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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 28 avril 2025 - 18:00 - Mise à jour le 28 avril 2025 - 18:00
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Liberté de la presse, liberté d’expression, des enjeux de la démocratie

La liberté de la presse est un des fondements de la démocratie. Comment faire survivre ce concept dans une période d’attaque massive contre les journalistes, au moment où les vérités deviennent relatives, et que les réseaux sociaux largement manipulés envahissent l’espace médiatique ? Cet entretien avec Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters Sans Frontières, et Dana Popescu Jourdy, présidente de l'association Communications Sans Frontières, nous aide à décrypter les enjeux de ce qui se joue.

Dana Popescu Jourdy et Thibaut Bruttin. Crédits : Julia Kretsch.
Dana Popescu Jourdy et Thibaut Bruttin. Crédits : Julia Kretsch.

Quand la liberté de la presse vacille, RSF choisit d'agir

 

  • Bonjour Thibaut, vous êtes directeur général de Reporters Sans Frontières (RSF), quel est l’objet de RSF ?

 

Thibaut Bruttin (TB) : Depuis 40 ans, Reporters sans frontières mène un combat sans relâche pour un journalisme pluraliste, indépendant et honnête. La liberté d’informer n’est pas un acquis, mais une lutte de chaque instant, sur tous les fronts, en France comme à l’international car les enjeux sont planétaires. La dernière illustration en date : RSF a attaqué en justice l’administration Trump en raison de la décision brutale de fragiliser des piliers de l’audiovisuel extérieur américain tels que Voice of America ou Radio Free Europe. Pour RSF, ces médias sont plus que des diffuseurs de programmes : ce sont des remparts démocratiques. Notre action a permis d’obtenir un gel des licenciements dans ces structures, en attendant le procès sur le fond. Mais cette victoire juridique n’est qu’une faible digue érigée face à une marée montante de l’expression journalistique libre et fondée.

En effet, quatre grandes crises se télescopent mettant en péril le journalisme mondial.

  • Technologique : les médias traditionnels n'ont plus la main sur les outils de diffusion – et parfois même sur la production – de l’information. Des géants du numérique dictent désormais les règles du jeu.
  • Économique : le modèle de financement des médias est en lambeaux. L’indépendance a un prix que trop peu peuvent encore s’offrir.
  • Géopolitique : les « hommes forts », de plus en plus populaires, construisent leur succès en attaquant les journalistes. Leur stratégie n’est plus de contourner la presse, mais de l’écraser.
  • Sociale : elle est douloureuse car elle vient de l’intérieur, c’est la défiance grandissante des citoyens vis-à-vis des médias. Une désaffection parfois justifiée, nourrie par des pratiques éditoriales déconnectées ou sensationnalistes.

Tout est lié. Quand Elon Musk proclame vers le public « You are the media », il ne fait pas qu'alimenter la défiance, dire que toute parole se vaut. Il détourne aussi les ressources économiques des médias traditionnels vers ses propres plateformes. Il nous faut écouter, comprendre la colère et essayer de réparer la relation avec le public et surtout, résister comme nous le faisons non pas dans les marges, mais en plein cœur du débat démocratique.

 

Faire vivre communication et information

 

 

Dana Popescu Jourdy (DP) : Aujourd’hui, on constate une confusion croissante entre information et communication, qui nuit à la qualité du débat public et alimente la crise de confiance de celui-ci. Avant de diriger Communication sans frontières, j’ai été journaliste, notamment correspondante de guerre en Yougoslavie. Cette expérience marque ma vision : même lorsqu’on parle de communication, la question de l’information reste centrale.

Communication sans frontières existe depuis plus de 20 ans. J’en ai récemment pris la direction avec une mission de restructuration, en réponse à un contexte de crise globale. Notre question centrale est : comment un projet de solidarité peut-il contribuer à repenser le discours diffusé par les acteurs humanitaires ? Nous nous intéressons tout particulièrement à la dimension éthique de cette communication, d’autant plus essentielle dans un secteur humanitaire fragilisé par des coupes budgétaires mondiales, initiées par l’USAID et beaucoup de pays en Europe.

Face à cela, les ONG multiplient les campagnes de communication et les actions de plaidoyer. Mais à notre sens, il est crucial qu’elles n’oublient pas leur rôle spécifique : elles doivent moins parler d’elles-mêmes et davantage des crises qu’elles cherchent à résoudre. Nous avons lancé un observatoire sur la communication solidaire des ONG pour mieux analyser les campagnes.

