TRIBUNE - Combattre l’extrême droite et construire un chemin d’espoir
Pour Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, l’arrivée potentielle de l’extrême droite au pouvoir constituerait un danger grave pour les droits fondamentaux des personnes, la cohésion sociale ou encore les libertés associatives. Face à ces risques, les acteurs progressistes de la société civile doivent se mobiliser pas seulement contre l’extrême droite, estime-t-elle, mais pour construire un contre-récit désirable qui permettent aux uns et aux autres de se projeter dans l’avenir.
Le résultat des élections européennes, l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale et la perspective d’élections législatives qui, dans moins de 3 semaines, pourraient conduire à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et de ses idées… Tout cela a profondément choqué nombre de citoyennes et de citoyens, et alarme particulièrement les membres des associations de solidarité.
Car les conséquences d’un tel scénario seraient très graves. D’une part et avant tout, pour les personnes migrantes et les personnes étrangères. La philosophie des projets d’extrême droite repose par essence sur le rejet de l’autre, de la différence, sur le fantasme de l’épuration du « corps national » de tout ce qui pourrait apparaître comme de nature à le « souiller ». En découlent de nombreuses mesures programmatique pensées pour freiner toute possibilité d’immigration en Europe et en France, pour tous les « indésirables » qui n’auraient pas la bonne couleur de peau, la bonne religion, la bonne « culture » … ; et pour s’efforcer de nier les droits fondamentaux de celles et ceux qui sont présents sur notre sol, quelle que soit leur situation administrative.
Un risque d’atteinte aux droits fondamentaux
Préférence nationale en matière d’emploi, d’aides sociales, de logement ; volonté de vider de leur substance le droit d’asile et le regroupement familial ; refoulement permanent aux frontières ; expulsions systématiques… Certaines de ces mesures pourraient s’avérer difficiles à mettre en œuvre dans le réel, ou entreraient en contradiction avec le droit international ou la Constitution. Mais il ne faut pas s’y tromper : des mesures législatives ou réglementaires, sur l’accès aux soins, aux titres de séjour, ou venant restreindre des dispositifs de solidarité comme l’aide alimentaire… pourraient venir attenter chaque jour un peu plus aux droits fondamentaux des personnes et de leurs proches, avec des conséquences directes sur la vie de centaines de milliers d’entre elles.
En outre, il est important de rappeler que ce qui se joue derrière le risque de l’accession au pouvoir des partis d’extrême droite, c’est aussi un climat, une « permissivité », qui libèrerait encore davantage dans le débat public les propos racistes et xénophobes, et au-delà les violences et les agressions contre les personnes migrantes et celles et ceux qui les accompagnent.
Des menaces sur les libertés associatives
Autre aspect central enfin du corpus de l’extrême-droite : l’autoritarisme et l’affaiblissement de la démocratie, les menaces pesant sur les libertés associatives et sur l’action des membres des corps intermédiaires. Les évolutions législatives récentes, les nombreuses attaques déjà portées au respect de l’État de droit et des libertés fondamentales, constitueront un terreau favorable pour qu’un gouvernement d’extrême droite aille demain encore plus loin en matière de restriction de la liberté d’expression, de pénalisation et de criminalisation de l’action des solidaires, de menace de dissolution d’associations... Sans compter les enjeux financiers, avec des restrictions de subventions ou de budgets alloués à des programmes d’aide et d’intégration, qui viendraient nécessairement entraver les capacités d’actions de celles et ceux qui continueront à œuvrer pour l’accueil et la solidarité.
La situation que nous rencontrons aujourd’hui ne vient pas de nulle part. Des années de banalisation dans les médias et les discours politiques de propos racistes et xénophobes, de contre-vérités, de théories mortifères et insensées comme le « grand remplacement » ; des inégalités sociales et économiques qui ne cessent de se creuser, qui font le lit de tous les discours alimentant les peurs de l’autre et visant à faire des personnes étrangères des boucs émissaires ; une remise en cause des fondamentaux de l’État de droit, quand par exemple un président de la République assume de faire voter dans la loi immigration des mesures de préférence nationale, tout en reconnaissant qu’elles sont contraires à la Constitution : tout cela a sapé les fondements permettant de faire société autour d’un socle commun, celui du respect des droits de toutes et tous, de la valeur égale de toutes les vies humaines, et rendu dès lors possibles toutes les transgressions…
Résister contre le fatalisme et la résignation
À moyen terme, il nous faudra poursuivre un travail en profondeur pour renverser durablement tous ces mécanismes, ne plus rien laisser passer, résister encore et toujours contre le fatalisme ou la résignation, porter et imposer dans le débat politique et médiatique un contre-récit sur les migrations, soulignant leur caractère consubstantiel et nécessaire au monde d’aujourd’hui et de demain.
À court terme, l’urgence impose de tout faire pour éviter le pire lors des échéances électorales à venir. Aux côtés de ses partenaires associatifs, syndicaux, en lien avec les nombreuses initiatives collectives et citoyennes qui partout fleurissent, la Cimade et ses membres seront pleinement mobilisés, pour combattre l’extrême droite et pour contribuer à construire un chemin d’espoir, en prenant sa part au mouvement à l’œuvre pour l’émergence d’un nouveau front populaire, porteur d’une vision de société fondée sur l’égalité et la justice.
Car l’histoire nous a appris que les temps dramatiques peuvent aussi être des moments de bascule, et pas toujours vers le pire : l’enjeu est bien qu’au-delà d’une mobilisation en « contre », se construise et se renforce une dynamique politique alternative, porteuse de propositions nouvelles pour la solidarité envers les plus vulnérables et précaires, la protection de notre planète, la justice sociale et le renforcement des services publics au service de l’intérêt général… La concrétisation en actes de cette dynamique nécessitera une mobilisation dans la durée de toutes les composantes progressistes de la société civile.
Résistance, engagement, détermination et espoir : nous n’abandonnerons pas ces boussoles qui continueront inlassablement à guider nos actions.
Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade