« Nous assumons de faire de la politique autrement » (Amandine Lebreton-Garnier, Pacte du pouvoir de vivre)
Le Pacte du pouvoir de vivre a été créé en 2019, réunissant associations, fondations, syndicats et mutuelles autour d’un manifeste appelant à concilier écologie, justice sociale et démocratie. Cinq après, sa directrice revient sur le parcours du Pacte et sur ses ambitions.
- Pourquoi avoir lancé le Pacte du pouvoir de vivre il y a cinq ans ?
Le Pacte a été créé initialement par 19 organisations ayant des formes et des domaines d’action très divers. Elles se sont réunies suite à la crise des gilets jaunes en faisant deux constats.
Le premier, que tout le monde était convaincu qu’il y avait besoin de la transition écologique mais que la question sociale était trop peu prise en compte. Le deuxième était celui d’une fatigue démocratique mise en lumière par la crise des gilets jaunes.
Ces organisations ont ressenti le besoin de travailler ensemble autour de 66 propositions. D’autres organisations ont rejoint le Pacte, constitué aujourd’hui de 61 organisations telles que des associations environnementales, des fondations, un syndicat, des structures de l’ESS, des associations d’aide aux migrants, de lutte contre la pauvreté et des organisations d’éducation populaire. L’objectif est de mettre en commun des propositions et une vision.
- Quelle méthode employez-vous pour travailler ensemble ?
Depuis cinq ans, nous organisons une réunion plénière plusieurs fois par an. Il y a un groupe de coordination constitué de dix organisations qui représentent la diversité du collectif. Et puis il y a l’équipe salariée.
Nous travaillons également à partir de groupes de travail pour élaborer les propositions, ensuite validées par chacune des organisations. Par ailleurs, nous organisons des webinaires deux fois par mois avec pour objectif une acculturation commune.
- Avez-vous abandonné certaines propositions qui n’étaient pas validées par l’ensemble ?
Oui. Quand des propositions ne sont pas suffisamment matures, on assume de les mettre de côté.
C’est arrivé il y a deux-trois ans sur la question de l’énergie. Il n’y a pas eu de propositions sur la part du nucléaire dans le mix énergétique parce que nous avions des visions différentes.
- Qu’est-ce qu’une « société du pouvoir de vivre » ?
C’est le pouvoir de vivre dignement, c’est-à-dire avec suffisamment de ressources pour pouvoir se loger, se déplacer, se nourrir et se soigner mais aussi avoir une vie de liberté culturelle et sociale, dans un environnement sain, aujourd’hui et demain. Tout cela s'entremêle.
Nous avons ajouté récemment la dimension du pouvoir d’agir, c’est-à-dire que chacun puisse être actif de cette transition en cours. Pour cela il faut déjà que chacun puisse avoir les moyens de vivre. Mais les personnes les plus modestes peuvent également être actrices de la transition. Le travail d’ATD Quart Monde montre que ces personnes peuvent être motrices et forces de proposition.
- Comment portez-vous vos propositions dans le débat public notamment à l’approche des élections ?
En 2022, nous avions mené une grande campagne avec une vidéo intitulée « Les vœux des Français ». Nous avons également porté nos propositions auprès des candidats. Pour les élections européennes, nous allons envoyer les propositions et rencontrer les têtes de liste. La communication passe aussi beaucoup par le réseau du Pacte. Chaque organisation est amenée à diffuser le document comportant les propositions.
Dans quelques jours, nous allons publier une quarantaine de propositions pour que les organisations, les groupes locaux et les citoyens qui nous suivent puissent alimenter le débat au niveau local. À partir de mi-avril, nous valorisons ce travail et nous ferons valoir cette parole via les médias et les réseaux sociaux.
- Comment appréhendez-vous les élections européennes ?
Nous voulons montrer que nous portons collectivement un projet européen cohérent et ambitieux. Nous souhaitons réaffirmer que nous avons besoin de l’Europe pour faire une transition écologique juste et démocratique et montrer que la société civile est organisée et a une vision concernant l’Europe basée sur trois mots : une Europe qui protège, qui accompagne et qui partage.
Le contexte est radicalement différent de celui d'il y a cinq ans. Beaucoup de choses se sont passées entre la crise du Covid, la guerre en Ukraine et l’accélération de la crise climatique. On a observé également la montée des populismes au sein des pays européens. Cette élection est donc vraiment cruciale et c’est pour cela que nous avons décidé d’y travailler collectivement.
Elle est cruciale sur les enjeux démocratiques mais aussi sur les enjeux de transition écologique. Le Green Deal a donné un cadre d’action très fort. Il est aujourd'hui attaqué politiquement et risque d’être largement affaibli alors qu’il faudrait accélérer.