 

Protéger les journalistes

 

  • Thibaut, parmi vos missions, il y a la défense des journalistes. Vous avez des bureaux dans de nombreux pays. La presse est sous pression car le nombre d'états dans lesquels la liberté de la presse se restreint augmente et beaucoup de journalistes sont emprisonnés.

 

TB : Notre réseau de correspondants est réparti dans 130 pays du monde et aujourd’hui, nous sommes l’un des principaux acteurs de la défense des journalistes qui sont ciblés, menacés ou même tués. Nous agissons à la fois pour leur protection et pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient encore trop souvent les auteurs de ces crimes.

Actuellement, environ 550 journalistes sont détenus dans le monde, et notre combat quotidien est de faire connaître ces situations, les raconter, les rendre visibles. Chaque année, plus d’une cinquantaine de journalistes est assassinée, et le nombre de détenus, d’otages ou de disparus reste très élevé. C’est pourquoi nous intervenons directement auprès des journalistes et de leurs familles, pour alerter, faire émerger une culture de la protection et obtenir des libérations. Cela porte ses fruits, à condition d’actionner les bons leviers. Il ne suffit pas de s’en tenir au « name and shame » (nommer et dénoncer publiquement), d’autres voies d’action existent, qu’il faut savoir combiner avec finesse. Certaines avancées, que l’on aurait crues impossibles il y a peu, sont pourtant devenues réalité. Je pense par exemple à l’échange de prisonniers inédit entre la Russie et les États-Unis l’été dernier. Nous sommes fiers d’avoir pu faire inclure dans cet échange la journaliste Alsu Kurmasheva, de Radio Free Europe. Ces actions concrètes, parfois invisibles mais décisives, constituent le cœur de notre engagement.

 

Faire face à la désinformation

 

  • Comment faire face aujourd’hui au tsunami de désinformation, alors que le public semble saturé, parfois même découragé ? Beaucoup ne savent plus où chercher une information fiable, au-delà des grands médias ou des chaînes d’info en continu…

 

TB : C’est vrai que le public est fatigué et que la défiance grandit. Pourtant, le journalisme reste très divers en France, comme ailleurs. Il faut restaurer la confiance et redonner au journalisme sa valeur, pour ce qu’il représente dans nos vies, pour nos choix collectifs et individuels. Souvent, derrière ceux qui disent « je n’aime pas les médias », il y a un amour déçu : une attente non satisfaite. Le journalisme est un acte de résistance face aux idées toutes faites. Si le public est insatisfait, il peut prendre le maquis du journalisme : il existe une grande diversité de formats et de voix indépendantes, y compris des formes innovantes comme la bande dessinée ou les podcasts, qui racontent autrement l’actualité. Et il ne faut pas désespérer, il y a un journalisme pour chacun, encore faut-il pouvoir le trouver.

 

  • Mais les réseaux sociaux créent des bulles où chacun reste enfermé dans ses convictions. Comment faire en sorte que le public accède à une information fiable, au milieu de ce flot continu de contenus souvent peu vérifiés ?

 

TB : Les réseaux sociaux sont devenus des kiosques numériques : on y trouve de tout — pubs, propagande, divertissements, témoignages, parfois du journalisme. Cette diversité n’est pas un mal en soi. Mais le journalisme demande du temps, des moyens, de la rigueur ; il est coûteux, parfois moins « vendeur », et il n’est pas aidé par les algorithmes. Facebook met en avant les contenus de vos amis et de votre famille. Google ne fait pas la distinction entre une source fiable et un simple blog et ne s’attache à sélectionner qu’en fonction de la « réputation ». Sur X les contenus sérieux sont étouffés par l’algorithme. Nous avons 122 000 abonnés sur X, mais nos publications touchent à peine quelques personnes. Nous pensons que l’on peut informer le public, faire de l'éducation aux médias, mais je dirais que ce qui compte c'est l'infrastructure du système. C'est au cœur du système lui-même qu’il faut mettre en place une régulation démocratique qui donne la possibilité au journalisme de trouver son audience.

 

Réguler les plateformes numériques, un besoin démocratique

 

  • Aujourd’hui, la plupart des grands médias sont contrôlés par de puissants groupes privés. Comment une association peut-elle faire entendre sa voix face à de tels moyens ?

 

TB : Nous ne faisons pas la guerre aux grandes plateformes. Nous savons très bien à quoi nous en tenir, et nous avons déjà intenté plusieurs actions en justice contre elles.

