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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 11 décembre 2025 - 12:37 - Mise à jour le 11 décembre 2025 - 12:58
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Donner après soi, quand la générosité devient héritage

Les legs sont devenus une ressource importante pour les associations et fondations. En quelques années ont fleuri les appels à legs à travers les médias et les campagnes de collecte. Dans le cadre des apports méthodologiques présentés régulièrement dans ce blog, il a paru important de faire un point sur ce sujet pour faire comprendre qu’il est complexe, qu'il demande beaucoup de professionnalisme et de compétences. La charge morale que représente un legs nécessite que les volontés du legs soient respectées à la lettre, c’est aussi la garantie que ce type d’apport pour la philanthropie puisse se développer en toute confiance.

Donner après soi, quand la générosité devient héritage.
Donner après soi, quand la générosité devient héritage.

 

Nous souhaitons éclairer ici un sujet important : les legs au profit des organisations non lucratives.

Laurent Mazeyrie, vous êtes notaire spécialisé dans les libéralités et la transmission patrimoniale. Pendant 12 années, vous étiez en charge des legs à la Fondation de France. Vous êtes donc un praticien avec une grande expérience des successions complexes.

Frédéric Grosjean, vous êtes responsable du service des legs et des libéralités de l'Institut Pasteur. Pour situer notre échange, rappelons brièvement que l’Institut Pasteur est une fondation reconnue d’utilité publique depuis 1887, au cœur de la recherche en biologie, virologie, microbiologie et santé publique. Ses découvertes majeures ont façonné la médecine moderne et son réseau de 33 instituts dans le monde lui permet de surveiller les épidémies, d’intervenir rapidement en cas de crise sanitaire ou d’émergence d’un virus nouveau. Son financement repose sur un modèle hybride : subventions publiques, contrats de recherche avec l’Europe ou l’État, redevances industrielles issues de ses innovations, mécénat d’entreprise, dons des particuliers et, surtout, les legs. Ces derniers représentent chaque année entre 20 et 22 % du budget total qui est d’environ 400 millions d’euros. Pour une institution de cette ampleur, c’est un volume considérable et sans les legs, certains programmes scientifiques ou technologiques ne pourraient tout simplement pas exister.

 

Le testament : un acte de précision et de sécurité juridique

 

  • Qu’est-ce qui fonde juridiquement un legs ?

 

Laurent Mazeyrie (LM) : Tout part du testament. Sans lui, un legs ne peut pas exister. Le document doit être rédigé avec une rigueur extrême. Une phrase ambiguë, une mention mal placée, un testament mal conservé ou rédigé dans des formes incertaines suffisent à déclencher des interprétations contradictoires, des conflits familiaux, voire l’annulation totale du legs. On voit régulièrement des successions où les volontés du testateur disparaissent simplement parce qu’une formulation n’était pas suffisamment claire.

 

  • Ce qui implique la nécessité de passer par un notaire.

 

LM : Oui. Le notaire sécurise la forme, la conservation et la cohérence du texte. Il explique les différents types de legs, universel, à titre universel, particulier, veille à leur articulation et surtout s’assure que rien ne crée de contradiction interne. Par ailleurs, le notaire peut conseiller sur la fiscalité, notamment sur l’exonération ou non des droits de mutation au profit des organismes. Il est aussi le gardien du respect des délais : par exemple, les droits de succession doivent être payés dans les six mois suivant le décès. Cela signifie que le légataire doit parfois avancer des sommes importantes, avant même d’avoir pu vendre un bien. Une organisation qui n’a pas de trésorerie suffisante risque alors de subir pénalités et intérêts de retard.

 

La multiplication des bénéficiaires : la pratique du « chef de file »

 

  • Beaucoup de testateurs souhaitent aujourd’hui soutenir plusieurs causes. On voit parfois des successions réparties entre dix ou quinze organisations. Comment éviter les blocages ?

