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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 23 novembre 2023 - 18:03 - Mise à jour le 23 novembre 2023 - 18:13
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[INTERVIEW] Jérémy Lachal (Bibliothèques Sans Frontières) : « Partager l'accès à la connaissance partout dans le monde »

Bibliothèques Sans Frontières est une très belle action qui s’est construite dans le temps à partir d’une rupture du concept de bibliothèque. Une vision dynamique, élargie et innovante de l’accès à la connaissance avec des outils originaux et des financements peu pratiqués. Jérémy Lachal, son cofondateur et directeur général, nous en dit plus dans cet interview pour Chroniques philanthropiques.

Jérémy Lachal de Bibliothèques Sans Frontières - Crédit photo : DR.
Jérémy Lachal de Bibliothèques Sans Frontières - Crédit photo : DR.

Élaboration d’un concept ; un long chemin

  • Qu’est-ce que Bibliothèques Sans Frontières ?

 

Bibliothèques Sans Frontières est une ONG qui travaille partout dans le monde pour partager l’accès à la connaissance. Nous décrivons notre méthode avec le terme d’« outreach »  qui est beaucoup utilisé par les bibliothèques américaines, ce que l’on peut traduire par « aller vers ».  Cela consiste à chercher les moyens de créer des ponts entre les populations – en particulier les plus vulnérables - et la société de l’information et de la connaissance dont elles sont ou se sentent exclues. Notre expertise en la matière peut se résumer en trois piliers : la création d’outils et d’espaces innovants qui permettent aux gens d’accéder à cette connaissance, la production et sélection de contenus en fonction de leurs besoins et la conception de méthodes et supports de médiation vers chaque public pour en faire des acteurs de la société de la connaissance. Pour prendre une image : il n’est pas très utile de donner un livre à quelqu’un qui ne sait pas lire. Notre mission est donc d’apporter le livre, mais aussi d’apprendre à lire à celles et ceux qui en ont besoin et de créer des services autour de la bibliothèque.

 

  • Comment avez-vous commencé ?

 

Le fondement théorique chez Bibliothèques Sans Frontières est de donner à chacun et chacune les moyens de comprendre et donc de mieux appréhender le monde pour construire des sociétés apprenantes dans lesquelles chaque individu est capable, quelle que soit sa place, son âge, sa catégorie sociale, etc , d’apprendre et de progresser pour lutter contre toute forme d’insécurité informationnelle. 

Ce que l’on appelle l’insécurité informationnelle c’est par exemple quand à l’intérieur d’un camp de réfugiés sans accès à Internet ou à l’information, une personne va être exposée aux rumeurs ou à la méconnaissance des services disponibles. Mais la vulnérabilité existe aussi au sein des sociétés hyperconnectées face aux « fakes news » et à « l’infobésité ». Dans ces deux cas antagonistes, l’accès à la connaissance est source de vulnérabilité. 

Pour Bibliothèques Sans Frontières, la vulnérabilité peut être conjoncturelle. Par exemple, un réfugié syrien, architecte issu de la classe moyenne ou supérieure qui, du jour au lendemain, doit s’exiler pour survivre, se retrouve dans une situation de vulnérabilité dont la durée est incertaine. De la même façon, nous nous sommes tous retrouvés brusquement confinés lors de l’épidémie de la Covid 19, et les parents parfois particulièrement vulnérables. Nous avons alors produit des ressources éducatives pour les soutenir. 

Ces exemples l’illustrent, la vulnérabilité vis à vis de la connaissance peut apparaître partout dans notre monde. C’est pourquoi BSF intervient dans des pays développés comme dans des contextes d’urgence humanitaire.

Trouver son chemin hors des sentiers battus

 

 

  • Vous venez avec votre idée en 2007, mais comment procédez-vous pour trouver le concept qui soit opérant ?

 

On explore, on tâtonne, ça prend du temps ! 

Tout d’abord, je vais rencontrer des professionnels des bibliothèques et certains me disent : « Comment pouvez-vous créer Bibliothèques Sans Frontières alors que vous n’êtes pas vous-même bibliothécaire ? ». Mais la bibliothèque est un espace qui appartient à toutes et tous ! On ne s’appelle pas « Bibliothécaires Sans Frontières ». 

J’entre aussi en contact avec la Direction des bibliothèques du ministère des Affaires étrangères, qui a complètement disparu aujourd’hui ; tout a été transféré à l’Institut Français. Cette Direction avait créé un grand nombre de fonds de solidarité qui avaient par exemple permis de créer au Cameroun un grand nombre de bibliothèques. Mais, faute de moyens pour en pérenniser le fonctionnement, elles avaient quasiment toutes fermé. Alors, comment faire mieux ? 

Toutes ces rencontres ont été très importantes pour affiner notre projet, celui de créer des espaces qui permettent aux gens de se réunir autour des livres et de s’émanciper. 

Nous nous sommes inscrits dans une dimension entrepreneuriale avec une vision assez anglo-saxonne de la bibliothèque. En schématisant à l’extrême, on peut dire que la bibliothèque à la française, issue de la Révolution, est au cœur de la culture républicaine qui émancipe les masses. Alors que la vision anglo-saxonne est plus « bottom-up » : la bibliothèque est un outil partagé au sein d’une communauté, connectée à Internet, qui permet d’accéder à la connaissance, de se former, d’apprendre des langues, de trouver un emploi... Les Américains font des études du retour sur investissement économique (ROI) quand ils construisent une bibliothèque alors que la France s’y est longtemps refusée selon l’idée longtemps bien ancrée que la culture n’a rien à faire avec l’économie ! Pourtant, lors de mes nombreux déplacements, en Afrique subsaharienne notamment, j’entendais partout que la culture était le parent pauvre de l’aide au développement, qu’il n’y avait pas de budget pour la culture. 

C’était d’ailleurs le moment où l’UNESCO était en train de s’écrouler parce que les Américains en étaient sortis. Or nous savions que convaincre un bailleur de fonds ou une fondation d’entreprise que la culture allait sauver le monde allait être difficile. Cela nous a donc amené à travailler sur une approche de l’accès à la connaissance tournée vers l’emploi et les revenus pour provoquer un véritable changement dans la vie des gens. 

Quelles ressources fallait-il rassembler pour améliorer l’éducation, la formation des professeurs, la prévention et la promotion de la santé, le niveau académique, pour aider des gens à se former, trouver un job, entreprendre ou encore améliorer leurs rendements dans l’agriculture ? 

Nous avons choisi de travailler avec l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants qui, dans le paysage de l’époque, était l’organisation qui repensait le don de livres « traditionnel » afin d’éviter des formes de concurrence déloyale vis-à-vis des éditeurs locaux et d’assurer que les livres acheminés étaient bien adaptés aux besoins.

C’est ainsi que nous avons défini le triptyque outil-espace-médiation dont je vous parlais, en relation avec les éditeurs locaux, pour faire des bibliothèques un espace de rencontre entre le local et le global. 

Le triptyque outil-espace-médiation, un concept global

  • Après toute cette réflexion et cette approche conceptuelle, comment s’est passé votre premier projet ? Comment passe-t-on de ce triptyque à la concrétisation ? 

 

Nous avons commencé par des dotations de livres à des professeurs, notamment dans des écoles françaises en Géorgie. Mais le premier « vrai » projet s’est fait à Bokito, une petite commune à une centaine de kilomètres au nord de Yaoundé au Cameroun. 

Avec l’adjointe au maire, nous avions eu l’idée de créer une bibliothèque dans le village avec, bien sûr, des livres et ressources culturelles, mais aussi des informations de santé communautaire et d’en faire un espace pour que les femmes puissent se former à l’entreprenariat. Mais à la suite d’un changement de municipalité le budget pour rémunérer l’animateur a été supprimé... 

Cela nous a appris l’importance de penser le modèle économique de ces bibliothèques pour qu’elles créent leurs propres ressources et partenariats pour avoir les moyens de survivre aux aléas politiques.

Le grand tournant

  • Fort de cette expérience comment vous êtes-vous développés ?

