieu carcéral et au contact direct des personnes détenues, nous appelons à une éthique de la responsabilité pour que soient abandonnés les projets de construction de places de prison supplémentaires. Il est urgent de faire de la prison non plus un lieu d’exclusion qui prépare celui qui s’y trouve à y revenir rapidement, mais un lieu de reconstruction et d’insertion qui permette de faire revenir parmi nous tous ceux qui, quels que soient les délits qu’ils ont commis, n’en restent pas moins des hommes et des femmes qui aspirent à une autre vie.

Par Brice DEYMIE, Aumônier général protestant des prisons, Alain Senior, Aumônier général israélite des prisons, Hassan EL ALAOUI TALIBI, Aumônier national musulman des prisons, Jean-François PENHOUET, Aumônier général catholique des prisons, Véronique FAYET, Présidente du Secours Catholique, Paul MARCONOT, Président de l’Association nationale des visiteurs de prison et Alexandre DUVAL-STALLA, Avocat et Président de Lire pour en sortir.

 

Lire l'article publié dans le journal Le monde daté du 26 avril 2017 "L'appel unanime des aumôniers à réduire le nombre de détenus" suite à la publication première de cette tribune sur le monde.fr le 24 avril.

Crédit photo Elodie Perroteau

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