Nils Pedersen, 6 ans de présidence de la Fonda
Président de la Fonda depuis 2018, Nils Pedersen effectue sa dernière année à la tête de la Fonda. Dans cet entretien, il revient sur les temps forts de son mandat.
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Ton mandat de président de la Fonda aura duré six ans. Quel bilan tires-tu de cette demi-décennie ?
J’admets que cela passe très vite, surtout lorsque l’on a vécu la crise liée au COVID-19. Un mandat qui prend fin ne marque pas pour autant la fin d’un engagement : il constitue juste une étape, car je ne quitte pas La Fonda ! Avant moi, Yannick Blanc avait lui aussi souhaité que nous puissions renouveler nos instances, à l’image de ce que nous prônons sur la gouvernance. Je suis fier que nous ayons réussi cette dynamique.
Un président doit également se préoccuper du long terme : proposer de nouveaux administrateurs en mesure de prendre la relève, élargir le champ des expertises et incarner la parité et la diversité. Six ans à l’échelle de notre association, c’est peu, mais elle ne s’en est pas moins profondément transformée tout en restant fidèle à ses valeurs et portant toujours plus la coopération, tant entre nous qu’avec nos partenaires.
- Ta vision de la Fonda a-t-elle évolué au fil des ans ?
La Fonda repose d’abord un état d’esprit singulier, voire une âme. Il plane sur nos travaux des figures tutélaires qui ont non seulement marqué notre association, mais aussi le champ associatif tout entier. À commencer par ceux que nous appelons affectueusement nos « anciens » : Frédéric Pascal, Anne David, Jacqueline Mengin, Jean-Pierre Duport, Pierre Vanlerenberghe, ou encore le regretté Jean-Pierre Worms. La figure de François Bloch-Lainé m’a par ailleurs toujours intrigué. S’il est à l’initiative de la DAP1, il n’a pas intégré nos instances. Pour autant, il est partout et très présent chez nos partenaires, comme l’Uniopss ou le Don en confiance.
Intégrer la Fonda, c’est donc endosser une histoire collective : celle de notre organisation, celle de la structuration du monde associatif, mais aussi l’histoire politique et sociale de la France avec des figures comme Rocard ou Jospin qui ont façonné notre vie associative contemporaine. La Fonda forme une communauté engagée et passionnée de femmes et d’hommes qui pensent le fait associatif pour demain.
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Quelle a été ta posture en tant que président ?
Incarner le rôle de président représente un sacré défi personnel ! Quelle légitimité au regard d’une organisation aussi structurante ? Je m’en suis toujours tenu à une approche simple : ne pas chercher à singer qui que ce soit et admettre de ne pas tout savoir sur l’immensité des sujets que nous traitons.
La Fonda peut être intimidante et écrasante, mais elle se montre également généreuse et riche, tout en étant exigeante. Quel que soit son mandat, c’est une formidable occasion de découvertes et de connaissances. L’on sort grandi et transformé d’une telle expérience, tant elle vous oblige ! Et l’on mesure tous les jours la confiance accordée les uns aux autres.
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Quels étaient tes objectifs opérationnels ?
Ayant déjà intégré le Bureau avant mon élection, je savais que l’enjeu ne portait pas tellement sur les programmes. On peut faire confiance aux équipes, pilotées par Charlotte Debray, pour la mise en oeuvre des chantiers. Il s’agissait plutôt d’incarner une parole et de réguler notre agenda interne : diffuser les travaux de la Fonda au-delà du seul cercle des initiés et éviter la tentation d’embrasser trop de sujets que nous n’aurions pas été en mesure de déployer correctement.
J’ai souhaité, en revanche, élargir notre regard sur plusieurs sujets : ouvrir le champ de l’intérêt général au-delà des seuls acteurs associatifs, avec une attention aux fondations et à la philanthropie, mais aussi à celui de l’entreprise. L’Europe constitue également un sujet de coeur, pas uniquement parce que je suis un enfant de Delors, mais parce que la France doit savoir regarder au-delà de ses frontières. Ce destin européen commun si fragile qui unit les peuples doit nous imprégner encore plus. Enfin, j’ai essayé d’embrasser le champ de la culture : c’est sans doute un chantier encore en pointillé, même si nous avons tenté de l’inclure dans la Tribune Fonda2.
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Concernant la Tribune Fonda, dont tu as été le directeur de publication en tant que président, quels étaient tes objectifs ?
Là aussi, c’est un vaste chantier qui avait été déjà initié, couplé à une réflexion sur la communication. C’est d’ailleurs par ce biais que j’ai rejoint le Bureau ! À mon sens, depuis que je suis membre de la Fonda, nous n’avons jamais éprouvé de difficulté dans la production de nos contenus. C’est même plutôt l’inverse ! Nous produisions presque trop, avec comme conséquences que de nombreux travaux restaient sur nos étagères sans être lus. Il y avait un énorme enjeu sur la promotion et la diffusion de nos contenus : « faire » et « faire savoir » constituent deux métiers différents.