 

Le véritable acte de naissance de BSF dans sa forme actuelle eu lieu en 2010 en Haïti où nous étions présents depuis nos débuts.

En janvier, lorsque survient le séisme, nous travaillions avec un grand nombre de partenaires institutionnels locaux (la Bibliothèque nationale, l’Ambassade de France, les ministères de l’Éducation nationale, de la Culture...) et de nombreux programmes étaient actifs. 

Nous avons alors dû improviser une mission patrimoniale en apportant du matériel pour sauver les archives du ministère des Affaires étrangères ! Tout cela a donné naissance à la création de la première bibliothèque numérique universitaire du pays et à peine neuf mois après la catastrophe, avec l’Université d’État, nous avons construit la plus grande bibliothèque universitaire de la région. Les étudiants avaient accès à 150 ordinateurs connectés à un réseau haut débit et à toutes les bases de données et ressources universitaires au monde grâce à un accord que nous avions négocié !

L’Ideas Box un outil global

  • Cette bibliothèque n’était pas dans votre champ initial, mais est-ce de là qu’est née la fameuse valise ? 

 

En effet, cette bibliothèque universitaire numérique fut une expérience formatrice et fondatrice pour BSF sur les aspects technologiques, mais aussi l'intervention dans des contextes d’urgence humanitaire, avec la création de bibliothèques dans les camps de déplacés, et l’importance de la mobilité pour aller au contact des populations partout où elles se trouvent avec un programme de bibliobus. 

L’étape suivante a eu lieu en 2012. Médecins du Monde avait mené une grande étude sur les effets psychosomatiques de l’ennui et du désœuvrement dans les camps de réfugiés. À la suite de cela, nous avons décidé de lancer une grande campagne de plaidoyer, « L’urgence de lire », qui appelait le Secrétariat Général des Nations Unies à mieux intégrer les questions d’éducation, d’information et de culture dans les réponses à apporter en situations d’urgence humanitaire. Notre texte était signé par dix prix Nobel et des personnalités comme Toni Morrison ou Stephen King alors que nous étions encore une très jeune organisation ! 

Lors de la remise de l’appel, le Secrétariat général des Nations Unies nous a encouragé à trouver le moyen d’entrer dans les canaux humanitaires et de standardiser nos modes d’intervention. C’est ainsi que nous avons créé le cahier des charges des futures Ideas Box ! Nous écrivons alors au célèbre designer Philippe Stark qui accepte de nous aider gratuitement à fabriquer cet outil unique qui fut déployé sur le terrain pour la première fois en janvier 2014 au Burundi.

 

  • Comment est constituée l’Ideas Box ? Est-ce un container ? Est-ce une malle ? 

 

L’Ideas Box c’est un ensemble de quatre flight cases qui se transforment en mobilier pour créer un espace de 50 à 100 m2 avec des livres, bien sûr, mais aussi une trentaine de tablettes et d’ordinateurs qui donnent accès à un immense catalogue de contenus numériques, des jeux, un cinéma, du matériel créatif, des caméras, des instruments de musique, etc. C’est un espace complètement autonome qui contient aussi un groupe électrogène. Pour le transporter il suffit de deux palettes, le tout rentre dans un pick-up ! 

L’Ideas Box du concept à la pratique

  • On parle de biens matériels, mais il faut aussi parler de ressources humaines ?

 

Ce qui est clair pour nous depuis le départ, c’est que nous ne sommes pas là pour faire à la place des acteurs locaux. Pour jouer pleinement son rôle, une bibliothèque est un outil qui doit être ancré dans les communautés. Tout notre travail est donc de soutenir nos partenaires sur leur territoire en leur apportant des outils, des contenus et de l’expertise. 

Au Burundi où nous avons déployé la première Ideas Box avec le HCR, nous avions identifié un groupement communautaire local qui s’est chargé de l’animation du dispositif avec, au départ, le soutien de personnels expatriés. Ce qui est formidable, c’est que ces Ides Box existent encore aujourd’hui et continuent à très bien fonctionner sans nous ; nous tenons simplement à jour le matériel. 