 

LM : Plus il y a de bénéficiaires, plus la succession devient lourde à gérer. Il faut vendre des biens, régler des charges, gérer des travaux urgents, avancer des frais, décider d’interventions juridiques. Si personne ne pilote, la succession s’enlise. C’est pourquoi il est très utile que le testateur désigne un légataire universel qui joue le rôle de coordinateur. Ce n’est pas un avantage financier, mais une fonction technique : cet organisme centralise les décisions, gère les relations avec le notaire, assure les ventes et répartit ensuite l’actif entre les autres.

 

  • Donc le chef de file est surtout un facilitateur ?

 

LM : Exactement. Il rend possible ce qui serait sinon paralysé.

Frédéric Grosjean (FG) : Quand rien n’a été prévu, les organismes doivent se mettre d’accord. Dans la pratique, les institutions qui disposent d’un service des legs solide, comme à l’Institut Pasteur, prennent souvent naturellement un rôle de leader. Nous accompagnons les petites associations, qui peuvent avoir peur d’agir ou de prendre des décisions engageantes. Nous coordonnons les opérations immobilières, aidons à comprendre les implications fiscales, centralisons les avancées. Sans un pilote, certains legs collectifs seraient tout simplement impossibles à mener à terme.

 

Accepter un legs : une décision qui engage

 

  • On imagine souvent le legs comme un simple transfert d’actifs, mais on oublie parfois les passifs.

 

LM : En effet, un legs peut s’accompagner d’un patrimoine lourd à gérer : des charges de copropriété, des travaux urgents, des mises aux normes, des dettes, des impôts impayés, parfois même des procédures. De plus, certains testateurs possèdent des biens à l’étranger. Cela entraîne des procédures compliquées : successions internationales, règles locales, dettes cachées dans un autre pays, formalités notariales multiples. Une association doit examiner très attentivement ce qu’elle reçoit avant d’accepter. Il ne faut pas oublier que l’acceptation d’un legs entraîne l’obligation de payer les droits de succession lorsque ceux-ci s’appliquent. Elles peuvent se retrouver dans une situation impossible s’il faut régler des droits importants dans un délai de six mois. Une petite association ne peut matériellement pas gérer toutes ces situations.

FC : Toutes les associations peuvent-elles recevoir un legs.

LM : Une association simplement déclarée ne peut pas en recevoir. Une association d’intérêt général doit avoir trois ans d’existence. Et même en cas de capacité juridique, l’exonération fiscale n’est pas automatique. L’administration peut imposer une fiscalité à 60 %, ce qui peut rendre le legs quasi nul en valeur réelle.

FG : Voilà pourquoi les grandes organisations se sont professionnalisées. À l’Institut Pasteur, notre équipe compte des juristes issus du notariat, des spécialistes en droit civil, droit immobilier et successions complexes. Nous avons un notaire référent, une direction immobilière, la capacité d’avancer les frais, de gérer un contentieux, de libérer un appartement squatté si nécessaire. Les petites organisations, elles, n’ont pas toujours ces ressources. Ce n’est pas un manque de compétences : c’est un manque de moyens structurels.

LM : Il existe aussi des solutions alternatives pour les testateurs : fondations abritées, fonds de dotation, libéralités à charge. On peut par exemple créer un fonds dédié sous l’égide d’une fondation, ou une fondation abritée qui portera la mémoire d’un proche ou un projet particulier. Certaines personnes n’y pensent pas spontanément, mais cela permet d’allier optimisation patrimoniale et philanthropie.

Il existe aussi des formes de générosité liées aux obsèques, comme les « dons in memoriam » faits à la place des fleurs ou des couronnes. Ils ne sont pas des legs, mais ils s’inscrivent souvent dans le même esprit de transmission et représentent pour certaines familles un premier geste vers la philanthropie testamentaire.

 

Les charges attachées aux legs : un engagement parfois lourd

 

  • Parlons des charges : ce sont des éléments souvent mal connus.

