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Par Fondation Nexity - Publié le 26 novembre 2020 - 14:34 - Mise à jour le 26 novembre 2020 - 19:45
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Les violences faites aux femmes en Europe, fracture entre le nord et le sud

Le 25 novembre aura lieu la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes. Selon une estimation de l’Organisation Mondiale de la Sante datant de 2015, près d’une femme sur 3 est victime de violences, de la part de son conjoint ou d’une autre personne.

Au niveau européen, c’est une femme sur cinq qui est victime de violences physiques ou sexuelles et chaque jour, sept femmes meurent sous les coups de leurs partenaires. En raison de la crise sanitaire, et notamment du confinement qui a été mis en place dans de nombreux pays européens, les états membres de l’OMS Europe ont enregistré une hausse de 60% des appels d’urgence de la part de femmes victimes de violences conjugales, comparé à l’année 2019. Le docteur Hans Henri P.Kluge, directeur de l’OMS Europe a rappelé aux gouvernements et autorités locales que « ça ne devrait pas être une option mais une obligation morale de faire en sorte que les services qui traitent des violences domestiques soient disponibles et aient les ressources nécessaires, et que les numéros d’urgence et services en ligne soient renforcés ».

En chiffres

35 % des femmes, soit près d'1 femme sur 3, indiquent avoir été exposées à des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ou de quelqu’un d’autre au cours de leur vie.

Source : OMS 

On observe une disparité selon les différents pays d’Europe dans l’enregistrement du nombre de femmes victimes de violences. En effet, une fracture entre le nord et le sud se dessine clairement, la Suède et le Danemark étant les pays les moins bien classés dans ce domaine.

En effet, en 2015, l’Agence Européenne des droits fondamentaux a publié une étude sur les violences à l’égard des femmes, réalisée auprès de 48 000 femmes. Il s’agit à ce jour de l’étude la plus complète à ce sujet qui a été réalisée en Europe. Selon le classement émanant de cette étude, les pays du sud, tels que l’Espagne, l’Italie et le Portugal, enregistrent jusqu’à 19 % de femmes victimes de violences physiques et / ou sexuelles d’une partenaire depuis l’âge de 15 ans. Au contraire, les pays du nord, avec en tête le Danemark, la Lettonie et la Finlande, enregistrent jusqu’à 32 % de femmes victimes de violences de la part d’un partenaire.

Des pays du sud en pointe sur les mesures coercitives pour mettre fin aux violences faites aux femmes

Les éléments déclencheurs de la lutte contre les violences faites aux femmes

En Espagne, la lutte contre les violences faites aux femmes a pris un réel tournant en 1997, avec le cas d’Ana Orantes, qui a dénoncé, à la télévision, les violences qu’elle avait subies pendant près de quarante ans par son ex-mari, qui l’a brulée vive suite à son témoignage.  

C’est tristement grâce à la médiatisation de cette affaire que l’opinion public espagnol a pris conscience de la gravité du problème des violences conjugales dans le pays. Pepa Bueno, une journaliste espagnole très populaire, affirme qu’« avant 1997, les meurtres de genre se trouvaient dans la rubrique des faits divers, où il y avait les accidents, les catastrophes naturelles, et puis, en marge, une femme assassinée par son mari ». Mais pour la journaliste, les violences faites aux femmes n’ont rien à voir avec des faits divers : « cela répond à un problème structurel qui est celui de l’inégalité. Ce n’est pas un simple accident ».

En Italie, c’est Lucia Annibali, victime d’une attaque à l’acide commanditée par son ex-conjoint, qui est devenu un des symboles de la lutte contre les violences conjugales et qui a permis de mettre en exergue la gravité de la situation.  Depuis, la jeune femme n’a pas cessé de dénoncer les violences faites aux femmes.

Un arsenal juridique renforcé

La forte médiatisation autour de ces deux affaires ont notamment permis de renforcer l’arsenal juridique national dans les deux pays.

L’Espagne est régulièrement citée comme exemple en matière de lutte contre les conjugales. En effet, en 2004, sous le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, la « loi de protection intégrale contre les violences de genre » est votée à l’unanimité, permettant ainsi de couvrir tous les aspects du problème.

En premier lieu, la création de 106 tribunaux spécialisés, dédiés exclusivement aux violences faites aux femmes par leur conjoint ou ex conjoint a permis de raccourcir les délais d’instruction des dossiers ainsi que la durée d’organisation des procès, qui n’excède pas quinze jours. De plus, si la victime ne souhaite pas porter plainte, l’État espagnol peut le faire à sa place et dans le cas où elle souhaite retirer sa plainte, les juges peuvent décider de prononcer à l’encontre de l’auteur des faits une mesure d’éloignement, l’obligation de porter un bracelet électronique ou une mesure de détention provisoire, s’ils estiment que la victime est en danger. Les tribunaux spécialisés ont donc une plus grande marge de manœuvre que les tribunaux ordinaires, et semblent ainsi permettre une répression plus efficace.

