La migration : des aventures humaines traumatisantes
La migration fait l’objet de positions politiques très tranchées. C’est un bon exemple de sujet sur lequel il est impossible de débattre sereinement et pourtant cela serait la seule voie pour trouver une approche consensuelle. L’étude présentée ici veut notamment porter à la connaissance de ceux qui l’ignorent les dispositifs existants pour accueillir des migrants. Elle n’entre pas dans des visions globalisantes mais veut montrer ce que sont des aventures humaines particulièrement traumatisantes pour des personnes qui ont voulu échapper à des situations dramatiques. On y voit le rôle essentiel des associations, avec des salariés et des milliers de bénévoles, prennent en charges ces hommes, femmes et enfants dans le dénuement extrême. Elles apportent des aides dans le domaine de la santé, de l’hébergement, de l’alimentation. Leur réponse est avant tout humaine ce qui les honore.

- Lucie Lepoutre, vous avez fait une thèse importante et très intéressante, intitulée « Accompagner les exilés, les associations au défi des politiques d'asile » pour laquelle vous avez reçu le Prix de la recherche Caritas. Pourquoi avez-vous voulu faire cette thèse ?
Mon intérêt pour ce sujet remonte à 2015, lorsque dans le cadre d'un stage de recherche j'ai mené une série d'entretiens approfondis avec 35 anciens militants socialistes ayant vécu sous le régime de Pinochet, au Chili. Confrontée à leurs récits de torture et d'exil, j'ai pris conscience des enjeux liés à l'accueil des réfugiés. Cela m'a amenée à m'interroger sur la prise en charge actuelle des victimes de violences politiques issues de régimes autoritaires dans leur pays d’origine. À mon retour en France, j’ai choisi de me spécialiser en sociologie, en étudiant les politiques d’accueil des personnes exilées. En 2017, j’ai proposé à France terre d’asile de financer ma thèse sur les pratiques d’accompagnement des demandeurs d’asile, poursuivant ainsi mes recherches sur ce sujet. Pour cela j'ai réalisé dans 11 associations : 98 entretiens approfondis, plusieurs années d'observation ethnographique notamment sur les dispositifs d'accompagnement, puis j'ai mené une enquête par questionnaire à laquelle j'ai eu 223 répondants
Faire comprendre la politique d’asile
- Vous souhaitiez donc analyser et faire comprendre la politique d’accueil en France, ses complexités et les lourdeurs administratives ?
Mon objectif était de comprendre les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en France, non seulement à travers les textes de loi et les dispositifs administratifs, mais surtout à travers les expériences vécues des personnes concernées, des personnes exilées comme des personnes qui leur viennent en aide. Le droit d’asile est souvent analysé sous un angle institutionnel ou politique. Pourtant, derrière les chiffres, les théories et les réglementations, il y a des parcours humains marqués par l’attente, la précarité et des difficultés à s’orienter dans un système extrêmement complexe. J’ai donc voulu observer comment les demandeurs d’asile traversent ce parcours administratif, comment ils sont accompagnés (ou non) par les structures existantes et quels sont les obstacles concrets à leur protection et à leur intégration.
Un autre aspect fondamental de mon étude concerne les acteurs associatifs. J’ai cherché à comprendre les différences entre les associations opératrices, financées par l’État, et les associations compensatrices comme je les ai appelées, qui pallient les lacunes du dispositif officiel. Cette comparaison entre ces deux approches de l’aide aux personnes exilées m’a permis de révéler des tensions au sein du monde associatif, pris entre des logiques administratives et des logiques humanitaires. J’ai donc étudié sous différences facettes l’intervention sociale et juridique réalisée par des acteurs associatifs auprès des demandeurs d’asile dans le contexte français. Cet accompagnement est présenté en tenant compte de ses insuffisances, car elle apparaît inégalement répartie et sous-dimensionnée par rapport aux besoins des personnes exilées. Elle montre ainsi comment le parcours des demandeurs d’asile est façonné non seulement par la réglementation, mais aussi par les pratiques des institutions et des associations, et par les contraintes politiques qui pèsent sur l’ensemble du dispositif d’accueil.
Un parcours juridiquement balisé
- Pouvez-vous expliquer la distinction entre les termes « migrants », « exilés », « demandeur d’asile » et « réfugié » ? Ce sont des catégories administratives précises ?
Les termes « migrants » ou « exilés » sont des termes assez génériques. « Migrant » désigne toute personne qui est en situation de déplacement d’un territoire à un autre (le plus souvent, entre territoires nationaux), avec une emphase sur l’idée de déplacement. Par le terme exilé, je désigne les personnes contraintes (quelles qu’en soient les raisons) de quitter leur pays, et ce indépendamment de leur statut administratif. Je mobilise ce terme, car il met davantage l’accent sur l’expérience humaine de se trouver éloigner de son pays d’origine.
Les termes « demandeur d’asile » et « réfugié » ont eux une signification juridique bien définie.
- Un demandeur d'asile est une personne qui sollicite une protection internationale, mais dont la demande est encore en cours d'examen.
- Un réfugié, en revanche, est une personne dont le statut a été reconnu par l'État selon les critères établis par la Convention de Genève de 1951 : crainte de persécutions dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
- Lorsque la situation de la personne ne rentre pas dans les critères de la convention de Genève, mais qu’elle craint la peine de mort, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, elle peut toutefois obtenir une autre protection internationale définie au niveau de l’Union européenne : la protection subsidiaire.
Depuis les années 1950, le HCR, Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, veille à l’application de ce droit. En France, deux institutions sont responsables de la reconnaissance d’une protection internationale :
- L’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) qui instruit les demandes et décide en première instance.
- La CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) qui peut être saisie en cas de rejet de la demande par l’OFPRA.
Le statut de réfugié, comme la protection subsidiaire, ouvre des droits, comme le titre de séjour, l’accès au RSA, le droit au travail et aux allocations familiales. Leur accès effectif reste toutefois limité dans la pratique, en raison notamment d’inégalités d’accompagnement. Par exemple, en 2022, un dispositif de plateformes Agir a été créé pour accompagner les bénéficiaires d’une protection internationale sans hébergement à faire les démarches d’accès au logement et à l’emploi. Certaines plateformes ont atteint rapidement leur capacité d’accueil et n’ont plus pu accueillir de nouvelles personnes. Ces dernières se retrouvent souvent sans accompagnement adapté, faute d’autres acteurs spécialisés.
- Mais pendant l’attente d’une décision, la personne est-elle protégée contre une expulsion ?
Oui, la personne est légalement présente sur le territoire le temps de la procédure de demande d’asile. Cette procédure est assez complexe. En Île-de-France, tout commence par un appel à l’OFII (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration), qui oriente la personne vers une SPADA (Structure de Premier Accueil pour Demandeurs d’Asile). Ces structures sont généralement gérées par des associations opératrices comme France terre d’asile, Coallia ou Forum Réfugiés.
La SPADA informe la personne sur la procédure et lui donne un rendez-vous en préfecture, au Guichet Unique pour Demandeurs d’Asile. Là, les empreintes digitales sont relevées par un agent pour vérifier notamment si elle est déjà enregistrée dans un autre pays européen (procédure Dublin). Ensuite, la demande d’asile est officiellement enregistrée et le demandeur doit envoyer un dossier complet à l’OFPRA dans un délai de 21 jours.
Parallèlement au sein du Guichet Unique pour Demandeurs d’Asile, la personne passe un entretien avec un agent de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), qui évalue sa vulnérabilité et détermine s'il peut bénéficier d’un hébergement au sein du dispositif national d’accueil, le plus généralement dans un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) ou un Hébergement d’Urgence pour Demandeurs d’Asile (HUDA). Dans ces deux cas, le demandeur sera hébergé tout au long de sa demande d’asile et bénéficiera d’un accompagnement individuel par des professionnels.
L’Ofii calcule également le montant qui pourra être perçu par le demandeur dans le cadre de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA). Pour une personne seule par exemple, le montant est de 6,8€, avec un complément de 7,4€ si aucun hébergement n’est proposé.
Toutefois, dans certains cas, par exemple si la demande d’asile est déposée après plus de 90 jours de présence en France sans justification, l’accès à l’hébergement et à l’aide financière peut être refusé.
