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Par Deux minutes pour mieux vivre l'autisme - Publié le 22 janvier 2021 - 09:28 - Mise à jour le 12 février 2021 - 12:11
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Les aidants, ces oubliés de l’autisme…

On prend souvent des nouvelles des enfants, plus rarement des aidants. Ne pas les oublier, c’est leur offrir une écoute attentive. Mais c’est aussi les épauler dans les gestes de la vie de tous les jours.

« Il est 4h30 du matin et je suis déjà inquiète. Sam a réveillé la maison, comme chaque nuit. Il a quatre ans, il est autiste, et dort très peu. Je suis préoccupée par le bruit qu’il fait dans l’appartement. Les voisins ont l’habitude de ses crises quotidiennes, mais en pleine nuit… ils n’ont pas mérité ça. Il est maintenant 7h15, il faut s’habiller. Sam n’aime que le bleu. Un T-shirt vert, et il se jette par terre en criant. Ce matin, j’ai décidé d’abdiquer d’avance. Je sors chaussettes, pantalon, et T-shirt bleus. Je négocie : si tu enfiles ton pantalon, je te mets la vidéo sur les trains, celle que tu aimes bien. Ça marche bien ces jours-ci, pourvu que ça dure. J’enfile à mon tour un ensemble clair, qui dissimulera un peu ma mauvaise mine… Puis, vient l’heure du petit déjeuner. Guillaume prend le relais, avant de partir travailler. Sam ne supporte pas les aliments croquants, n’aime pas les morceaux, mais pas forcément non plus ce qui est lisse. On n’a pas vraiment compris ses critères de sélectivité, mais c’est très difficile de lui faire manger autre chose que des pâtes. Pas n’importe lesquelles : en forme de lettres, super cuites et collantes. C’est comme ça qu’il les aime. Et pas question de changer de marque, sinon il arrête de manger ! 8h25, l’heure de partir pour l’école avec Inès, ma fille ainée. Comme souvent, Sam fait une crise pour ne pas marcher. Je le porte, il commence à se faire lourd. Il ne faut surtout pas qu’il crie en arrivant devant la grille ; on risque encore de me dire qu’il n’est pas en forme, et qu’il est préférable que je le garde pour la journée. Il suit sa maîtresse vers la classe, mais se met à courir, à tourner sur lui-même, et à chanter en boucle sa chanson du moment : « il était un petit homme… ». Le souci c’est que quand il chante, il chante très fort ! Pas facile de supporter le volume en classe, alors souvent ça finit dans le couloir avec son AVS. J’ai désormais deux heures devant moi pour avancer sur mon dossier MDPH ; pièces à joindre, cases à cocher, sections à remplir, pour un résultat que je sais d’avance aléatoire. Puis je récupère Sam à l’école, ses bizarreries alimentaires lui interdisant la cantine. Repas de pâtes, que je partagerai, comme souvent. On déjeune vite fait et ensuite j’essaie de faire une pause. Pour être au calme je remets le DVD ‘Thomas le petit train’. Je le connais par cœur, Sam le connaît par cœur, tout le monde le connaît par cœur, même les voisins. J’ai 25 minutes de répit, alors j’en profite pour passer quelques appels avant que Sam ne s’agite. 18 mois que j’essaie d’avoir un rendez-vous avec une orthophoniste ! Elles semblent désolées quand je les appelle… elles ne le sont pas autant que moi. Il est 14h30, Sam joue avec son ombre depuis vingt minutes. Cela ne sert à rien, je le sais, mais je ne l’ai pas arrêté car j’ai besoin d’un peu de temps pour finir de repasser. Il faut maintenant filer chez la psychomotricienne. Sam aime aller voir Léa, je les entends rigoler dans son bureau. Léa semble être heureuse de jouer avec Sam, elle est toujours souriante et dynamique. Cela me fait plaisir mais me rappelle aussi tout ce que je n’arrive pas à faire avec mon petit garçon. Je n’ai pas encore trouvé le plaisir de jouer, de dessiner ou de construire une belle tour. Alors, je culpabilise souvent. La demi-heure est terminée mais Sam ne veut pas sortir de la salle, il crie. Je le prends dans mes bras, et cours pour aller chercher Inès à l’école. Elle m’y attend, toute pimpante, mourant d’envie de me raconter sa journée, ses copines. Alors pour avoir un petit moment de calme avec elle, je laisse mon téléphone à Sam. Il recherche de lui-même sur YouTube des petites vidéos avec ses chansons, ses personnages préférés… sur le chemin du retour, pendant une dizaine de minutes, je suis la maman d’Inès. Une maman qui ne pose pas de questions, une maman qui n’angoisse pas, une maman qui est contente d’entendre la moindre petite anecdote rapportée de l’école. Au goûter, Inès choisit un gâteau dans le placard. Sam, lui ne mangera pas ses pâtes, pas aujourd’hui, il vient de tout renverser par terre. Il est en colère et je ne sais pas pourquoi. Peut-être n’était-ce pas le bon bol ? Peut-être la température n’était pas exactement celle qu’il attendait ? Peut-être tout simplement n’était-il pas l’heure de manger pour lui ! Je ne sais pas et j’ai envie de pleurer. Je ramasse les pâtes tombées par terre, en remerciant Inès pour son coup de main de vraie petite maman. Ouf ! Le meilleur moment de la journée est pour bientôt : Sam adore prendre son bain. Alors il file se déshabiller, quitte à rester tout nu dans la maison pendant plus de 30 minutes, ou une heure. Sam et Inès jouent ensemble dans le bain, ils semblent heureux. Pendant ce temps je prépare le ou plutôt les dîners, menus différenciés oblige. Guillaume est rentré, je ne pense qu’à aller me coucher. À 20h30 je vais embrasser Inès dans son lit, alors que Guillaume lui lit une histoire. Sam continue de courir partout. il ne semble jamais épuisé. Ce soir encore, Guillaume et moi ne dînerons pas ensemble. Nous grignoterons chacun notre tour essayant d’en rigoler en se disant que chez nous c’est apéro tous les jours ! Il est 23h, Sam est dans son lit mais ne dort pas, il chante sa chanson : ‘Il était un petit homme, pirouette, cacahouète…’. Le calme est enfin revenu. Il est 1h30. »

