Baptiste Cohen (Fondation Apprentis d’Auteuil) : « Prendre le parti des jeunes, c’est lutter contre les violences qui leur sont faites »
La loi relative à la protection des enfants a été promulguée le 7 février. Un des objectifs : améliorer le quotidien des enfants placés. Parmi les mesures annoncées, la fin des sorties sèches à leur majorité. L’occasion de nous entretenir avec Baptiste Cohen, directeur au pôle de la protection de l’enfance de la Fondation Apprentis d’Auteuil pour comprendre les enjeux.
- Le texte de la loi du 7 février annonce « la fin des sorties sèches de l'ASE à la majorité, en garantissant un accompagnement pour les 18-21 ans par les départements et l’État ». Comment avez-vous accueilli cette disposition ?
La notion de sortie sèche de l’ASE évoquée dans la loi est en lien avec l’accompagnement des jeunes majeurs, cependant certaines inquiétudes persistent. C’est une loi de principe. Elle ne définit pas quel type d’aides est accordé dans telle ou telle situation.
C’est un sujet que nous portons depuis longtemps dans notre plaidoyer et nous avons pris des mesures en créant des dispositifs spécifiques pour ces jeunes majeurs, qui, à 18 ans, n'ont pas l’autonomie suffisante pour faire les pas nécessaires dans l’âge adulte.
La loi prévoit donc désormais d'obliger les départements à proposer une solution aux jeunes à leurs 18 ans dès lors qu’ils ont été pris en charge par l’ASE. L’avancée est dans l’obligation. Mais nous ne savons pas comment ni combien de temps l’accompagnement doit avoir lieu.
- Quelles conséquences pour les départements ?
Cela renforce le cadre juridique et institutionnel, mais chaque département doit repérer les situations où il estime devoir faire quelque chose devant « l’absence de ressources ou de soutien familial suffisant », dit la loi. Chaque département devra étudier des propositions pour faire face à ces situations et ce sont les acteurs, opérateurs publics ou privés, qui devront démontrer, au cas par cas, comment ces jeunes sont concernés.
La protection de l'enfance est organisée sous l’autorité des services sociaux des départements, eux-mêmes accompagnent les familles pour des recours devant le juge quand elles ont du mal à mettre en œuvre leurs pratiques éducatives. Il y a 360 000 décisions par an, dont une moitié concerne l'accompagnement en milieu ouvert (à domicile) et l’autre des décisions de placement. Dans la majorité des cas, ce sont des mesures d'assistance éducative pour les parents et pour aider les enfants.
- Comment la fondation s’inscrit-elle dans ce parcours de la protection de l’enfance ?
La fondation est un opérateur en protection de l’enfance. Nous gérons des établissements qui accompagnent les jeunes jusqu’à leurs 18-21 ans, sur 46 départements. Un des éléments forts de notre engagement est de mobiliser les parents en protection de l’enfance.
Nous soutenons l’idée que la politique de la protection de l'enfance ne doit pas uniquement s'adresser à l’enfant et être contre les parents. Nous pensons que les parents sont un peu trop laissés pour compte. Il y a un vrai sujet sur la reconnaissance des parents.
- Que propose particulièrement le dispositif de La Touline ?
La Touline est un dispositif d'accompagnement, sur trois ans, pour les jeunes sortant de la protection de l’enfance. Il s’appuie sur deux éléments essentiels : la fidélité, en gardant des liens de constantes amitiés avec ceux qui sont passés par nos dispositifs. L’engagement est réciproque. Le jeune vient s’il souhaite un accompagnement même au bout de quelques mois, après nous avoir quittés.
Un second volet concerne l'insertion de jeunes qui sortent de dispositifs sans avoir eu la possibilité de découvrir leurs compétences et savoir-faire. Rappelons que ces jeunes ont eu des blessures dans l’enfance avec des conséquences dans leur vie, qui peuvent être très durables.
- Quel rôle ont vos équipes dans ce processus ?
Ce sont des lieux où il n’y a pas une grande équipe, pas de prestations. L’idée est d'animer une présence pour des jeunes majeurs qui se retrouvent sans prise en charge et les aider à aller vers des formations, des ressources mobilisables et des aides de droit commun. Un jeune a besoin d’être en confiance et de croire en lui, par exemples, organiser un rendez-vous, participer à une activité collective ou rendre compte de ce qu’il a entrepris.
Nous sommes des témoins de l'action sociale. En tissant des fils, les jeunes se raccrochent pour aller de l’avant. Nous créons des passerelles en montrant aux jeunesses, aux formateurs et aux entreprises que c’est possible. C’est l’ancrage spirituel même de la fondation, les choses sont possibles à condition de porter cette espérance.
- Nous sommes en pleine campagne électorale, quel message souhaitez-vous partager ?
Nous avons déjà un slogan politique : « prendre le parti des jeunes. » Nous avons écrit un plaidoyer sur ce sujet. Notre rôle est de montrer que le parti pris pour les jeunes est un vrai choix de société. Il existe plein de raisons de faire ce choix : l'éducation, les parents, les enseignants, etc.
Les jeunes sont sensibles aux violences subies. Prendre le parti des jeunes, c’est lutter contre les violences qui leur sont faites. Pour cela, une question à se poser : comment faire pour qu’ils soient moins soumis aux violences indirectes ?
Je pense que pour qu’un système, au sens écologique du terme, fonctionne, il faut que les êtres qui habitent ensemble ne soient pas sans cesse en train de s’agresser les uns les autres. C’est une des clés pour comprendre quelle société nous voulons. La bienveillance, le refus de la violence à l'égard des autres, ce sont des façons de prendre le parti des jeunes.
Christina Diego