Ce que nous constatons, c’est que ces plateformes sont devenues les nouveaux maîtres de l’espace public. Dès lors, il faut se poser une question simple : cet espace public numérique doit-il répondre à des principes démocratiques et à l’intérêt général ? Pour nous, la réponse est oui. Et cela implique que ce ne soit pas aux plateformes de fixer les règles, mais aux gouvernements, aux législateurs, aux institutions internationales de les encadrer. Tout comme l’eau ou l’électricité sont considérées comme des services d’intérêt général, nous pensons que les plateformes numériques devraient être régulées comme des services essentiels. Ce n’est pas si compliqué : cela demande du courage politique et une volonté de créer un cadre juridique adapté.

Les initiatives volontaires ne fonctionnent pas. Nous avons quitté le code de bonnes pratiques sur l’IA car il ne reposait que sur la bonne volonté des plateformes, et elle n’existe pas. Il faut une vraie responsabilité publique, à travers des règles claires et contraignantes.

 

  • À l’échelle française ou européenne ?

 

TB : Peu importe le niveau. L’Europe est un bon levier, surtout qu’il existe déjà des textes affirmant l’existence d’un espace informationnel européen. Mais une loi française peut aussi aller plus loin.

On dit souvent que c’est difficile de fixer des frontières dans l’espace numérique. Pourtant, la Russie et la Chine y arrivent très bien. Évidemment, nous ne voulons pas un modèle autoritaire, mais il faut sortir de cette idée que les démocraties doivent tout accepter, même le pire, que la vérité va triompher naturellement face au mensonge. Prenons un exemple : quand vous entrez dans un kiosque, vous avez accès à une diversité de titres parce qu’il y a une loi, la loi Bichet, qui l’organise. Aujourd’hui, il nous faut une loi Bichet numérique, qui garantisse l’accès et la visibilité des contenus journalistiques sur les plateformes. Car sans régulation systémique, l’information de qualité sera toujours noyée par les contenus viraux ou sponsorisés.

DP : Si nous voulons protéger notre espace démocratique, il faut des règles, de la réciprocité, et des sanctions réelles contre les acteurs de la désinformation, comme les médias de propagande. Car, il faut bien le dire, le journalisme rigoureux est moins spectaculaire qu’une fake news bien ficelée. Le levier principal, c’est le système lui-même. Beaucoup des lois qui organisent notre environnement médiatique sont prises sans concertation directe, alors qu’elles structurent notre accès à l’information.

 

Apprendre et comprendre le journalisme : une bataille de tous les jours

 

  • Qu'est-ce qu'on apprend aux étudiants ? À lire et comprendre l'information, décrypter les news, les fake news ? Communication et information sont deux choses différentes.

 

DP : En tant qu’enseignante à l’Institut de la communication de l’Université Lyon 2, je forme des étudiants aux métiers de la communication et du journalisme. Avec eux, nous travaillons chaque jour sur les fondements de l’information : distinguer les sources, comprendre les intentions derrière un message, repérer les logiques de pouvoir dans les discours diffusés dans l’espace public. Mais au-delà des outils et des méthodes, je m’efforce de transmettre la valeur démocratique profonde de l’information. Car la démocratie repose sur un lien essentiel : l’accès à une information libre, fiable, pluraliste. Une information qui permet aux citoyens de comprendre, de débattre, de choisir, de participer.

Je le sais d’autant mieux que j’ai grandi en Roumanie, sous la dictature communiste. À cette époque, tous les médias nationaux étaient sous contrôle. L’information était un instrument de propagande. Notre seule échappatoire, notre seul lien avec le monde libre, c’était la radio. Voice of America, Radio Free Europe, RFI, Deutsche Welle, la BBC… Ces voix internationales incarnaient une chose devenue rare : la possibilité d’entendre un autre récit, non dicté par le régime.

Aujourd’hui, le paysage est radicalement différent : l’information est partout. Mais ce trop-plein crée un paradoxe inquiétant : l’abondance désoriente, fatigue, et parfois détourne du besoin même de s’informer. Nous sommes confrontés à une hybridation des discours – entre information, communication, propagande, marketing – qui rend difficile l’identification des intentions réelles derrière les messages.