Les journées de la maman de Sam ne sont pas différentes de celles des 80.000 familles françaises d’enfants autistes. Le processus est souvent le même : choc du diagnostic, bouleversement de la parentalité, et désespoir de voir sa vie voler en éclat. A ce chaos, succède l'isolement social, familial, et, dans 79% des cas, d’isolement professionnel consécutif à la perte de l'emploi d'un des deux parents, contraint de rester auprès de l’enfant. A l’épuisement du quotidien, s’ajoute les contraintes d’organisation, puis les difficultés à trouver de l’aide. Le sentiment d’impuissance domine. Les parents sont souvent livrés à eux-mêmes, et il est encore très difficile de trouver des professionnels formés à la prise en charge des très jeunes enfants autistes.

Le nombre des aidants dépasse largement le cadre de la cellule familiale : famille élargie, amis, rééducateurs, médecins, enseignants, AVS… pour un enfant autiste, dix personnes sont concernées. Elles sont 800.000 en France. Les aidants qui vont accompagner ces enfants handicapés à la crèche, à l’école, en nourrice, en rééducation… sont très souvent démunis face aux troubles autistiques. Personne n'est spécialisé. Il existe, certes, des formations dispensées par quelques sociétés ou professionnels indépendants. Mais ces dernières restent onéreuses, difficilement accessibles, et trop théoriques ou techniques pour permettre une application pratique au quotidien.

Encadré L’autisme est un trouble du développement précoce dans lequel la communication, et les interactions sociales sont perturbées. La personne autiste manifeste des intérêts restreints et/ou s’adonne à des activités stéréotypées et répétitives. La sévérité et la forme des troubles varient beaucoup d’un individu à l’autre.

Priscilla Werba est orthophoniste spécialisée auprès des enfants autistes. Elle est à l’origine du projet ‘Deux minutes pour mieux vivre l’autisme’, qui propose 200 vidéos animées de formation pratique à destination des aidants. Inspirées de scénarios de leur vie quotidienne, ces vidéos sont en accès gratuit sur internet (www.deuxminutespour.org).

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