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Par Carenews INFO - Publié le 14 mars 2024 - 15:50 - Mise à jour le 14 mars 2024 - 16:12 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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« Il y a un risque de voir s’accroître les formes de mal-logement en France » (Christophe Robert, Fondation Abbé Pierre)

Avec le livre « Pour les sans-voix », le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, dresse un bilan sans concession de l’état social de la France et propose des solutions.

Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Crédit : Ljubisa Danilovic
Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Crédit : Ljubisa Danilovic

 

Dans son livre Pour les sans-voix, paru le 28 février ( éd. Arthaud), le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, dresse le tableau du mal-logement et plus largement de l’état social de la France. Il propose également des solutions concrètes pour réduire les inégalités et parvenir à une société plus solidaire.

Créée en 1992, la Fondation Abbé Pierre lutte contre le mal-logement et pour l’accès de tous à un logement décent.

 

  • Pourquoi avez-vous souhaité écrire un livre « pour les sans-voix » ?

 

Cela va faire 20 ans que je travaille à la Fondation Abbé Pierre. J’ai pu suivre l’évolution de la société sur des sujets tels que la lutte contre l'exclusion, contre la pauvreté ou encore le mal-logement. 

Nous connaissons actuellement une période concentrant beaucoup d’inquiétudes autour de la direction prise en matière de protection sociale ou encore de partage des richesses, et cela notamment chez les acteurs du monde social.

Il me semblait intéressant de revenir sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. "

Les politiques dans ce domaine sont chahutées en France et en Europe. Il me semblait intéressant de revenir sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. 

J’ai également voulu revenir sur 20 ans d’engagement citoyen de la société civile. Je parle aussi de l’écologie, sujet qui a émergé ces dernières années et qui est venu percuter la question sociale. Il s’agit d’un livre de témoignage, mais aussi d’espoir.

 

  • Quand vous parlez de « politiques sociales chahutées », qu'entendez-vous par là ?

 

On observe un risque d’effritement de la protection sociale. Il s’est constitué de façon progressive, parfois de manière insidieuse. 

Sur l'hôpital ou l’école, des sujets qui concernent tout le monde, des décisions politiques allant dans cette direction ont été prises : par exemple, le paiement à l’acte ou le changement de mode de gestion des hôpitaux.

On observe également un glissement dans le débat public, notamment concernant l’assistanat. "

L’addition de décisions politiques conduit peu à peu à perdre de vue l’ambition qui a guidé l’action publique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

On observe également un glissement dans le débat public, notamment concernant l’assistanat. L’idée selon laquelle les bénéficiaires de minimas sociaux ont choisi leur situation et ne font pas le nécessaire pour la changer a gagné du terrain dans le débat public. Il s’agit d’une erreur sociologique considérable au vu des inégalités qui existent et de la diversité de situations faites de souffrances et de parcours chaotiques.

C’est l’évolution qui m’a sans doute mis le plus en colère. Le problème, c’est que ces glissements finissent par donner lieu à des décisions politiques.

 

  • Pourquoi la solidarité est-elle de moins en moins bien vue par l’opinion publique ? On observe par exemple un soutien massif des Français à des politiques telles que le conditionnement du RSA à des heures d’activité.

 

Il y a la réforme du RSA, mais aussi la troisième vague annoncée de la réforme de l’assurance chômage, dont la philosophie est qu’en baissant la protection, on réduit le chômage.

Il y a des destins plus proches que l’on ne le croit entre les plus pauvres et les personnes de la classe moyenne inférieure."

Le discours politique, parfois manipulatoire, infuse peu à peu les esprits des citoyens. Cela a pour conséquence d’opposer les uns aux autres. On laisse entendre que c’est parce qu’on en aide certains que l’on ne peut pas en aider d’autres. Or, il y a des destins plus proches que l’on ne le croit entre les plus pauvres et les personnes de la classe moyenne inférieure qui ont peur de basculer dans la pauvreté. 

 

  • A-t-on, selon vous, perdu ce regard sociologique nécessaire à la bonne compréhension de la société ?