Une pratique plus complexe
- Et s’il n’y a pas de place en CADA ou en HUDA ?
Le demandeur est renvoyé vers la SPADA, mais sans solution d’hébergement. Il doit alors se tourner vers le 115, lui aussi saturé, les associations d’hébergement solidaire, ou se débrouiller seul parfois en rejoignant des campements ou en trouvant des logements précaires, ce qui augmente sa vulnérabilité aux exploitations de toutes sortes. La SPADA lui donne néanmoins accès à une domiciliation postale, indispensable pour recevoir des courriers administratifs ainsi qu’à un accompagnement social et juridique.
- Qui assure cet accompagnement ?
Les salariés des associations opératrices comme celles mentionnées plus tôt.
- Et si la demande d’asile est refusée par l’OFPRA ?
Dans ce cas, la personne dispose d’un mois pour déposer un recours auprès de la CNDA. Si elle ne le fait pas ou si la CNDA rejette également la demande, elle devient alors « déboutée du droit d’asile ». Elle perd son allocation, son hébergement sous 1 mois (si elle en avait un) et reçoit généralement une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF).
- Elle se retrouve donc en situation irrégulière…
Pour beaucoup, oui. La personne sort des dispositifs de l'asile et se retrouve souvent en situation d'irrégularité administrative, exposée à une expulsion ou à un placement en centre de rétention. Ce sont des situations très précaires avec une crainte permanente de se faire contrôler et renvoyer. L’absence de statut administratif les empêche de se loger ou de travailler légalement, ce qui les expose à des abus qui sont nombreux. Le risque d’expulsion pèse aussi sur leur processus d’intégration, car beaucoup évitent tout contact avec les services publics par peur d’être arrêtés.
Le rôle des associations
- Pouvez-vous expliquer la distinction entre les deux types d’associations que vous avez évoqués qui prennent en charge les demandeurs d’asile : les associations opératrices et les associations compensatrices ?
Les associations opératrices sont financées par l’État pour accompagner les demandeurs d’asile selon un cahier des charges précis. Elles doivent réaliser une intervention sociale et juridique, et le cas échéant héberger les personnes, dans les limites budgétaires imposées par l’État.
Les associations compensatrices, en revanche, ne reçoivent pas de financement de l’État pour ces missions. Ce sont toutes les associations qui interviennent en France bénévolement pour pallier les lacunes des dispositifs officiels, notamment en aidant ceux qui n’ont pas pu être suffisamment accompagnés.
- Les associations opératrices ont donc une marge de manœuvre limitée ?
Oui, car elles doivent respecter leurs engagements contractuels avec l’État, ce qui entraîne souvent une posture plus discrète vis-à-vis des politiques publiques. En revanche, les associations compensatrices n’ont pas ces contraintes et peuvent adopter une posture plus critique. Elles sont d’ailleurs souvent publiquement plus militantes.
- Les compensatrices, ce sont des organisations comme Médecins du Monde ?
Entre autres. Mais dans mon étude, je me suis concentrée sur celles qui offrent un accompagnement social et juridique aux demandeurs d’asile. Un bon exemple (souvent cité dans les médias) est l’association Utopia 56. Ce sont des associations qui interviennent auprès des demandeurs d’asile sans financement public, avec des bénévoles et des ressources limitées.
- Donc, si une personne n’est pas correctement suivie dans les délais (1 mois pour la CNDA, par exemple), elle risque de perdre son droit de demandeuse l’asile ?
Tout à fait. C’est pourquoi les associations compensatrices jouent un rôle crucial : elles prennent en charge celles et ceux qui ne trouvent pas l’aide nécessaire dans les structures officielles.
- Finalement, ces deux types d’associations ont des approches différentes : les opératrices travaillent de l’intérieur avec l’État pour tenter d’améliorer les dispositifs, tandis que les compensatrices interviennent de l’extérieur pour offrir une aide alternative et sont celles qui dénoncent les insuffisances de prise en charge.
Exactement. Ce sont deux stratégies complémentaires, qui reflètent deux visions différentes de la médiation entre la société civile et l’État. Le dialogue entre l’État et les associations opératrices est souvent peu visibles de l’extérieur, alors que les associations compensatrices dénoncent plus ouvertement les insuffisances de prise en charge.