Ce que nous avons pu constater et analyser ce sont surtout les effets de la mise en place de cet outil notamment sur l’environnement psycho-social de la communauté. Il s’est passé des choses inattendues mais intéressantes ! Par exemple un groupe de jeunes qui prend les caméras et tourne un court métrage de zombies d’une quinzaine de minutes assez incroyable. On comprend en regardant le film que les jeunes sont d’anciens enfants soldats et que les zombies sont les personnes qu’ils ont tuées au Congo. Le film est devenu un exutoire qui leur a permis de raconter leur trauma. Il a d’ailleurs été réutilisé un peu partout dans la région par le HCR. 

 

  • Dans combien de pays les avez-vous déployées ?

 

Nous en avons déployé 180 dans une trentaine de pays ! Les premières Ideas Box ont été une vraie réussite, parfois les gens faisaient la queue à partir de cinq heures du matin pour être certains de pouvoir y accéder. La demande s’est donc envolée et entre 2014 et 2017 nous sommes passés de 15 à 70 salariés ! Une croissance honnêtement difficile à maîtriser ! En augmentant le nombre d’Ideas Box déployées, nous ne parvenions plus à assurer la même qualité d’intervention. Nous avons beaucoup appris de cette période et aujourd’hui, nous sommes près de 200 à travers le monde et plus d’1,5 million de personnes ont bénéficié de notre action.

 

  • Comment s’est faite la croissance des contenus ? 

 

En partie par la Khan Academy ! C’est la plus grande plateforme d’apprentissage personnalisée au monde avec 28 millions d’utilisateurs. Elle propose gratuitement des cours de maths, physique, chimie, biologie de l’école primaire à l’université. Il y a 10 ans, BSF a été choisie pour assurer son adaptation en français. Avec l’appui de professeurs, nous avons produit plus de 6 000 leçons vidéo et 100 000 exercices. 

Une folle aventure qui nous a amené à créer notre propre pôle de création de contenus ! Aujourd’hui, nous travaillons dans plus de 36 langues et notre catalogue regrouple plus de 40 000 contenus. Nous avons surtout une vraie expertise en matière de création et adaptation de contenus sous différentes formes. 

L’Ideas cube, une nouvelle innovation

  • Lors de votre création en 2007, l’informatique n’était pas tellement développé…

 

Il y avait déjà beaucoup de choses ! Bill Gates a monté sa fondation dès 2000 avec cette idée de faire entrer Internet chez tous les Américains et dans les bibliothèques. 

Quand nous avons créé BSF, nous étions déjà convaincus que le 21e siècle serait le siècle de la connaissance et qu’Internet pourrait jouer un rôle dans notre démarche, sans en être nécessairement au centre. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a toujours eu des livres chez BSF et qu’il y en aura toujours ! Un dictateur peut couper Internet dans son pays en un clic, mais il ne pourra jamais fermer aussi facilement toutes les bibliothèques et empêcher la circulation des livres. 

 

  • Tout ne repose donc pas sur Internet ?

 

Au Burundi où nous avons commencé, la connexion Internet satellitaire coûte extrêmement cher, ça n’était donc pas une solution viable. Nous avons donc imaginé et installé dans les Ideas Box un système de serveurs internes qui permettent de générer des réseaux locaux grâce auxquels il est possible d’accéder à des contenus sur serveur. Assez vite, nous avons autonomisé ces serveurs grâce à un outil que nous avons baptisé l’Ideas Cube dans lequel on peut mettre plus de 20 000 livres, tout Wikipédia et bien plus encore ! Ainsi, nous avons pu équiper les centres de santé du Burundi tablettes et Ideas Cube et afin de donner accès à des ressources à leurs équipes et bénéficiaires. 

 

  • Vous avez utilisé ce dispositif pendant le COVID ? 