 

Concernant les représentations autour de l'assistanat, clairement. La réalité est que les richesses en France sont de moins en moins bien réparties. Les inégalités se creusent et sont de plus en plus le fait de patrimoines hérités plutôt que mérités. 

Or, cette réalité objective ne conduit pas à des politiques de réduction des inégalités. C’est plutôt l’inverse qui se passe. Le discours de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, est qu’il faut moins d’impôts et moins de prestations sociales. L’économie de 10 milliards d’euros annoncée ne va pas être permise grâce au rabotage des niches fiscales, mais grâce à la réduction de la voilure concernant l’écologie ou l’accompagnement vers l’emploi.


À lire aussi : Coupes budgétaires : pourquoi les acteurs de l’économie sociale et solidaire sont-ils remontés ? 


 

  • Une grande partie de votre livre évoque la question du logement. Vous dites qu’il s’agit de la mère des batailles. Pourquoi ?

 

J’ai hésité à utiliser cette expression, car l'éducation, la sécurité, l’écologie ou la santé sont des thématiques tout aussi fondamentales. 

Mais le logement est crucial. Le pouvoir d’achat est la priorité des Français. Or, le logement est devenu progressivement le premier poste de dépense des ménages, près de 30 % en moyenne du budget. Il a donc un fort impact sur le budget des ménages dédié aux autres postes de dépenses.

De plus, quand on parle de logement, on ne parle pas uniquement de logement. Cette question a un impact par exemple sur la scolarisation des enfants, sur la vie de la famille ou sur la santé. 

 

  • Peut-on dire que le mal-logement progresse en France ?

 

Certaines évolutions sont positives comme le nombre de mètres carrés par ménage, qui a progressé en 50 ans. En revanche, certaines données sont inquiétantes. Par exemple, le doublement du nombre de personnes sans-domicile fixe en dix ans. 

On assiste également au retour des bidonvilles. Aujourd’hui, 20 000 personnes vivent dans des bidonvilles, alors qu’on pensait les avoir éradiqués dans les années 1970.

Il y a aussi le phénomène de précarité énergétique avec des personnes qui vivent dans des logements difficiles voire impossibles à chauffer. 

Si nous ne menons pas des politiques plus sociales en matière de logement, le risque est de voir s'accroître significativement les formes de mal-logement dans notre pays.

 

  • Vous expliquez dans votre livre que les femmes et hommes politiques ne s’intéressent pas au logement. Est-ce un phénomène récent ?

 

Ce n’est pas nouveau, c’est rarement le sujet numéro un. En revanche, ce qui est nouveau, notamment avec l’élection d’Emmanuel Macron, c’est le choix de diminuer les dépenses pour le logement. Sur le logement social tout d’abord, avec des coupes budgétaires au niveau des bailleurs sociaux. Cela a pour effet, combiné à d’autres facteurs, la chute considérable de leur capacité de production : nous sommes passés de 125 000 logements sociaux financés en 2018 à 82 000 en 2023. Ensuite, l’aide personnalisée au logement (APL) a été très fortement rognée depuis 2018. Les baisses pour le logement social et les APL s’élèvent à 4 milliards d’euros par an, c’est colossal. 

 

  • Vous parlez beaucoup d’écologie dans votre ouvrage. En matière de logement, on peut penser que l’écologie et le social s’opposent. Par exemple, la loi zéro artificialisation nette (Zan) pourrait limiter la construction et donc l’offre de logements. Quel est votre regard là dessus ?

 

La question environnementale est fondamentale pour le logement, mais pas seulement. C’est vrai aussi par exemple pour l’alimentation, les mobilités. Si on n’accompagne pas les ménages les plus modestes et les classes moyennes inférieures pour changer les pratiques qui s’imposent à nous en raison du changement climatique, on n’arrivera pas à mener la transition.

Sur le Zan, il faut travailler pour ne pas opposer social et écologie. Il faut réfléchir par exemple à la densification pour compenser l’étalement urbain, tout en créant des îlots de fraîcheur. Nous souhaitons alimenter le débat pour éviter ce que l’on a vu avec l’agriculture.

 

  • Pour vous, la solution passe notamment par la fiscalité. Pourquoi ?