- Dans vos propositions, évoquez-vous la question agricole ? La crise récente a fait ressurgir des discours qui opposent écologie et social.
Oui. C’est vraiment un sujet qui remet sur le devant de la scène l’opposition construite entre social et écologie. Le Pacte du pouvoir de vivre soutient la nécessité de trouver les moyens pour lier social et écologie. Ce n’est pas toujours simple, ce n’est pas une évidence absolue. En revanche, ici, l’opposition entre les deux est construite à des fins électoralistes.
La Fondation pour la nature et l’homme (FNH) a sorti un rapport en 2021 qui montrait que sur le budget national, 23 milliards d’euros par an sont consacrés à l’agriculture et l’alimentation. Pourtant, seulement 1 % a un impact effectif sur la réduction des pesticides. On donne des objectifs aux agriculteurs mais sans leur donner les moyens de les mettre en place.
Nous proposons de donner des moyens à la hauteur des ambitions. Nous ne pouvons pas nous permettre de réduire l’ambition sur la biodiversité et le climat, ni la lutte contre la pauvreté.
- Vous parlez de réhabiliter la démocratie. Comment cela peut-il se faire concrètement ?
Nous souhaitons une Europe fiscale pour mettre en place une fiscalité sur les patrimoines les plus riches. Cela réhabilite de fait la démocratie en donnant plus de moyens d’agir.
Nous avons aussi des propositions sur la participation citoyenne, sur le renforcement du rôle du Parlement, sur l’accès à l’information pour tous et sur la transparence.
- Quel bilan cinq ans après la création du Pacte ?
C’est une réussite, car nous fêtons nos cinq ans et parce que depuis plus d’un an a été créée l’association d’animation du Pacte du pouvoir de vivre dont je suis la directrice.
De plus, des organisations nous contactent régulièrement pour rejoindre le collectif. Il est bien identifié par les pouvoirs publics et les décideurs politiques.
Là où nous avons encore beaucoup à faire, c’est sur le volet « pouvoir d’agir » que nous venons d'initier et sur l’École du pouvoir de vivre que nous venons de lancer.
L’autre enjeu est de renforcer le rapport de force. C’était un but initial que de montrer que la société civile a un rôle et une voix. Ce n’est pas simple dans un contexte où depuis quelques années le pouvoir est très vertical. Il faut montrer qu’on nous avons une expertise, une expérience et une vision, qui peuvent être mises à disposition des pouvoirs publics.
- Quels retours avez-vous eu des pouvoirs publics ?
Il y a un grand intérêt pour le Pacte du pouvoir de vivre. Nous avons rencontré le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), y compris avec les associations de lutte contre la pauvreté. Ce sont deux mondes qui se rencontrent.
- Que pensez-vous de la planification écologique ?
Ce travail était vraiment essentiel quand il a été lancé. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un travail technique très important et intéressant. Il est absolument utile si on veut que l’ensemble des politiques publiques et des ministères atteignent les objectifs climat et biodiversité.
Maintenant, nous entrons dans la phase de mise en œuvre. C’est là que le débat politique apparaît. C’est là que réside tout le travail et il est d’autant plus important que l’on voit poindre la tension entre social et écologie.
Il y a des nœuds autour des zones à faibles émissions (ZFE), de la lutte contre l'artificialisation, autour de l’agriculture et de la réduction des pesticides. C’est là-dessus que nous devons concentrer nos efforts car ces nœuds sont de potentielles tensions sociales.
- Comment démêler ces nœuds ?
Il est nécessaire d’écouter. Les gens ne se sentent ni entendus, ni écoutés. C’est vrai pour les agriculteurs, comme pour les infirmières, ou les travailleurs sociaux. Il y a un sentiment de manque de reconnaissance.
En tant que Pacte, nous regrettons que les oppositions soient nourries, comme s’il fallait opposer les populations les unes aux autres. En termes de cohésion sociale, c’est dramatique. Alors que dans la réalité des vécus, hors des plateaux et des moments de tension, il y a un dialogue possible.
Nos structures sont des organisations de terrain et donc d’expertise. Elles connaissent le vécu et la réalité du quotidien des personnes. Elles sont donc pertinentes pour répondre à cela.
- Comment vous positionnez-vous par rapport aux partis politiques ?
Nous ne serons jamais un parti, nous ne porterons pas de candidats et nous ne nous engagerons pas dans une campagne.
Nous assumons de faire de la politique à partir du moment où nous portons des propositions et des idées dans le débat public. Mais nous en faisons autrement. Nous assumons d’avoir une parole politique, mais à notre place, en tant que société civile organisée.
Propos recueillis par Elisabeth Crépin-Leblond