 

Oui bien sûr ! Nous avons fait des choses simples mais qui ont très bien fonctionné. En France par exemple, nous avons mis en place du tutorat pour lutter contre le décrochage scolaire des enfants hébergés dans des hôtels sociaux pour qui les conditions de vie, sans pouvoir sortir, étaient extrêmement compliquées. Grâce à 300 bénévoles et nos outils et ressources, ils ont pu bénéficier chaque jour de sessions de soutien de 45 minutes et les résultats sont là : aucun d’eux n’a redoublé alors qu’il s’agissait d’enfants arrivés depuis moins de dix ans en France. Nous avons également proposé tous les jours des « live » sur Facebook pour partager avec les parents des ressources éducatives. À la fin du confinement, nous avons déployé une dizaine d’Ideas Box dans les quartiers défavorisés pour poursuivre cet effort. 

Trouver son modèle économique une longue recherche

  • Comment avez-vous assuré l’équilibre financier de votre croissance ? 

 

Cela a été difficile au début, car à l’heure de la crise financière, nous étions en pleine période de réduction des dépenses publiques. Nous nous sommes donc tournés vers les entreprises pour solliciter du mécénat, mais cela n’était pas évident non plus. Comme nous encouragions les bibliothèques à adopter des modèles entrepreneuriaux pour développer leurs ressources, nous nous sommes dit qu'il nous fallait également adopter cette démarche. 

 

  • Qu’est-ce que le modèle entrepreneurial d’une bibliothèque ?

 

Nous avons pris exemple sur une ONG américaine qui rencontrait de bons résultats en combinant par exemple la bibliothèque avec l’ambulance du village. Plus simplement, nous avons encouragé les bibliothèques à commercialiser des formations, l’accès à Internet à certaines heures et à des tarifs « sociaux » pour les étudiants ou encore des outils et logiciels. Certaines vont jusqu’à proposer de véritables studios d’enregistrement et de tournage. 

 

  • Qui sont vos partenaires ?

 

Sur le plan opérationnel, nos principaux partenaires sont ceux qui, sur le terrain, déploient les Ideas Box ; des bibliothèques, des associations, des organismes sociaux, etc. 

Ensuite, nous travaillons avec des acteurs institutionnels comme l’Éducation nationale par exemple sur l’accueil des enfants réfugiés dans la classe à travers un programme intitulé « Mon sac de livres ». Ce sont les enfants déjà scolarisés en France qui choisissent des livres pour leurs camarades nouvellement arrivés dans le cadre d’un projet pédagogique sur le livre, la lecture et le partage culturel tout le long de l’année scolaire. 

Grâce à notre programme Microbibli, nous travaillons aussi avec des particuliers qui souhaitent ouvrir tout près de chez eux un lieu de lecture mais surtout de rencontre pour recréer du lien social et redynamiser leur territoire. 

Hybrider les ressources

  • Comment organisez-vous votre activité économique ?

 

Globalement, le modèle économique de BSF est constitué à 75 % de contrats avec des bailleurs de fonds sur projets, 15 % de dons (mécénat, particuliers) et les 10 % restants sont issus des ressources de nos activités génératrices de revenus. 

Nous collectons beaucoup de livres, c’est notre mission historique. Mais comme je l’ai dit, ils ne peuplent les Ideas Box que s’ils sont pertinents dans les contextes donnés et dans tous les cas, nous achetons une grande partie aux éditeurs locaux pour nos activités à l’international. Depuis 2013-2014, les livres qui nous sont donnés et ne répondent pas aux besoins opérationnels sont revendus sur le marché de l’occasion. Cette activité est désormais structurée et confiée à une entreprise détenue à 100 % par BSF, Solibri, qui fait près de 900 000 euros de chiffre d’affaires.

En 2019, nous avons aussi hybridé notre modèle d’impact en créant une entreprise sociale détenue à 55 % par BSF : Kajou. Pensée pour atteindre le même impact que Bibliothèques Sans Frontières, elle permet, par son statut, d’explorer des manières différentes d’y parvenir. L’idée est venue de la demande de particuliers de commercialiser nos Ideas Cube dans des contextes de difficulté d’accès à une connexion à Internet stable. Nous avons donc mené une étude de marché qui a montré que le dispositif était beaucoup trop cher pour des particuliers. Nous avons donc imaginé une carte micro-SD qui s’insère dans les téléphones portables et permet d’accéder, sans connexion à Internet, à des catalogues de contenus thématiques. En tant qu’ONG, nous étions limités pour développer une activité commerciale, c’est ainsi qu’est née Kajou, pour transformer la vie de populations vulnérables en leur donnant accès à la connaissance et les moyens de s’émanciper. 

