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Par Carenews INFO - Publié le 17 avril 2024 - 08:00 - Mise à jour le 17 avril 2024 - 08:00 - Ecrit par : Camille Dorival
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DÉBAT - Peut-on relocaliser l'économie ?

Dans le cadre du cycle « Les rencontres de l'économie », coorganisé par Carenews, Alternatives Économiques et la Mairie de Bordeaux, une table ronde « Peut-on relocaliser l'économie ? » était organisée le 11 avril à l'Hôtel de Ville de Bordeaux. Elle a donné lieu à des échanges passionnants entre l'économiste Nadine Levratto, l'ingénieur Philippe Bihouix et Yannick Lung, coprésident de la Gemme, monnaie locale complémentaire de Gironde. 

Le 11 avril un débat était consacré à la relocalisation de l'économie à l'Hôtel de Ville de Bordeaux. Crédit : Jean-Baptiste Thony.
Le 11 avril un débat était consacré à la relocalisation de l'économie à l'Hôtel de Ville de Bordeaux. Crédit : Jean-Baptiste Thony.

 

Peut-on relocaliser l'économie ? Cette question est revenue au devant de la scène avec la crise du Covid. Celle-ci a mis en évidence la dépendance de la France vis-à-vis de l'étranger pour la production de certains biens. Sont également dénoncées les conséquences sociales et environnementales des délocalisations qui ont été massives depuis les années 1970, en lien avec la mondialisation des échanges. 

« Le pic d'industrialisation de la France a eu lieu en 1973, explique Nadine Levratto, économiste, directrice de recherches au CNRS et directrice d'ÉconomiX. Depuis cette date, la présence des industries sur le territoire français n'a cessé de diminuer, sous l'effet des délocalisations. » Ces délocalisations ont obéi à deux logiques, selon la chercheuse. D'une part, la recherche de coûts de production réduits, assortis à un droit du travail moins protecteur pour les travailleurs, et donc moins contraignant pour les entreprises. D'autre part, la recherche d'exigences environnementales moindres, dans une logique d'exportation des pollutions émises par ces industries. 

 

La « mode » de la tertiarisation des économies développées 

 

Comme le souligne Nadine Levratto, « il y a eu une mode de la tertiarisation dans les pays développés : il fallait se débarrasser des "vieilles industries", pour se concentrer sur la nouvelle économie ». D'autant que le syndicalisme étant très concentré dans l'industrie, moins d'usines signifiait aussi moins de syndiqués et la possibilité d'imposer davantage de modération salariale. Si bien qu'alors que la France comptait 5,3 millions d'emplois industriels manufacturiers en 1973, elle n'en rassemble plus que 3,2 millions aujourd'hui. Ce qui a eu, on le sait, des conséquences sociales terribles pour certains territoires traditionnellement industriels. 

Toutefois, la prise de conscience du danger du recul de l'industrie est très récente, selon Nadine Levratto. En 2012, un rapport de Louis Gallois alertait sur ces risques. Mais le changement de regard ne s'est véritablement opéré qu'avec la crise du Covid, selon Nadine Levratto. Celle-ci a mis en évidence le déficit de souveraineté de la France en ce qui concerne la production de certains biens. En accentuant la prise de conscience de la crise environnementale mondiale, elle a aussi souligné les conséquences environnementales des délocalisations, liées notamment à la nécessité de transporter des marchandises parfois depuis l'autre bout du monde. 

 

Des politiques récentes pour faire revenir certaines industries en France et en Europe 

 

Cette situation a incité la France et l'Union européenne à mettre en place des politiques industrielles, pour la première fois depuis des décennies. Ont ainsi été définis des secteurs industriels dits « essentiels », qui peuvent faire l'objet d'aides spécifiques de l'État. Parallèlement, l'UE a mis en place des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières (ou « taxe carbone »), afin de réduire l'impact environnemental des industries implantées hors UE et de protéger les normes environnementales imposées aux industries installées sur le continent européen. L'objectif de ces mesures étant bien de faire revenir certaines industries en Europe. 

En France, d'autres politiques territoriales industrielles existent, notamment le dispositif des « pôles de compétitivité », ou encore celui des « territoires d'industrie », qui visent à réindustrialiser certains territoires. Cependant, prévient Nadine Levratto « il est illusoire de penser que nous reviendrons au paysage industriel des années 1970. Certaines délocalisations sont irréversibles. » Il faudra donc faire des choix stratégiques, estime-t-elle, sur le type d'industries que nous souhaitons développer en France et dans l'UE, et permettre aux travailleurs d'acquérir les compétences nécessaires au développement de ces industries. 

Philippe Bihouix, ingénieur, directeur général de l'Arep, insiste de même sur la complexité des chaînes de valeur au niveau mondial. Il donne l'exemple de la production de microprocesseurs, très concentrée à Taïwan, mais qui dépend de machines et de pièces détachées fabriquées un peu partout dans le monde, y compris dans des pays développés. « La question de la relocalisation n'est donc pas si simple », souligne-t-il. 

L'ingénieur insiste sur la question des barrières douanières pour favoriser les relocalisations, les mécanismes d'ajustement aux frontières constituant une forme de barrière douanière permettant de protéger le marché européen. « En matière d'agriculture, il faut aussi envisager la question des prix minimaux d'entrée sur le marché européen, afin de protéger la production européenne et de favoriser la relocalisation de la production agricole », note-t-il. 

 

Les monnaies locales complémentaires comme soutien à la relocalisation de l'agriculture 

 

Yannick Lung, professeur émérite de sciences économiques à l'Université de Bordeaux, évoque quant à lui le rôle des monnaies locales complémentaires (MLC) dans le soutien à la relocalisation de la production agricole. Reconnues par la loi de 2014 sur l'économie sociale et solidaire, les MLC visent en effet plusieurs objectifs : contribuer au développement de l'économie territoriale et donc à la relocalisation des activités, notamment agricoles, participer à la transition écologique et favoriser l'engagement citoyen. 

Les monnaies locales complémentaires sont des monnaies alternatives qui circulent sur un territoire délimité. Elles peuvent être utilisées pour payer des biens ou des services auprès de commerçants ou fournisseurs locaux, qui eux-mêmes peuvent les utiliser auprès de leurs propres fournisseurs s'ils les acceptent. « A 70 % ou 80 %, elles servent à payer des dépenses alimentaires », note Yannick Lung, lui-même coprésident de la Gemme, monnaie locale complémentaire de Gironde. « Elles visent donc à soutenir les producteurs locaux, dans une logique de sécurisation de l'approvisionnement agricole et de relocalisation de cette production. » Avec une portée toutefois limitée pour le moment : à Bordeaux, par exemple, on ne compte que 100 000 gemmes (l'équivalent de 100 000 euros) en circulation. Mais au Pays basque, plus de 3 millions d'euskos, la monnaie locale du territoire, circulent et soutiennent ainsi le développement de l'économie locale

 

Camille Dorival 

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