Le port du bracelet électronique anti-rapprochement, crée en 2007, est une autre dispositif phare issu de la loi. Il permet aux victimes d’être alertées en cas de proximité de leur agresseur pour qu’elles puissent se mettre à l’abri avant l’arrivée des forces de l’ordre. En 2019, 1350 femmes étaient protégées grâce au port du bracelet. Depuis la mise en place de ce mécanisme en Espagne, aucune femme bénéficiaire du dispositif n’a été tuée.

En 2017, le gouvernement espagnol, sous la pression des associations, a signé un pacte national contre la violence de genre, qui comporte plus de deux cents mesures permettant de renforcer la protection des victimes, telles que l’attribution d’une aide financière aux victimes sans emploi et la mise en place de brigades spécifiques au sein des commissariats, présentes de manière continue. À ce titre, un milliard d’euros a été débloqué et distribué aux différents ministères, pour une durée de cinq ans.  

Plus tardivement, en août 2019, en Italie, le gouvernement a voté une loi dite « code rouge ». Le texte prévoit notamment l’obligation pour les parquets de recueillir les informations auprès des victimes présumées et décider de la procédure à suivre dans les trois jours suivant le signalement aux forces de l’ordre.  Par cette loi, quatre nouvelles infractions ont également été créées : le délit de « déformation de l’aspect de la personne », qui comprend par exemple les attaques à l’acide, le mariage forcé et la violation par un partenaire violent des mesures d’éloignement.

Des pays du nord aux statistiques surprenantes

La non-corrélation entre l’éducation sur l’égalité femmes-hommes et le niveau de violences conjugales

Les pays du nord de l’Europe, le Danemark, la Finlande, la Suède et les Pays Bas, ont les plus mauvaises statistiques en termes de violences faites aux femmes, notamment de violences conjugales, alors même qu’ils ont les meilleurs résultats en termes d’éducation sur l’égalité. Yves Raibaud, chercheur et spécialiste dans la géographie de genre explique « le paradoxe nordique » par deux facteurs principaux.

 En premier lieu, il soulève qu’« une politique publique orientée vers la diminution des violences conjugales n’a pas forcément de conséquences sur l’égalité professionnelle ». Par conséquent, il semblerait que le lien entre les progrès sur l’égalité dans un pays et la diminution des violences faites aux femmes n’est pas toujours avéré.

En deuxième lieu, il rappelle que les violences faites aux femmes constituent un réel tabou de la société dans de nombreuses communautés. La différence entre les chiffres issus de l’enquête menée par l’Agence Européenne des droits fondamentaux révèle donc un écart entre les mécanismes de prévention et d’information mis en place par les états européens. Ainsi, dans les pays nordiques, les femmes ont tendance à être plus sensibilisées au sujet des violences faites aux femmes, et se sentent ainsi sûrement plus légitimes à dénoncer les violences qu’elles ont subies.

Des institutions en recherche de solutions

Sur un plan international, l’ONU Femmes, entité des Nations Unies dédiée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, apporte, d’une part, son soutien aux organes intergouvernementaux, telle que la Commission de la condition de la femme, pour faire évoluer les normes internationales et d’autre part, son aide aux états pour qu’ils adoptent et appliquent des lois nationales conformes au cadre normatif international. 

L’organisation travaille en partenariat avec les gouvernements, les organismes des Nations-Unies ainsi que les organisations de la société civile afin de mettre un terme aux violences, sensibiliser l’opinion publique sur les causes et les conséquences de ces dernières et renforcer les capacités de ses partenaires en matière de prévention et de réponse à la violence. L’organisation se mobilise également pour intégrer la violence dans les instruments internationaux, régionaux et nationaux. Or, à ce jour, il existe deux instruments principaux relatifs aux violences subies par les femmes, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 et la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993. Cependant, ces deux textes ne sont pas juridiquement contraignant pour les pays signataires.

Au niveau européen, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a été ouverte à la signature en 2011 et est entrée en vigueur en août 2014. Elle met en place un cadre global pour prévenir la violence, protéger les victimes et poursuivre les agresseurs. Depuis 2018, la Convention a été signée par tous les états membres de l’Union Européenne, mais n’a été ratifiée que par 21 d’entre eux. Il s’agit du premier texte européen contraignant dans ce domaine. 

Le parlement Européen, à travers la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, joue également un rôle sur la problématique des violences faites aux femmes en Europe. En effet, un groupe de travail sur la violence envers les femmes a été crée en 2015 par la commission, afin d’échanger et d’élaborer une stratégie commune.

Les solutions portées par les associations et institutions

La prévention et la formation comme moyen de lutte contre les violences ?

Selon l’ONU femmes, il est judicieux et nécessaire de prendre le problème des violences conjugales à la racine, en éduquant dès le plus jeune âge sur ses causes structurelles, c’est-à-dire les stéréotypes, les normes sociales et la discrimination de genre.