L’écosystème BSF compte aussi des associations sœurs aux États-Unis, en Belgique, en Suisse et en Italie.

 

  • Qui sont vos financeurs ? 

 

Les difficultés et inégalités d’accès à la connaissance n’ont jamais été aussi criantes, les bailleurs en sont de plus en plus conscients et cherchent donc des moyens innovants à intégrer dans leurs pratiques pour y remédier. L’idée est de compléter un projet sur la santé ou la justice avec un volet d’accès à l’information, l’éducation, la formation, etc. Forte de plus de 15 ans d’expérience, BSF est désormais un acteur identifié dans ce domaine et nous sommes désormais en capacité de traiter avec des bailleurs multilatéraux et bilatéraux qui nous accordent des financements plus importants, plus structurants et sur trois ou même cinq ans.

De plus en plus de fondations privées et d’entreprises nous font aussi confiance. Ces ressources plus nombreuses et diversifiées nous permettent de grandir de façon plus sereine. Afin de compléter ce modèle et de soutenir la mise en œuvre de notre plan stratégique Horizon 2030, nous avons fait le choix de lever des titres associatifs.  

Le titre associatif : une originalité au service du développement

  • Qu’est-ce qu’un titre associatif ?

 

Ce dispositif a été rendu possible par la loi sur l’économie sociale et solidaire. Un titre associatif est un titre qui est émis par une association. Il n'a pas valeur d'action puisque que dans une association il n’y a pas de capital, mais il donne droit à une rémunération sur la base d’un taux d’intérêt qui est calculé avec un principe de remboursement au terme de sept années. Sur cette période, qui peut être ajustée, l’association doit parvenir à des résultats cumulés supérieurs au montant des titres qui ont été émis pour commencer à rembourser. 

Dans le cas de BSF, nous avons émis pour deux millions d’euros de titres achetés par des investisseurs désireux de nous accompagner dans notre croissance et notre impact. Si nous cumulons deux millions d’euros de résultats dans 7 ans, nous commencerons à les rembourser. Sinon, nous continuerons à payer les intérêts jusqu’à parvenir à ce résultat qui déclenche le remboursement. Ces taux d’intérêt négociés se situaient l’année dernière entre 3,5 et 5 %. J’imagine qu’ils ont dû augmenter depuis pour prendre en compte l’inflation et la hausse générale des taux. C’est un risque important pris par les investisseurs puisqu’ils investissent sur la capacité future de remboursement basée sur un business plan. 

 

  • Qui sont vos investisseurs ? 

 

Nous avons quatre investisseurs : INCO, le Crédit coopératif, le Crédit mutuel et France Active. Ce sont des fonds d’épargne salariale dont 10 % doivent être placés dans l’économie sociale et solidaire nous ne sommes pas là dans le registre de la pure finance. Ces banques cherchent donc des projets d’envergure dans lesquels investir. 

Ces titres associatifs sont aussi utilisés par d’autres organisations pour faciliter la gestion de trésorerie car les organisations internationales paient parfois les projets avec beaucoup de retard et cela peut vraiment mettre en péril l’équilibre d’une structure. Les titres associatifs sont considérés comme des fonds propres par les banques et les commissaires aux comptes ; théoriquement, ils peuvent donc permettre de lever de la dette supplémentaire. 

Ce n'est pas la finalité de BSF, nous avons choisi ce modèle afin d'accroître encore la quantité et la qualité de nos actions afin de développer notre impact. Cela passe notamment par une nouvelle phase de décentralisation de nos actions en recrutant plus de personnes sur les terrains en ouvrant de nouvelles directions et bureaux régionaux. Ça n’est pas sans risque ni sans difficulté mais c’est le choix que nous avons fait pour soutenir notre vision à long terme et écrire une nouvelle page de cette belle aventure. 

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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