 

En écrivant ce livre, j’avais en tête qu’on allait me reprocher de pas avoir pris en compte la question financière. Je me suis alors demandé comment faire mieux avec ce que l’on a. Il y a donc une question de ciblage pour éviter le gâchis Par exemple, sur la taxe d’habitation. Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait annoncé son souhait de la supprimer pour 80 % des ménages. Finalement, il l’a également supprimée pour les 20 % les plus aisés, ce qui coûte 8 milliards d’euros par an. En avaient-ils vraiment besoin ?

Si nous voulons améliorer la protection sociale, il nous faudra plus d’argent."

Nous savons également qu’il va nous falloir plus d’argent. Le rapport récent de deux économistes, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, montre que nous allons avoir besoin de 70 milliards d’euros par an, dont la moitié de l’État, pour répondre aux enjeux écologiques. De plus, si nous voulons améliorer la protection sociale, il nous faudra plus d’argent. Il faudra donc partager davantage les richesses pour se donner davantage de capacités d’agir. Y compris en jouant sur la transmission du patrimoine car c’est là où nous pouvons établir de l’égalité.

Si peu de monde en parle, c’est que ce n’est pas facile de convaincre sur ce sujet. Pourtant, c’est presque un mensonge de dire qu’on peut y arriver sans s’atteler à la fiscalité.

 

  • Vous estimez que les avantages fiscaux liés au logement, type Pinel, devraient être conditionnés au respect de normes sociales ou environnementales. C’est-à-dire ?

 

La France a construit en 2023 moins de 300 000 logements. Un niveau aussi bas de construction n’était pas arrivé depuis longtemps. Les avantages fiscaux peuvent encourager la construction, mais il ne faut pas le faire à n‘importe quel prix. On peut par exemple exiger en contrepartie de fixer certains loyers en dessous du prix de marché. Il est aussi possible d’en faire un levier pour encourager les propriétaires à mettre en location des logements plus performants thermiquement. 

 

  • Le 30 janvier, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé vouloir faire évoluer la loi SRU, qui demande à un certain nombre de communes de disposer d’au minimum 20 % de logements sociaux sur leur territoire. Il souhaite intégrer les logements intermédiaires au calcul, ce qui a été très critiqué par les associations. Cela vous a surpris ?

 

Cela m’a surtout mis très en colère. Cette loi a traversé les années et les majorités malgré quelques chahutages. C’est extrêmement périlleux d’ouvrir la boîte de Pandore. Cela serait une erreur colossale de toucher à la loi SRU. Nous nous y opposerons de toutes nos forces. 

 


À lire aussi : Évolution de la loi SRU : « pas acceptable » pour les associations de solidarité


 

  • La nomination de Guillaume Kasbarian, à l’origine de la loi anti-squat, au poste de ministre délégué chargé du logement, vous a-t-elle surpris ?

 

Nous avons été bousculés car Guillaume Kasbarian a été, en tant que député, l’auteur d’une loi qui criminalise les plus pauvres et les mal logés. Nous l’avions combattue. Maintenant, nous verrons bien ses actions en tant que ministre. Il faut juger sur les actes. On nous demande souvent s’il s’agit d’une provocation de la part de l’exécutif. J’ose espérer que non.

 

  • Avec cet ouvrage, espérez-vous être une source de réflexion pour la gauche qui essaie de se reconstruire ?

 

Je suis convaincu de l’importance des idées. Albert Einstein disait que le monde que nous créons est le résultat de nos pensées et que nous ne pourrons pas le changer sans changer nos manières de penser. 

Je suis prêt à dialoguer avec ceux qui veulent se saisir de mon livre."

Je souhaite contribuer au débat. Mais c’est aussi un hommage à tous ceux qui font dans les territoires. 

En revanche, cela ne cible pas spécialement la gauche. Cette question des biens de première nécessité concerne tout autant la droite que la gauche. Je suis prêt à dialoguer avec ceux qui veulent s’en saisir. Mais je ne pense pas que ce soit un livre politique au sens de partisan.

 

Pour les sans-voix par Christophe Robert. Éditions Arthaud.
Pour les sans-voix par Christophe Robert. Éditions Arthaud.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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