Partant de ce principe, l’institution a mis en place un programme éducatif mondial non formel en 2013, nommé « Des voix opposées à la violence », conçu pour des groupes de jeunes entre 5 et 25 ans. Ce programme permet de fournir à ces jeunes des éléments de compréhension des causes de violences faites aux femmes dans leurs communautés, mais aussi d’éduquer leurs pairs à la prévention des violences et de trouver un soutien s’ils sont victimes ou témoins de ces violences. Le programme comprend un manuel destiné aux éducateurs afin de les aider à organiser les séances et les activités éducatives.

Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie préconise également la prévention dès l’enfance, la plupart des auteurs de violences ayant été eux même victimes ou témoins de ces gestes pendant leur enfance au sein de leur famille. Pour cela, le gouvernement doit mettre en œuvre les moyens financiers pour former et sensibiliser aux violences.

La prévention, pour être efficace, nécessite la collaboration avec les hommes et les garçons, afin de démanteler les stéréotypes sociaux et les inégalités profondément ancrées dans les sociétés et ainsi réduire les violences de genre.

La sensibilisation passe également par la formation des personnes encadrantes, c’est-à-dire le personnel soignant, les forces de l’ordre et les avocats, pour accompagner aux mieux les victimes de violences dans leur démarche.

La mobilisation des associations françaises

En France, plusieurs associations se mobilisent chaque année afin de lutter contre les violences faites aux femmes et de manière plus générale en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles appartiennent parfois à un réseau plus large d’associations, regroupées au sein d’une fédération. C’est notamment le cas de la Fédération Solidarités Femmes, qui regroupent 73 associations réparties sur tout le territoire. Les associations Solidarité Femmes accompagnent chaque année plus de 35 000 femmes victimes, hébergent plus de 3000 femmes et autant d’enfants, accompagnent les femmes sur toutes les conséquences des violences (sur leur santé physique et psychique, sur le plan social, économique et juridique). Par ailleurs, elles initient et animent des actions de sensibilisation, de formation et de prévention sur la question des violences faites aux femmes, en particulier les violences conjugales.

La fédération a participé à la Grenelle contre les violences conjugales, qui a eu lieu en 2019, dans le but de prendre des engagements concrets et collectifs pour lutter contre les violences faites aux femmes. À ce titre, de nombreux acteurs politiques et sociaux étaient réunis, autour de quatre piliers issus de la Convention du Conseil d’Europe : la prévention, la protection des victimes, la poursuite des auteurs de violence et les politiques intégrées.

La fédération Solidarité Femmes avaient alors émis des propositions lors du grand débat national : améliorer la sécurité des femmes victimes de violences conjugales et garantir l’intérêt supérieur des enfants co-victimes de ces violences, renforcer les centres d’écoute d’accueil, d’hébergement et le logement des victimes de violences conjugales, assurer la répression pénale effective des violences conjugales et le suivi renforcé des auteurs, renforcer la coordination des institutions et créer des juridictions spécialisées, compétentes sur le plan civil et pénal et développer des actions de prévention, d’éducation et de formation pour prévenir les violences faites aux femmes.  

Depuis la Grenelle, la législation française a favorablement évolué, avec la mise en place de plusieurs mesures, notamment : le renforcement de la répression des violences conjugales, avec notamment l’incrimination du suicide de la victime et les cyber-violences, le renforcement de la protection des victimes avec la mise en place du bracelet électronique anti-rapprochement, l’interdiction de la médiation pénale ou familiale ainsi que des mesures limitant l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales, notamment l’attribution prioritaire du logement à la victime et la possible suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur au parent violent.

L’arsenal juridique espagnol, source d’inspiration pour la France ?

En France, jusqu’alors, le bracelet électronique ne pouvait être ordonné qu’à l’encontre des personnes condamnées.

Cependant, en décembre 2019, le Parlement a voté une loi visant à mettre en place un système similaire à celui de l’Espagne, à partir de 2020. Depuis le 25 septembre dernier, 1000 bracelets vont être expérimentés dans cinq juridictions françaises : Aix en Provence, Douai, Bobigny, Pontoise et Angoulême. Ce système sera étendu à l’ensemble du territoire à partir du 31 décembre 2020.

Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, a affirmé qu’il s’agissait « d’une avancée fondamentale pour la protection des victimes », avant d’ajouter « il est intolérable, que, de nos jours, des femmes, mais aussi des hommes, tombent et meurent encore sous les coups de leur conjoint ou de leur conjointe ».

Ce bracelet pourra être ordonné sur décision d’un juge, au cours d’une procédure pénale, pour renforcer un contrôle judiciaire ou à titre de sanction, mais également dans le cadre d’une procédure civile, par un juge aux affaires familiales. Mais, dans ce dernier cas, l’accord du conjoint qui doit porter le bracelet est obligatoire. En cas de refus, le juge pourra saisir le procureur afin d’ouvrir une enquête pénale.

Malgré une certaine avancée avec la mise en place de ce bracelet électronique, la création de tribunaux spéciaux, élément déterminant de la réussite de la politique mise en place en Espagne, permettant de réduire les délais de procédure et de recourir à des juges spécialement formés aux violences conjugales, ne semble pas être à l’ordre du jour en France.

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