Aller au contenu principal
Par Entourage - Publié le 30 septembre 2016 - 13:02 - Mise à jour le 30 septembre 2016 - 13:14
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Ma séance de ciné avec un sans-abri : je ne m'attendais pas à ça

Entourage a organisé au mois de septembre un concours pour ouvrir le cinéma à un public oublié : les personnes sans-abri. Deux places de cinéma étaient offertes aux gens qui se proposaient d’y inviter une personne SDF. Nolwenn nous livre son témoignage sur cette démarche inédite, et sur son retour expérience. Un récit à lire jusqu’au bout.

Ma séance de ciné avec un sans-abri : je ne m'attendais pas à ça
Ma séance de ciné avec un sans-abri : je ne m'attendais pas à ça

J’avais prévu d’aller voir à Saint Lazare une jeune femme adorable avec qui j’avais déjà discuté une fois. Je l’y ai donc cherché mais bien sûr je ne l’ai pas trouvée (ce serait trop facile)! Me voilà donc un peu démunie, à arpenter les rues jusqu’à l’UGC Opéra pour trouver quelqu’un. Je croise des familles, je pense à proposer aux enfants mais ceux que je vois dorment à côté de leurs parents, je n’ose pas déranger. Je vois des personnes très chargées, d’autres allongées, et puis un monsieur prostré, que je n’ose pas non plus déranger.

 

« Lorsque Victor me dit que c’est son anniversaire, j’arrête de réfléchir et lui propose spontanément d’aller au cinéma. « 

Alors je commence à rebrousser chemin, en me disant que j’irai tenter ma chance à Montparnasse. Je traverse la place de l’Opéra, marche vers Madeleine, lorsque un homme se met sur mon passage et m’aborde, un peu chancelant, me réclamant de l’argent pour manger, il ne boit pas m’assure-t-il. C’est un antillais avec de longue dreadlocks, qui ne porte pas de chemise sous sa veste ouverte. Pour être très honnête, ce n’est vraiment pas le type de sans-abri avec lequel j’ai l’habitude de discuter. Souvent, ils sont assis et c’est moi qui viens vers eux. Là, c’est lui qui m’aborde, je n’ai pas vraiment « choisi » la personne avec qui je discute. Son approche un peu agressive (mais en même temps souriante!) ne me met d’ailleurs pas très à l’aise, mais il a un côté sympathique, et lorsqu’il me dit que c’est son anniversaire, j’arrête de réfléchir et lui propose spontanément d’aller au cinéma.

 

copyright Chimulus / L’Obs

« T’es sérieuse? En dix ans que je suis dans la rue.. attends il faut que je m’assoie »

Victor s’arrête d’un coup, se tourne vers mois et, les yeux écarquillés, me dit: « t’es sérieuse? En dix ans que je suis dans la rue.. attends il faut que je m’assoie, t’as pas une clope? » Je fume une cigarette avec lui, il me livre deux trois bribes de sa vie, presque rien: il a cinquante ans (mais en fait beaucoup moins!), en a marre de la France, il compte partir aux Etats-Unis, me parle d’une île fantastique en Grèce où tout le monde vit nu. Il me redemande plusieurs fois si je veux vraiment aller au cinéma avec lui, si ce n’est pas une blague. Il voudrait d’abord chercher de quoi fumer. Ne sachant pas trop quoi répondre, je préfère lui dire que non, on y va tout de suite et il cherchera ensuite. Après une hésitation, il accepte.

« Il s’en fiche du film, tout ce qu’il veut c’est être avec moi »

On marche vers l’UGC, il met de la musique, danse, me parle à moitié en anglais, rigole tout le temps. Il me demande ce que je veux voir: un film d’amour? un film romantique? Nan? un film d’action? Il s’en fiche du film, tout ce qu’il veut c’est être avec moi, me dit-il. J’avoue que je ne sais pas vraiment comment l’interpréter, mais bon, je ne suis pas là pour sonder ses intentions et je crois qu’il est surtout ravi d’avoir de la compagnie. « Tu crois qu’ils pensent quoi les gens qui me voient avec toi? T’as pas peur d’eux? » me demande-t-il.

