L'ANTISÈCHE – Au fait, c'est quoi une monnaie locale complémentaire ?
Les monnaies locales complémentaires se sont développées dans le monde entier, et notamment en France, pour donner plus de sens aux échanges monétaires. Explications.
Il existe une soixantaine de monnaies locales complémentaires (MLC) en circulation en France. Mais de quoi s'agit-il précisément ? Comment fonctionnent ces monnaies ? Et à quoi servent-elles, alors que l'euro est la monnaie officielle dans l'Hexagone ?
Comme l'explique Yannick Lung, professeur émérite à l'université de Bordeaux et président de la monnaie girondine, la gemme, « il existe des monnaies locales complémentaires dans beaucoup de pays du monde, mais la France est l'un des pays les plus dynamiques dans ce domaine ».
L'histoire de ces monnaies alternatives naît dans les années 1980-90, avec l'expérimentation de systèmes d'échanges locaux (Sel), qui permettent à des particuliers d'échanger des services entre eux sans échanger d'argent.
Puis, dans les années 2000, le projet Sol est porté par un certain nombre d'acteurs de l'économie sociale et solidaire, notamment la Macif et le Groupe Chèque Déjeuner (aujourd'hui Up Coop), qui tentent de mettre en place une monnaie complémentaire électronique. Le projet est issu du collectif Reconsidérer la richesse, qui s'inspire alors des travaux du philosophe Patrick Viveret. Il vise à replacer la monnaie comme un moyen au service du lien social et non comme une fin en soi, et à redonner du sens aux échanges monétaires. Le sol fait l'objet de plusieurs expérimentations sur différents territoires.
En 2010 apparaissent les trois premières monnaies locales complémentaires nées à l'initiative de citoyens : l'occitan, à Pézenas (Hérault), l'abeille (Lot-et-Garonne) et la commune (Loire).
des monnaies complémentaires à l'euro
Ces monnaies sont dites « locales », car elles circulent sur un territoire délimité, à l'échelle d'une commune, d'un département ou d'une région, et « complémentaires », car elles sont un complément à la monnaie officielle, l'euro. Elles sont toutes à parité totale avec l'euro : une unité de monnaie locale vaut un euro. Pour se procurer de la monnaie locale, il est nécessaire d'adhérer à l'association ou autre structure de l'ESS qui gère la monnaie.
Les MLC peuvent être utilisées pour payer des biens ou des services auprès de commerçants ou fournisseurs locaux, qui eux-mêmes peuvent les utiliser auprès de leurs propres fournisseurs s'ils les acceptent. Les collectivités locales peuvent également s’en servir pour verser des subventions ou indemnités aux élus et agents.
Redonner du sens aux échanges monétaires
L'objectif ? Redonner du sens aux échanges monétaires de plusieurs manières. D'une part, la monnaie locale complémentaire permet de contribuer au développement économique du territoire et à soutenir l'économie locale, en privilégiant le commerce et la production de proximité.
D'autre part, « les MLC participent à la transition écologique », explique Yannick Lung. « Par le renforcement des circuits courts, elles favorisent la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les structures porteuses des MLC accompagnent leurs partenaires sur la réduction de leur empreinte environnementale. Enfin, les activités d'alimentation biologique, économie circulaire, de mobilité durable, sont très nombreuses parmi les prestataires qui acceptent ces monnaies. »
Enfin, les MLC contribuent à resserrer le lien social, à travers la réappropriation des enjeux monétaires par les citoyens. Elles permettent une forme d'engagement citoyen sur la question monétaire, et le renforcement du « pouvoir d'agir » sur ces enjeux.
Autre vertu : les euros convertis en MLC sont déposés sur des fonds de garantie gérés par des acteurs financiers comme la Nef ou le Crédit coopératif, qui les utilisent pour financer des projets d'économie sociale et solidaire.
7,4 millions d'euros de masse monétaire cumulée en France
Les MLC ont été institutionnalisées en France par la loi de 2014 sur l'économie sociale et solidaire (ESS). L'article 16 de cette loi les reconnait comme titres légaux de paiement, à condition qu'elles soient gérées par une structure de l'ESS (le plus souvent une association) dont la gestion de la monnaie est l'unique activité et qu'elles respectent un certain cadre.
En 2022, on comptait près de 40 000 citoyens et 10 000 prestataires utilisateurs de MLC. Les MLC représentaient au total 7,4 millions d'euros de masse monétaire cumulée – dont près de la moitié pour l'eusko, monnaie locale du Pays basque, de loin la plus développée en France.
Plusieurs réseaux fédèrent les MLC, notamment le Mouvement Sol, qui vise notamment à accompagner les monnaies dans leur changement d'échelle et à faire naître un réseau européen des monnaies locales complémentaires, « au service d’une société plus écologique, démocratique et solidaire ».
Camille Dorival
Pour en savoir plus : Les monnaies locales dans les dynamiques de transition, par Yannick Lung, éd. Apogée, 2022.