C’est pourquoi, dans mes cours, j’insiste beaucoup sur ce point : qui parle ? Au nom de qui ? Avec quelle légitimité ? Ce sont des réflexes simples, mais puissants, qui permettent à nos étudiants de décrypter l’univers informationnel dans lequel ils évoluent. Je leur rappelle que l’accès à l’information n’est jamais acquis. Il peut être remis en cause, il peut être confisqué, comme il l’a été pour moi. Et c’est pourquoi l’éducation à l’information est aussi une éducation à la démocratie. Elle nous apprend à exercer notre esprit critique, à défendre notre droit à comprendre, à débattre, à choisir.

 

  • Thibaut vous donnez aussi des cours et conférences ? 

 

TB : Oui, je donne des conférences, je rencontre des étudiants, je participe à des débats… Parce que je crois profondément qu’il faut parler au public autrement, pas seulement via les médias, mais en face-à-face, de manière directe et claire. On s’est trop longtemps focalisés, dans la lutte contre la désinformation, sur le fact-checking, sur la correction des fake news. Et franchement, ça ne suffit plus. On passe notre temps à réagir, à dénoncer, à alerter… Mais au final, on s’épuise, et on perd de vue l’essentiel. Prenez l’exemple de Matryoshka, cette opération de propagande russe : elle détourne nos codes graphiques, imite notre voix, crée des deepfakes avec notre nom, notre logo, notre identité visuelle. Le but ? Nous faire perdre notre temps, nous piéger dans un jeu de réponses interminable. Et pendant ce temps, on ne produit plus.

Je crois qu’il faut changer de logique. Sortir de la réaction permanente. Plutôt que de lutter contre, je préfère agir pour. Défendre le journalisme, l’expliquer, le faire aimer. C’est pour ça que je parle souvent d’amour du journalisme. Il faut revenir à ça : à quoi sert le journalisme ? Qu’est-ce qu’il apporte ? Pourquoi il est essentiel ? C’est ce que j’essaie d’expliquer aux étudiants. Et franchement, ils sont très réceptifs. Quand on leur parle simplement, sans jargon, ils comprennent tout de suite la différence entre liberté d’expression et liberté de la presse, entre opinion et information.

Je crois aussi qu’il faut faire attention à un phénomène sous-estimé : l’excès d’esprit critique. Le complotisme ne vient pas d’un manque d’analyse, mais parfois d’une analyse trop systématique, trop méfiante. On cherche toujours le mensonge caché derrière tout. Mais si le journalisme d’investigation a montré qu’il y a un « monde derrière le monde », il n’a jamais prétendu que tout était faux. Le vrai enjeu, ce n’est pas juste de combattre la désinformation. C’est de reconstruire une relation de confiance avec le public, de remettre le journalisme au cœur de la société. Pas comme une défense, mais comme une évidence.

 

Créer des espaces d’informations fiables

 

  • Ce que je retiens de vos interventions, c'est qu’il faut construire autre chose à côté.

 

TB : C’est exactement ça. Si on en est là aujourd’hui, c’est bien que le système d’avant n’a pas fonctionné. Il faut arrêter de vouloir restaurer ce qui, de toute façon, ne marche plus. Les médias ont mal négocié les virages technologiques. L’information est devenue un produit soumis à la logique de la viralité, au détriment du sens. Donc oui, il faut inventer un nouveau modèle. Et surtout, reconnaître aussi la part de responsabilité du journalisme dans la situation actuelle.

DP : Je partage cette idée. Les ONG aussi ont un rôle à jouer dans la qualité du débat public. Nous devons nous considérer comme des acteurs de la démocratie médiatique.

 

  • Quand vous dites « refaire du journalisme », comment ce message est-il reçu par les journalistes qui travaillent tous les jours sur les chaînes, les sites, dans les rédactions ?

 

TB : C’est là qu’il faut distinguer deux choses : le journalisme et le système médiatique. Beaucoup de journalistes font leur travail avec conviction, dans des conditions difficiles. Mais ils sont pris dans un système qui les empêche d’avoir de l’impact.

Nous, ce qu’on défend à RSF, ce n’est pas seulement des « médias indépendants », c’est l’indépendance dans tous les médias. Il faut de l’exigence journalistique au centre du système, pas à ses marges. C’est pour ça qu’on agit concrètement pour transformer les pratiques. Les journalistes sont des acharnés, les plus modestes sont souvent ceux qui font le meilleur travail, avec discrétion mais une rigueur admirable.

 

  • Dana, vous êtes aussi très investie dans ces questions. Vous êtes en phase avec ce diagnostic ?