 

« C’est en arrivant au guichet que j’ai compris l’importance du regard des autres dans ce genre de contexte. »

On entre dans le ciné, optant pour Victoria, première séance disponible. Jusqu’ici, j’avais imaginé la scène en faisant totalement abstraction des personnes autour. C’est en arrivant au guichet que j’ai compris l’importance du regard des autres dans ce genre de contexte. De la normativité de l’espace culturel. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles il est aussi rare de voir des personnes sans-abri au cinéma, au delà du prix. Il y a d’abord le mouvement de recul du vendeur qui m’interroge du regard, un peu désarçonné.  Gêné, il s’assure à deux reprises que je suis bien avec ce monsieur. Puis, se tournant vers Victor, lui demande de refermer sa veste. Quand même, vous n’avez pas une chemise? Victor me regarde en rigolant. Le guichetier, un peu craintif mais de bonne volonté, lui fait un sourire et lui demande de bien se comporter dans la salle.

 

« De quel droit ce type se permet-il d’envahir mon espace social ? signifient leurs regards. »

Par contre on risque de ne pas être côte à côte nous avertit-il, il n’y a plus beaucoup de place. Victor insiste, et c’est escorté d’un ouvreur chargé de nous trouver deux places à côté que l’on entre dans la salle. Il interpelle une dame, de loin, pour lui demander de se décaler, elle accepte avec un grand sourire… jusqu’à ce qu’on s’approche. On passe devant elle pour s’asseoir à côté, elle pousse ostensiblement de grands soupirs, des « oh non », nous jette des regards de dégoût puis, trente secondes plus tard, part en quête d’une autre place. Ma voisine de gauche aussi nous adresse des coups d’oeil en biais. De quel droit ce type se permet-il d’envahir mon espace social? signifient leurs regards.

« Il laisse échapper un petit rire, pas toujours aux mêmes moments que le reste de la salle »

Victor fait mine de ne rien remarquer, il a l’air content, s’enfonce confortablement dans son siège, me gratifie d’un immense sourire et d’un sonore « Thank you »! Il me dit de poser mon sac, de me détendre, j’avoue que je suis un petit peu crispée, sans trop savoir pourquoi.

Le film démarre, de temps en temps il laisse échapper un petit rire, pas toujours aux mêmes moments que le reste de la salle. Il se met à danser sur son fauteuil dès qu’il y a de la musique, sort parfois un commentaire, un mot. A un moment, j’entends sa respiration plus lente, je crois qu’il s’est endormi. Quand il se réveille, il semble fébrile, il a des tics, il est clairement en manque.

« Ses tics reprennent, ça gêne le monsieur de devant qui s’agace »

Au milieu du film, il me demande mon feu, je réponds d’abord non, tu ne vas pas fumer à l’intérieur, il insiste, plusieurs fois, parfois presque agressif, me demande de lui faire confiance. J’accepte mais lui demande qu’on sorte dans ce cas, je l’accompagne alors à la porte des toilettes, lui tends mon briquet, il s’assure que je vais bien rester dans la salle, et je pars me rasseoir (quand même pas très rassurée).  Il revient cinq minutes plus tard, rigole beaucoup, fait quelques commentaires amusants, puis ses tics reprennent, ça gêne le monsieur de devant qui s’agace. Quinze minutes avant la fin du film, Victor se penche vers moi, me claque une bise sur la tête et m’adresse un beau sourire avant de filer.

« Je suis contente de m’être laissée surprendre, et d’avoir dépassé mon appréhension »

Finalement c’était une belle expérience, surprenante, et même si je n’étais pas hyper sereine quant à l’état de ce monsieur je ne regrette pas. Je retenterais bien une autre fois mais en proposant peut-être à une personne que je connais déjà!

En même temps je suis contente de m’être laissée surprendre, et d’avoir dépassé un peu mon appréhension pour lui faire confiance:  je sais que j’ai plus de facilités à me tourner vers les personnes de la rue les plus avenantes, les plus « normales » mais ce ne sont pas les seules à avoir besoin de ce lien, au contraire…

J’espère qu’il était content quand même, mais je crois que oui! et moi aussi en tout cas!

* * *

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer