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Par Carenews INFO - Publié le 2 octobre 2024 - 11:39 - Mise à jour le 8 octobre 2024 - 11:50 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Emmaüs, Fondation abbé Pierre : un travail d’identité herculéen à la suite des révélations de violences sexuelles de l’abbé Pierre

À la suite des révélations cet été de violences sexuelles de la part de l’abbé Pierre, un long travail autour de l'image et de l'identité va avoir lieu pour la Fondation abbé Pierre et Emmaüs.

L'abbé Pierre en 1999. Crédit : STUDIO HARCOURT PARIS.
L'abbé Pierre en 1999. Crédit : STUDIO HARCOURT PARIS.

 

Depuis leur création, la Fondation abbé Pierre et le mouvement Emmaüs sont intrinsèquement liés à la figure de leur médiatique fondateur, l’abbé Pierre : une grande partie de l’identité de ces structures est construite autour du célèbre prêtre catholique français. 

C’était sans compter sur les révélations récentes au sujet de l’Abbé Pierre. Le 17 juillet, un premier rapport publié par Emmaüs international présente des témoignages de femmes relatant des violences sexuelles commises par le prêtre. Un second rapport, publié le 6 septembre, regroupe 17 nouveaux témoignages, dont certains faisant part d’actes pouvant être qualifiés de viols. Depuis, pour les structures en pleine crise réputationnelle, la nécessité de se détacher de son image s’est faite pressante. 

 

Le pouvoir symbolique de l'abbé pierre

 

Il est vrai que ces structures utilisaient jusqu’à présent le pouvoir symbolique de l’abbé Pierre dans leur communication. Ludovic Cailluet, professeur de stratégie et d’histoire des entreprises à l’Edhec business school, a publié un article en 2018 avec Hélène Gorge et Nil Ozçaglar-Toulouse au sujet de l’utilisation de l’histoire comme ressource stratégique par les organisations. Ils ont récemment publié un article sur le site The Conversation appliquant leur travail au cas de l’abbé Pierre. 

« Il y a un ensemble d’éléments symboliques tels que la soutane de l’abbé Pierre, son béret, qui le rendent reconnaissable par tous et qui sont utilisés par les associations pour communiquer. Cela fait que des gens nés après la mort de l’abbé Pierre sont capables de reconnaitre sa silhouette », estime Ludovic Cailluet. Le cinéma avec les divers biopics, la bande dessinée, ont également participé à créer une mythologie autour de l’abbé Pierre, bien utile aux associations. Il n’y a qu’à voir le dernier film à son sujet L’abbé Pierre – Une vie de combats, sorti en 2023, qui a tout d’une hagiographie. 

 

L’utilisation symbolique d’une figure historique : à double tranchant 

 

Pourquoi les associations ont-elles utilisé cette ressource symbolique, même après la mort du prêtre ? « Cela est très puissant pour mobiliser des dons », continue Ludovic Cailluet. Mais cette utilisation d’un personnage comme ressource symbolique est à double tranchant : « cela peut être risqué car il s'agit d'un être humain. Vous pouvez apprendre qu'il a fait des choses non alignées avec vos valeurs que vous n’imaginiez pas ». Ce qui fut le cas ici. 

La Fondation pour la Nature et l’Homme a dû faire face à une situation qui se rapproche de celle-ci. Elle a été fondée en 1990 par le médiatique Nicolas Hulot, alors présentateur d’Ushuaïa sur TF1. En 2021, celui-ci est accusé par plusieurs femmes d'agressions sexuelles et de viols. L’affaire a été classée sans suite en 2022 pour prescription de l’action publique. La fondation a alors dû se reconstruire en se détachant de la figure emblématique de Nicolas Hulot. 

 

« Une forte exposition médiatique » 

 

Après les révélations, les associations se trouvent dans l'obligation d’entamer un travail pour se détacher de l’image encombrante du prêtre. Un travail encore plus ardu pour la Fondation abbé Pierre, qui doit faire face à un enjeu de dénomination. Elle a annoncé début septembre qu'elle avait engagé des démarches pour changer de nom.  

« En changeant de nom, on se prive d’un capital de notoriété acquis au fil des années. Ce n’est pas simple de reconstruire une nouvelle marque », juge Xavier Gay, directeur général de l’agence de communication Limite qui accompagne notamment les structures de l’intérêt général.  

Ce moment est une opportunité pour refondre le discours." Xavier Gay, Agence Limite

Ces révélations peuvent-elles peser sur les associations au vu du lien très fort qu'elles ont avec le personnage de l'abbé Pierre ? Pour Xavier Gay, ce moment de révélations peut se transformer en opportunité : « Il y a une forte exposition médiatique pour les associations, une visibilité qu’elles n’ont pas tout au long de l’année. Des publics qui ne suivent habituellement pas ces associations de manière régulière les découvrent. Ils vont voir comment elles se positionnent par rapport à l’affaire. S’ils trouvent qu’elles ont bien réagi, cela peut très fortement créditer leur image », juge le professionnel de la communication. Pour l’instant, la façon dont la crise est gérée par les structures est unanimement saluée : « Ils ont montré qu’ils avaient su réagir fortement, avec des mesures claires et fortes », continue Xavier Gay. 

« Ce moment est une opportunité pour refondre le discours de ces organisations sur des bases neuves, en accord avec les réalités de la société actuelle », considère Xavier Gay. Une mission qui durera plusieurs années, mais qui pourrait débuter dès la prochaine campagne publicitaire de la fondation ou lors de la sortie de leur prochain rapport annuel sur l’état du mal-logement.

 

Un risque de fuite des donateurs et bénévoles ? 

 

Quelle identité donner désormais à Emmaüs et à la Fondation abbé Pierre ? « Il va falloir remettre en avant le fait que tout ça n’a pas été construit par un seul personnage, parler de l’ensemble des gens qui ont construit les communautés, ceux qui agissent au quotidien », estime Ludovic Cailluet. 

Le risque de ces révélations pourrait être la fuite des donateurs : cependant, « il n'y aura pas de décrochage, de catastrophe industrielle », prévoit Xavier Gay. Un autre enjeu concerne les personnes œuvrant pour l’association. Emmaüs France compte aujourd'hui plus de 10 000 bénévoles : « les gens qui militent, les bénévoles, sont extrêmement attachés à cette figure de quasi saint de l’abbé Pierre », explique Ludovic Cailluet. Dès lors, pourra-t-on continuer de mobiliser sans la figure historique du mouvement ? 

De plus, « travailler pour une organisation perçue négativement dans l’opinion publique peut entrainer un malaise profond associé à une baisse significative de l’estime de soi », expliquent, dans un article publié sur le site The Conversation le 30 septembre, trois maîtresses de conférences, Sophie de Villartay, Fabienne Berger-Remy et Marie-Aude Abid-Dupont. Ce qui peut entrainer une perte de confiance dans l’organisation.  

Les autrices de l’article listent ensuite plusieurs stratégies que les organisations peuvent mettre en place pour restaurer la confiance : réduire la responsabilité de l’organisation dans la crise, reconnaitre et montrer de la compassion pour les personnes affectées, et enfin, celle jugée plus efficace, qui consiste à mettre en place des actions concrètes en interne. Elles proposent notamment la création d’une ligne de signalement anonyme ou des audits indépendants et réguliers sur les communautés.

 

Théo Nepipvoda

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