 

LM : Oui. Les charges peuvent être simples, comme une intention symbolique, mais elles peuvent aussi être très contraignantes : entretenir une sépulture, conserver un bien, exposer un tableau régulièrement, respecter une clause d’inaliénabilité très restrictive, valoriser la mémoire d’un artiste. Si certaines clauses sont impossibles à réaliser, elles sont réputées non écrites, mais dès qu’elles sont réalisables, elles s’imposent. Et ne pas les respecter peut entraîner la révocation du legs, même des années après.

FG : Nous entretenons des sépultures sur tout le territoire, certaines depuis plus d’un siècle. C’était la volonté du testateur. Cela n’a pas d’intérêt économique, mais c’est un engagement moral. Parfois, lorsque la charge devient incompatible avec une gestion saine, nous pouvons demander à un juge qu’elle soit, sous diverses conditions, levée, comme par exemple avec une clause d’inaliénabilité, mais ce n’est jamais simple.

FC : Et si une petite association est désignée directement ?

LM : Elle peut se retrouver dépassée, notamment si la succession comporte un bien immobilier, des dettes, un passif caché, ou si elle implique une gestion à l’étranger. Avancer des frais, payer des impôts dans les six mois, gérer des travaux, traiter des procédures, ce n’est pas à la portée d’une structure fragile. Parfois, la seule solution est de renoncer. Et selon la rédaction du testament, cette renonciation peut entraîner la chute d’autres legs ou même rendre la succession vacante, c’est-à-dire revenir aux héritiers ou à l’État.

 

Transparence, confiance et contrôles : un impératif absolu

 

  • Les testateurs veulent être rassurés avant de transmettre leur patrimoine.

 

FG : Et ils ont raison. Les organisations doivent démontrer leur sérieux : labels comme le Don en Confiance, IDEAS, certifications ISO, audits externes, contrôles des commissaires aux comptes, examens de la Cour des comptes. Nous devons une transparence totale. Le donateur doit savoir que ses volontés seront respectées et que l’organisation récipiendaire est fiable.

LM : Et nous, notaires, sommes garants de cette sécurité. Nous vérifions la fiabilité et la capacité réelle des organismes. Pour la même cause, il arrive que nous orientions un testateur vers une institution plus solide, qui gérera la succession et reversera ensuite à une petite association. Cela évite de mettre cette dernière en danger.

 

La vague démographique : un afflux de successions à venir

 

  • Les projections annoncent une augmentation massive des successions…

 

LM : Oui, la génération du baby-boom arrive à l’âge où les successions sont nombreuses. On parle de plusieurs milliers de milliards d’euros transmis dans les quinze prochaines années. La philanthropie testamentaire devrait donc augmenter mécaniquement.

FG : Les institutions qui ont une stratégie de legs depuis longtemps le constatent déjà. C’est pour cela qu’il ne faut pas improviser. Les legs sont un investissement sur le long terme. Entre la première réflexion d’un testateur et son décès, il s’écoule en moyenne sept ans, mais parfois un mois ou trente ans. Nous travaillons donc avec nos donateurs réguliers, informons le grand public, collaborons avec les notaires. Comme je l’ai dit, à Pasteur, les legs représentent chaque année un montant important du budget. Un tel montant de legs permet d’engager ou de poursuivre des recherches importantes, aussi doit-on en permanence s’adapter aux évolutions fiscales et législatives.

 

  • En vous écoutant, on mesure combien les legs constituent un domaine à la fois technique et profondément humain. Ils engagent la volonté d’une personne, mais aussi la capacité d’une organisation à gérer un patrimoine parfois complexe.

 

LM : C’est un domaine exigeant, qui nécessite de la précision et de l’anticipation.

FG : Et lorsqu’ils sont bien préparés, les legs peuvent transformer durablement la capacité d’une organisation à agir. Mais nous n’oublions jamais qu’avant tout il y a la  volonté d’une personne d’affecter tout ou partie de son patrimoine à une cause qui lui tient à cœur. Nous témoignons notre reconnaissance et notre gratitude à nos bienfaiteurs partout où cela est possible.

 

 

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