- Les demandeurs d’asile connaissent ils le parcours administratif lorsqu’ils arrivent en France ?
Non. Ils découvrent un système très complexe. Ils ne parlent souvent pas la langue et ne savent pas vers qui se tourner. On imagine souvent que les migrants arrivent en France avec une vision très précise des procédures et des droits auxquels ils pourraient bénéficier, mais dans la réalité, ce n’est pas le cas et la découverte du droit d’asile est assez hasardeuse. Trois canaux principaux permettent aux nouveaux arrivants d’entrer dans la procédure d’asile :
- Les réseaux communautaires qui leur donnent des conseils (pas toujours fiables d’ailleurs).
- Les associations qui vont parfois directement à leur rencontre sur les campements.
- Les services de soins où des médecins ou travailleurs sociaux les informent sur leurs droits.
- Quels rôle jouent les associations de première nécessité?
Elles sont importantes. Des structures comme le Secours Populaire ou la Banque Alimentaire distribuent des biens de première nécessité, mais elles sont aussi un point de contact où certains entendent parler de la demande d’asile.
- Peut-on dire que, théoriquement, le système d’asile est bien conçu ou est-il devenu trop complexe avec l’empilement de dispositifs ? Quelles sont les chances d’obtenir une protection internationale en France aujourd’hui ?
Aujourd’hui, seuls environ 30 % des demandeurs d’asile obtiennent une protection internationale. Pour donner un repère historique, dans les années 1970, jusqu’à plus de 85 % des requérants étaient reconnus réfugiés à l’issue de leur procédure. La distinction entre demandeurs d’asile et réfugiés n’était pas encore institutionnalisée. À l’époque, toute personne demandant le statut de réfugié était considérée comme un réfugié en attente de décision. Mais dans les années 1980, ce chiffre s’est inversé : seuls 15 % des demandes aboutissaient à la reconnaissance du statut de réfugié en 1985. Cela a conduit à une inversion des représentations : aujourd’hui les demandeurs d’asile sont souvent perçus comme de futurs déboutés. Il y a une forte suspicion à leur égard.
- Qu’est-ce qui a provoqué ce basculement ?
Il y a plusieurs facteurs.
- D’abord, dès la fin des années 1960, il y a eu une réduction progressive des autres voies de régularisation que le droit d’asile en France. Les personnes qui, auparavant, auraient obtenu le droit de séjour en France par l’emploi ont dû se tourner vers l’asile, augmentant mécaniquement le nombre de demandes. L’augmentation du nombre de requérants est également liée à l’évolution géopolitique des conflits et des régimes autoritaires dans le monde.
- Ensuite, il y a eu une évolution du discours politique. L’idée que des migrants économiques détournaient la demande d’asile a émergé. Ce raisonnement masque pourtant une réalité plus complexe : il est souvent difficile de séparer migrations politiques et économiques, car les persécutions peuvent être cumulées avec des conditions de précarité extrême.
- Et aujourd’hui, la migration climatique s’ajoute aussi à cette complexité…
Pour l’instant, il n’existe aucune protection internationale ni catégorie juridique spécifique pour les migrants climatiques. Ceux qui fuient les catastrophes environnementales ne peuvent pas prétendre au statut de réfugié et doivent donc trouver d’autres moyens de régularisation en France.
Des récits douloureux
- Est-ce que le système actuel permet d’accorder la protection à tous ceux qui sont persécutés ?
En théorie il est censé, mais en pratique il est très difficile de distinguer ceux qui relèvent de l’asile ou ceux qui n’en relèvent pas. Comme je le disais, il y a une forte suspicion à l’égard des demandeurs d’asile de présenter des « faux » récits, c’est-à-dire des récits qui ne sont pas les leurs, pour obtenir une protection internationale. Les officiers de protection de l’OFPRA et juges de la CNDA appliquent donc une forte rigueur juridique qui leur est demandée dans l’évaluation des dossiers. Toute incohérence ou doute sur la véracité du récit peut entraîner le refus de la demande d’asile. De plus en plus de preuves sont demandées aux personnes exilées (certificats médicaux attestant des tortures, preuve d’appartenance à un parti politique dans leur pays d’origine, etc.). Pourtant cette injonction a beaucoup de limites pour des personnes qui ont fui leur pays souvent dans l’urgence.
