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Par Carenews INFO - Publié le 20 mai 2025 - 12:32 - Mise à jour le 20 mai 2025 - 16:37 - Ecrit par : Léanna Voegeli
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« Rendre plus visibles les femmes de plus de 50 ans à l’écran est un enjeu de société », entretien avec Catherine Piffaretti

Catherine Piffaretti est coréférente d'une commission œuvrant pour améliorer la représentation des femmes de plus de 50 ans dans les fictions françaises. Membre de l'AAFA (Actrices & Acteurs de France Associés), elle décrypte son action pour Carenews.

Catherine Piffaretti est comédienne et membre de la commission AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans, qui vise à améliorer les représentations des femmes de plus de 50 ans dans les fictions françaises. Crédit : Catherine Piffaretti
Catherine Piffaretti est comédienne et membre de la commission AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans, qui vise à améliorer les représentations des femmes de plus de 50 ans dans les fictions françaises. Crédit : Catherine Piffaretti

 

Créée en 2014, l’AAFA (Actrices & Acteurs de France Associés) est l’association professionnelle des comédiennes et comédiens en France. Sa mission est de représenter la profession auprès de ses partenaires institutionnels et artistiques mais aussi de faire évoluer la réflexion sur le métier et ses pratiques.  

Dans ce cadre, l’association a créé en 2015 la commission AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans, qui vise à améliorer les représentations des femmes de plus de 50 ans dans les fictions françaises. La comédienne Catherine Piffaretti en est l’une des référentes.  

Pour Carenews, et alors que le Festival de Cannes bat son plein, elle décrypte l’action de l’association sur ce sujet.

 

  • Comment est née  l’AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans ? 

 

Le phénomène d’invisibilisation des comédiennes de plus de 50 ans dans les films français est ce qui nous a poussé à créer cette commission. Nous, actrices concernées par la question, avons réalisé l’importance du problème en partageant nos expériences. Lorsque nous avons mis ce sujet en lumière, certains professionnels du secteur estimaient que ce n’étaient que des « problèmes de comédiennes » en mal de rôles.  

Comme si cela avait uniquement à voir avec les individualités. L’aspect systémique n’était alors pas envisageable à leurs yeux. Nous devions donc trouver le moyen de créer une prise de conscience collective sur le double standard du sexisme et de l’âgisme prédominant dans le cinéma français. 

 

  • C’est de cette volonté qu’un baromètre dénombrant les rôles des actrices de plus de 50 ans a vu le jour ? 

 

Tout à fait. Afin d’engendrer un éveil sur ce phénomène, nous avons décidé de compter les rôles par genre et âge dans les films français et de les comparer aux chiffres de la population française.  Ainsi, le premier baromètre du tunnel de la comédienne de 50 ans est sorti en 2015. Il y a dix ans, seuls 8 % des rôles étaient attribués à des actrices ayant passé le cap de la cinquantaine. Ceci alors qu’une femme majeure sur deux de la société française avait plus de 50 ans. 

Dès la sortie de ce baromètre, la presse s’est emparée du sujet. C’est de cette manière que les gens du métier ont commencé à ouvrir les oreilles et à enfin comprendre ce que nous voulions dire. 

 

  • La dernière édition du baromètre date de 2024. Peut-on noter une évolution presque dix ans plus tard ?  

 

Absolument pas. Dans les films de 2023, seuls 9 % des rôles étaient attribués à des actrices de plus de 50 ans. Cela alors qu’un Français sur 4 est une femme de plus de 50 ans selon l’INSEE. À l’écran, leur représentation est presque trois inférieure.  

De leur côté, les hommes de plus de 50 ans ont une représentativité très proche de leur place dans la société. Ils représentent 1 personne sur 4 en France et décrochent 1 rôle sur 5 au cinéma. 

 

  • Selon vous, quelles sont les conséquences pour le public ?  

Le cinéma est porteur de normes et de valeurs qui influencent notre perception du monde et participent à construire l’inconscient collectif. Si les femmes de plus de 50 ans ne sont pas représentées à l’image, l’inconscient collectif des spectateurs se construit autour d’un vide. Et la société continue de reproduire des stéréotypes sexistes et âgistes d’un autre temps

C’est aussi d’une grande violence pour les jeunes femmes. Sans représentations, il leur est impossible de se projeter.  Elles intègrent alors que plus on avance, plus on disparait. Qui n’est pas représentée n’existe pas. Rendre visibles les femmes de plus de 50 ans dans les fictions est un enjeu de société. 

 

« C’est aussi d’une grande violence pour les jeunes femmes. Sans représentations, il leur est impossible de se projeter. Elles intègrent alors que plus on avance, plus on disparait. »

 

  • Quel est l’ordre d’importance des rôles pris en compte par le baromètre ?  

 

Nous comptons tous les rôles, du premier au dernier. Sur les premiers rôles, on nous dit souvent : « Mais attends, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert ou encore Fanny Ardent tournent beaucoup ». Certes, mais elles ne sont que les arbres qui cachent la forêt. Car elles sont comptées dans nos baromètres. Elles font partie des 9 % de 2023. Et le nombre de personnages de femmes de plus de 50 ans n’augmente pas depuis 10 ans. 

 

  • L’AAFA est en lien avec des acteurs clés du milieu du cinéma. Comment s’instaure le dialogue sur ces questions ?  

 

Nous avons publié un manifeste signé par les syndicats et aux associations du métier ainsi que les spectateurs. Nous proposons des pistes pour que les choses évoluent sans mettre en péril la liberté de création. Ainsi nous préconisons par exemple aux scénaristes de ne pas genrer les « rôles de fonction », ces personnages qui n’existent que par le métier qu’ils exercent. Que ces rôles soient occupés par un homme ou une femme, cela ne change pas l’histoire, or ils sont très souvent genrés au masculin (le juge, l’avocat, etc..). C’est une solution simple à mettre en œuvre.  

Nous tentons également d’alerter sur la différence d’âge entre les couples. Les couples français ont en moyenne un an et demi à deux ans d’écart. Au cinéma, c’est assez différent : certains de nos collègues comédiens se disent parfois choqués quand la comédienne interprétant leur épouse a l’âge de leur fille. 

 

  • Selon vous à quoi est due cette invisibilisation ?  

 

Le cinéma français est empreint de ce que l’anthropologue Françoise Héritier nomme la « valence différentielle des sexes » et l’essayiste Susan Sontag « le double standard ». Ces concepts font référence au lien entre sexisme et âgisme. Notamment à la plus grande valeur donnée aux hommes âgés qu’à leurs collègues femmes du même âge. Au cinéma, les femmes sont en grande partie « utilisées » quand elles sont jeunes pour leur désirabilité.  Et ce sont ces mêmes femmes qu’on fera disparaître quand elles auront passé la cinquantaine. 

Aussi, de manière plus générale, le sexisme recouvre toutes les classes d’âge, avec 39 % de rôles féminins contre 61 % de rôles masculins en 2023. 

 

« Au cinéma, les femmes sont en grande partie "utilisées" quand elles sont jeunes pour leur désirabilité.  Et ce sont ces mêmes femmes qu’on fera disparaître quand elles auront passé la cinquantaine. »

 

  • La 78e édition du Festival de Cannes a lieu jusqu’au 24 mai, l’AAFA est-elle intervenue à cet effet ?  

Nous avons co-signé une tribune avec l’ensemble des associations de nos métiers qui se battent pour une plus grande diversité de représentations à l’image.

 

Propos reccueillis par Léanna Voegeli  

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