Une responsable de la communication a été embauchée — une nouveauté à l’époque — pour mettre en oeuvre ce travail. Ainsi, la Tribune Fonda a été retravaillée, tant sur le format que sur l’approche, en réaffirmant bien sa ligne éditoriale, qui est tout sauf le canal de diffusion de nos propres articles, contrairement à ce que laisserait sous-entendre son titre. Il s’agit véritablement d’une tribune offerte aux responsables associatifs pour partager les idées, leurs pratiques, leurs apprentissages, etc.
Je suis très heureux de voir qu’aujourd’hui la Tribune Fonda est une référence en matière de presse associative : nous abordons des sujets de fond, tout en donnant la parole à une forte variété d’acteurs. La liste des contributeurs est longue : en six ans, il y en a eu pas moins de 307 !
Nous pouvons être fiers d’avoir su mettre en avant de nombreuses personnalités, souvent bien avant la presse généraliste. Nous avons également réussi à élargir les thématiques, le sport3 et l’écologie4 par exemple, tout en défendant une vision du secteur associatif : je pense par exemple au numéro sur le partage de la valeur5 ou encore sur les expertises associatives dans le champ des Objectifs de développement durable6.
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Quels sujets restent à traiter dans les années à venir ?
Je suis très préoccupé par l’état de notre démocratie et plus largement par le sentiment d’épuisement de nos sociétés occidentales. Je comprends évidemment que les conséquences du réchauffement climatique puissent inquiéter. Cependant, alors que nos sociétés ont tout pour réussir, nous agissons comme des enfants gâtés avec parfois des relents de colonialisme, même inconscients. Le temps de la démocratie peut se montrer long et capricieux, tout comme le personnel politique peut rebuter : regardons Orban et Trump.
Faut-il pour autant baisser les bras ? Comme le souligne Emmanuel Lévinas : « le moi, devant autrui, est infiniment responsable »7. Notre démocratie est déjà assez faible et malade, pour ne pas réduire une élection à un like sur les réseaux sociaux. La passion prend le pas sur la raison : ce règne de l’émotion me désole tout comme la propension à confondre ses intérêts propres et les intérêts collectifs. Pour citer Camus, « si l’on ne croit à rien, en effet, si rien n’a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, alors tout est permis et rien n’a d’importance»8.
Le débat public actuel est d’une vacuité confondante : on ne cherche plus à comprendre, à débattre ou à convaincre. La science est trop souvent réduite au rang d’opinion, ce qu’elle n’est évidemment pas. Notre secteur n’y échappe pas : chacun pense détenir sa vérité et se lance dans ses combats ou sa mission.
Il ne s’agit pas de contester les idées nouvelles, mais d’admettre qu’on a rarement raison tout seul et que nous sommes le fruit d’une histoire collective dont le « je » prend de plus en plus le pas sur le « nous »… Or, porter une vision, c’est d’abord savoir où l’on veut aller et être capable de fédérer. C’est d’ailleurs bien tout le sens de la démarche Faire ensemble que nous portons à la Fonda : nous avons acquis cette conviction de nos travaux de terrain, de très nombreux entretiens et d’expérimentations locales. Les concepts ne doivent pas exclure la pratique !
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Comment répondrais-tu à la question classique de la Fonda pour définir un cap collectif : « Nous aurons réussi si… »9 ?
En plus de 40 ans, La Fonda a été à la hauteur de ses missions et les travaux qui portent sur la société de l’engagement sont bien au coeur de ce que vivent les associations et leurs partenaires. Le défi qui nous attend dépasse la seule sphère de la Fonda : c’est appliquer le Faire ensemble aux organisations représentatives de notre secteur. Nous devons nous rassembler si nous voulons peser dans le débat public.
Face aux défis sociaux et environnementaux mondiaux qui s’aggravent, face à une société qui se morcelle et une démocratie impuissante, il faut agréger les acteurs. Je sais que la Fonda sera à leurs côtés pour les y accompagner et leur donner les clés de compréhension du Faire ensemble !
Propos recueillis par Anna Maheu.
1. Développement des associations de progrès, de 1975 à 1981.
2. Tribune Fonda n° 256 « Les associations, garantes de nos droits culturels », décembre 2022, [en ligne].
3. Tribune Fonda n° 255 « Quand le sport contribue au bien commun », septembre 2022, [en ligne].
4. Tribune Fonda n° 250 « Écologie et société : nos communs », juin 2021, [en ligne].
5. Tribune Fonda n° 248 « Penser la valeur pour défendre nos valeurs », décembre 2020, [en ligne].
6. Tribune Fonda n° 237 « Faire des ODD un projet de société », mars 2018, [en ligne].
7. Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, Le Livre de Poche, 1961.
8. Albert Camus, « La crise de l’homme (1946) », Conférences et discours (1936 – 1958), Folio, 2017.
9. La Fonda, Guide méthodologique du Faire ensemble, 2022, [en ligne].