Par ailleurs, un des symptômes du stress post-traumatique dont souffrent beaucoup d’exilés est l’altération de la mémoire des évènements traumatiques. Parler de viols, tortures ou autres persécutions de manière cohérente et détaillée dès les premières semaines en France est souvent impossible, surtout sans accompagnement psychologique. Et même lorsque le demandeur présente à l’OFPRA un « faux » récit qu’un passeur lui aurait vendu comme le récit idéal pour obtenir l’asile en France, cela ne signifie pas que la personne n’a pas un « vrai » récit qu’elle omet et qui relève pourtant de la protection internationale. Le centre Primo Levi, qui est spécialisé dans le soin des personnes exilées victimes de torture, avait publié un rapport en 2016 indiquant que plus de 50% de leurs patients étaient déboutés du droit d’asile alors que leur récit énoncé dans le cadre de soins psychologiques entre dans les critères pour obtenir une protection internationale. Les médias se focalisent souvent sur le risque de donner la protection à des migrants qui ne devraient pas en bénéficier ; étant donné la procédure actuelle, il me semble qu’il faudrait davantage s’inquiéter de ne pas protéger des personnes qui devraient l’être.
Une politique d’asile sous tension
- Après tout ce travail, quelles sont vos principales conclusions ?
D’abord, les conditions d’accueil ne sont pas favorables à une intégration sociale dès l’arrivée sur le territoire. Les demandeurs d’asile sont perçus avec beaucoup de suspicion et sont rarement accompagnés dans un véritable processus d’intégration sociale. Ils ont des restrictions pour accéder au marché de l’emploi. Aucun cours de français n’est prévu pour ces derniers dans les politiques d’accueil en amont de la reconnaissance d’une protection internationale, ce qui retarde l’apprentissage de la langue de plusieurs mois. Beaucoup de dispositifs ne permettent pas de leur fournir un accompagnement individualisé, faute de moyens, ce qui entraîne un non-recours à leurs droits.
Ensuite la délégation des missions d’accueil à certaines associations, combiné avec le sous-dimensionnement du dispositif d’accueil, entraîne une fracture au sein du monde associatif entre les associations opératrices et les associations compensatrices qui en comblent les lacunes. Cela réduit les possibilités de collaboration entre certaines associations et alimente des tensions : les associations compensatrices reprochent souvent aux opératrices d’être trop conciliantes avec l’État et de ne pas dénoncer les insuffisances du système. Inversement, les opératrices reprochent aux associations compensatrices un manque de professionnalisme et une confrontation trop brutale et jugée contre-productive vis-à-vis de l’État.
- Aujourd’hui, le système d’asile est-il sous pression politique ?
Absolument. Le système d’accueil est sous pression des décisions politiques. Il y a sans cesse des restrictions des droits des demandeurs d'asile. Les lois raccourcissent les délais, et limitent souvent les conditions d'accueil. Depuis 2019, suite à la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie », les demandeurs d’asile ont un délai de carence de trois mois avant de pouvoir faire une demande de couverture maladie. Plus récemment encore, dans la loi de finances pour 2025, il y a une suppression de 6500 places d'hébergement dans le dispositif national d'accueil pour demandeurs d’asile. C'est la première fois qu'on voit une diminution du nombre de places depuis la création du dispositif national d'accueil dans les années 70, alors qu’une partie des demandeurs d’asile reste déjà sans hébergement, faute de places. Pour les associations opératrices concernées par la suppression de place, cela entraîne forcément des conséquences salariales importantes.
- Donc, malgré un dispositif en théorie protecteur, on assiste à une réduction progressive des moyens d’accueil ?
Oui, et cela s’inscrit dans une tendance politique visant à dissuader plutôt qu’à protéger. Dans ce contexte de restrictions budgétaires, les fondations privées jouent un rôle crucial. De plus en plus d’associations cherchent à se tourner vers elles pour maintenir la qualité de l’accompagnement des demandeurs d’asile malgré le contexte politique plus défavorable.
Propos recueillis par Francis Charhon