Kif Kif Vivre Ensemble : le blind date pour recréer du lien social
Alors que la guerre fait rage entre Israël et le Hamas au Moyen-Orient et que les communautés se déchirent, Carenews prend le parti de mettre en lumière des initiatives engagées qui défendent le vivre ensemble. Focus sur l’association Kif Kif qui a décidé de détourner le concept du blind date pour recréer du lien social sur les territoires.
Une grand-mère qui enchaîne les rimes après un concert de rap, un Sénégalais musulman qui chante dans une synagogue avec des scouts juifs ou encore des jeunes de quartiers populaires qui découvrent la pétanque. Ces scènes improbables sont le résultat du travail de Kif Kif Vivre Ensemble.
Le concept de l’association s’inspire du blind date, mais aussi de l’émission de télévision Rendez-vous en terre inconnue. Une rencontre surprise permet à un ambassadeur de l’association de faire découvrir son univers et son quotidien à une ou plusieurs personnes inconnues déjà inscrites sur la plateforme. Pendant quelques heures, les participants vont partager une activité culturelle ou sociale et apprendre à se connaître. L’objectif : déconstruire les préjugés et recréer du lien humain dans la diversité.
On est tous et toutes l’Autre de quelqu’un.
« Lorsque nous vivons des situations de tension comme celles que l’on vit aujourd’hui, on peut avoir tendance à se replier sur soi. À rester auprès de sa communauté ou de celles et ceux qui nous ressemblent. On peut alors avoir une peur accrue de l’Autre, dont on se méfie. Mais la défiance que l’on ressent est pareille de l’autre côté du miroir. On est tous et toutes, l’Autre de quelqu’un. C’est en comprenant cela et en cherchant à découvrir ce qui nous rassemble, ce que nous avons en commun, que l’on peut trouver une issue. Créer des occasions de rencontres et de partage, c’est notre mission », affirme Denis Griponne, à l’origine du projet.
L’idée de Kif Kif Vivre Ensemble a germé durant des années dans l’esprit de Denis Griponne, l’un des six cofondateurs de l’association. Le jeune homme au rire facile et à l’allure sportive a grandi avec une triple culture, celle du Mali et du Sénégal du côté de sa mère, et celle de la Guadeloupe du côté de son père, dans une cité d’une vingtième arrondissement de Paris. Bon élève, il réussit à intégrer un lycée sélectif à l’adolescence. Dès lors, il se confronte aux fractures sociétales françaises qui se matérialisent par des « moqueries sans gravité » dans les « deux mondes parallèles » qu’il côtoie. Ses amis du quartier sont traités de « racailles » et ceux de son école de « bourgeois ».
L'origine du projet
En septembre 2001, il est en vacances à New-York avec ses deux meilleurs amis quand les tours du World Trade Center s’effondrent devant les yeux ahuris du monde entier, qui suit l’événement en direct à la télévision. Une tragédie qui le marquera et dont les conséquences nourriront son ambition.
Licence de droit décrochée à Panthéon-Sorbonne et master d’affaires publiques de Sciences-Po en poche, il se lance professionnellement dans la vie associative. Il fait ses armes et grimpe les échelons au sein de l’association VoisinMalin qui a pour objectif de renforcer le lien entre les habitants des quartiers prioritaires et les différents services publics.
Fin 2013, c’est le déclic. Avec sa sœur Fatoumata, il souhaite participer à un rassemblement en hommage à Nelson Mandela qui vient de décéder, comme il s’en déroule un peu partout dans le monde. « On souhaitait se réunir avec des citoyens comme nous, sans affiliation politique, qui avaient envie de vivre un moment de communion pour saluer les valeurs de tolérance, de fraternité et d’humanisme qu’il incarnait », raconte Denis Griponne. Ne trouvant aucune initiative du genre, ils décident de créer la leur.
Sur le parvis des Droits de l’Homme à Paris, des centaines de personnes les rejoignent le 15 décembre 2013. Bougie en main, ils sont venus célébrer l’icône de la lutte contre l’apartheid, le jour de ses funérailles en Afrique du Sud. De ce moment de recueillement « hyper fort » naîtra Kif Kif Vivre Ensemble en février 2014.
Des actions au plus près des habitants
L’association qui fêtera ses dix ans prochainement a déjà permis à près de 1 500 « kiffeurs et kiffeuses » de 18 à 94 ans, de plus de 80 nationalités différentes, de vivre l’expérience Kif Kif. Une belle alternative à la solitude pour nombre d’entre eux, souligne Denis Griponne.
« Depuis 2022, on s’intéresse aux quartiers prioritaires qui relèvent de la politique de la ville. Nous travaillons avec des partenaires comme les collectivités locales ou les bailleurs sociaux, qui nous permettent d’aller au plus près des habitants. Grâce à des campagnes de porte-à-porte et de mobilisation aux pieds des immeubles, dans les jardins publics ou à la sortie des écoles, nous sensibilisons beaucoup de personnes fragiles et parfois très isolées, qui sont nombreuses à ignorer la richesse de l’offre locale d’activités », déclare le dirigeant associatif.
En effet, de nombreuses activités pratiquées par les participants lors de l’expérience Kif Kif sont proposées par d’autres acteurs associatifs, souvent mal identifiés. Pour accroître leur visibilité, l’association expérimente également depuis quelques mois « l’agenda du quartier », qui répertorie toutes les initiatives proposées en local. Après une expérimentation à Paris et en Seine-Saint-Denis, l’association souhaite essaimer le projet partout en France.
Bientôt Kif KIF Collègues et Kif Kif Touristes
Kif Kif Vivre Ensemble ne s’arrête pas là. L’association est en train de développer son dispositif de rencontres surprises à destination des entreprises qui souhaitent mettre en place des politiques de diversité et d’inclusion. Une version Kif Kif touristes devrait aussi voir le jour prochainement. Pour financer son expansion et le développement informatique nécessaire à l’automatisation de ces process, l’association est à la recherche de mécènes.
Cette diversification répond à un véritable enjeu sociétal, mais aussi aux aspirations de la population. Selon le dernier baromètre de la fraternité, en 2022, 45 % des Français n’interagissaient pas avec des personnes différentes par manque d’occasions. Pourtant, 70 % d’entre eux déclaraient être tentés par l’expérience.
Leticia Farine