 

DP : Oui, et j’aimerais ajouter qu’aujourd’hui, le modèle économique du journalisme alternatif reste très fragile. C’est difficile de faire vivre une rédaction hors du système classique. D’où l’importance, comme le disait Thibault, de transformer les choses de l’intérieur. J’ai moi-même participé à ce genre de transformation : après la chute du régime communiste en Roumanie, j’ai travaillé à la radio publique pour l’aider à passer de la propagande à une vraie mission d’information. C’était un travail collectif, porté à la fois par les anciens journalistes et par les jeunes que nous étions. Ce type d’évolution, depuis l’intérieur des institutions, me semble fondamental.

Aujourd’hui, à Communication Sans Frontières, je m’investis beaucoup dans l’éducation du public, notamment en soutenant des projets étudiants. On les aide à développer des formats qui dépassent la simple vérification d’info. L’idée, c’est de comprendre comment faire exister l’information dans une époque marquée par la post-vérité. Et pour cela, il faut revenir à des bases simples mais solides : travailler les sources, respecter la déontologie, comprendre sa responsabilité dans l’espace public. Pas seulement pour les journalistes, mais pour tous ceux qui prennent la parole.

 

Impliquer des lecteurs, des citoyens, des chercheurs dans le cycle de l’information

 

  • Est-ce que toutes ces réflexions sont partagées par les acteurs de l’information et le public ?

 

DP : C’est une vraie difficulté. Ce que je constate, à travers un réseau de collègues responsables de formation dans plusieurs pays européens, c’est un certain désarroi. Beaucoup reconnaissent qu’ils ne sont pas préparés à former des journalistes dans le contexte actuel. Il y a un vrai chantier à ouvrir sur la formation des formateurs eux-mêmes. On fait face à des mutations profondes du rapport à l’information, et une partie de l’enseignement n’a pas encore intégré ces transformations. Il faut avoir l’honnêteté de le dire. Quand on tente de mener des enquêtes sur les pratiques professionnelles des journalistes, on se heurte souvent à une forme de résistance. Beaucoup n’aiment pas être interrogés sur leur façon de faire. On sent parfois une forme d’entre-soi, de fermeture, comme si l’idée même de se remettre en question était perçue comme une attaque.

Et c’est problématique, parce qu’on a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’un dialogue ouvert entre les chercheurs, les enseignants, les journalistes et le public pour faire évoluer le journalisme. Cette posture défensive freine la transformation nécessaire du métier.

TB : Pour aller dans ce sens, le journalisme est une activité très particulière car monopolisée par ses producteurs. Ce que je veux dire, c’est qu’on pense, on commente, on forme au journalisme en partant du point de vue des journalistes.

Mais prenons un autre exemple : dans le cinéma, on n’imaginerait pas que seuls les réalisateurs soient légitimes pour parler du cinéma. On s’intéresse aussi à la manière dont le public reçoit les œuvres, en parle, les critique, les valorise. Le journalisme, lui, est souvent pensé sans intégrer le regard de ceux qui le lisent, l’écoutent ou le regardent.

C’est la même chose dans l’éducation aux médias. Elle est trop souvent centrée sur la fabrication : « voici comment on fait un journal », « voici comment on écrit un papier ». Mais on ne prend pas assez le temps d’expliquer aux citoyens à quoi sert l’information, comment elle est produite, sur quels critères, et quels droits et exigences ils sont en droit d’avoir vis-à-vis de l’information. Or, c’est ça qui me semble fondamental : redonner au public une vraie culture critique de l’information, pas seulement une initiation à sa fabrication.

 

  • Donc il ne s’agit pas uniquement de former des journalistes, mais aussi de former des lecteurs, des spectateurs, des citoyens plus exigeants.

 

Quel financement pour agir ?

 

  • Comment financez-vous votre activité ? La baisse des financements publics vous impacte-t-elle ?

 

TB : Potentiellement, oui. Nous avons un financement mixte : moitié agences de développement, moitié fondations et dons individuels. L’AFD en fait partie, mais nos principaux bailleurs sont plutôt néerlandais ou suédois. C’est pour cela qu’on se tourne de plus en plus vers le grand public : c’est aussi à lui de financer le droit à l’information.

 

  • Et vous, Dana ?

 

DP : Notre modèle est différent : nous fonctionnons uniquement avec des bénévoles, sans salariés. On répond à des appels à projets européens, en montant des consortiums avec d'autres structures, notamment en Europe centrale et occidentale.

 

 

Propos recueillis par Francis Charhon

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