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Par Carenews PRO - Publié le 18 décembre 2018 - 14:12 - Mise à jour le 18 octobre 2019 - 15:44
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[ÉCLAIRAGE] Mécénat d'entreprise: faut-il se réjouir des règlements de comptes ?

L’année 2018 aura été riche en actes politiques concernant le concours du secteur privé à l’intérêt général et le mois de novembre aura été à cet égard un point d’orgue, avec l’annonce du Pacte de croissance pour l’Economie sociale et solidaire de Christophe Itier et du Plan Vie associative de Gabriel Attal. Autre temps fort : la restitution d’un Rapport sur le mécénat d’entreprise commandé par les parlementaires à la Cour des Comptes en décembre 2017 et présenté aux députés puis rendu public fin novembre. Les médias en ont fait les gros titres : le mécénat français - l’un des plus incitatifs au monde pour la philanthropie d’entreprise - serait remis en question, au vue des pratiques de certaines grandes fondations d’entreprise de l’univers du luxe investies dans l’art contemporain. La Cour des comptes s’alarme du coût de la dépense fiscale pour les finances publiques, évalué à 900 millions d’euros par an.

[ÉCLAIRAGE] Mécénat d'entreprise: faut-il se réjouir des règlements de comptes ?
[ÉCLAIRAGE] Mécénat d'entreprise: faut-il se réjouir des règlements de comptes ?

 

Une photographie inédite du mécénat d’entreprise, 15 ans après la loi Aillagon

 

Le rapport de la Cour des comptes intitulé “Le soutien public au mécénat des entreprises” est d’abord une grande enquête passionnante qui aura duré près de 10 mois. Extrêmement bien documentée, elle permet de dresser le un bilan des effets de la loi Aillagon. Elle s’appuie sur une bibliographie fournie, une analyse comparée au plan européen et quatre champs d’investigation complémentaires, à savoir l’audit des services du ministère des Finances, une approche sectorielle du point de vu des bénéficiaires, le contrôle de trois fondations grandes bénéficiaires du mécénat d’entreprise (La Fondation du Patrimoine, la Fondation FACE et la Fondation Louis Vuitton) et enfin une analyse du mécénat en région et de celui des TPE.

 

D’après Recherches & solidarités, les entreprises donnent près de 3 milliards d’euros aux associations, un chiffre conforté par l’Observatoire de la Philanthropie. L'Observatoire chiffre à 7,5 milliards d'euros la générosité privée en France, dont 39 % provenant des entreprises, soit l'équivalent du budget annuel du ministère de la Justice. La Cour des comptes, et c’est son rôle, pointe elle aussi le grand succès du dispositif fiscal et de ses compléments ultérieurs, mais du point de vue du coût pour les finances publiques :

- Multiplication par 10 du coût pour les finances publiques depuis 2003

- 24% des entreprises mécènes ont créé un structure intermédiaire dédiée (fondation d’entreprise > fonds de dotation > fondations sous égide). Le nombre de fondations a doublé entre 2001 et 2017 passant de 1109 à 2364, de 67 à 400 pour les fondations d’entreprise. Les fonds de dotation sont passé de 162 en 2009 an 2464 en 2017

- Concentration de 48% de la dépenses fiscale par 36 entreprises de plus de 13,6 Mrds de CA

- Concernant le nombre d’entreprises mécènes, l’administration fiscale en dénombre 68 930, quand  l’ADMICAL évalue ce chiffre à 170 000 et Recherche et Solidarités entre 110 et 120 000. Un écart que la dernière enquête de l’ADMICAL attribue à la non déclaration de faibles montants. La Cour des comptes qui souhaite évaluer plus précisément ce différentiel prévoit en tout cas une augmentation croissante du mécénat d’entreprise.

 

Que retenir ?

 

Le rapport souligne la complexification du mécénat d’entreprise depuis 2003, avec la croissance du nombre de fondations et de dispositifs, l’émergence de la RSE qui intègre le mécénat comme outil stratégique  et l’apparition de la notion d’entreprise à mission (Rapport Notat-Senard puis loi PACTE). De plus «l’hybridation croissante entre les domaines éducatif et culturel ; scientifique et environnemental ; sanitaire et social – rend délicat le rattachement aux catégories initialement retenues.» L’autre aspect mal évalué est le mécénat d’organisations situées dans d’autres pays de l’Union Européenne, autorisé par l’arrêt Persche (2009). Autant d’évolutions qui ne facilitent pas la distinction entre intérêt privé et intérêt général, notamment depuis que la mention de l’entreprise mécène est autorisée (2000).

 

La Cour a audité en profondeur trois grandes fondations financées en majorité ou en totalité par des entreprises : la Fondation du Patrimoine, La Fondation Agir Contre le Chômage (FACE) et la Fondation Louis Vuitton. Si c’est beaucoup de ce “#LVMHGate” dont la presse a parlé, en raison du coût impressionnant de la dépense fiscale générée par la construction du bâtiment dans la concession publique du Bois de Boulogne - les entreprises du groupe LVMH ont ainsi réduit leurs impôts de 518,1 millions entre 2007 et 2017 au titre des sommes versées à la Fondation Louis Vuitton soit environ 8,1 % de la dépense fiscale totale pour l’État au titre du mécénat des entreprises sur la période  (Le Monde du 28 novembre 2018) - c’est en réalité le nouveau modèle économique “abritant” de la Fondation FACE qui est le moins bien évalué. En 5 ans, 73 fondations abritées ont vu le jour sous son égide, interrogeant la Cour des comptes sur un modèle économique jugé risqué et peu rigoureux au niveau du contrôle, avec des faiblesses avérée dans la sélection, la gestion et l’évaluation des projets. La Fondation du Patrimoine quant à elle, organisée à un niveau territorial, fait figure de bonne élève.

 

Propositions : mieux connaître, mieux évaluer, mieux contrôler

 

La Cour des comptes souligne l’insuffisance des moyens de l’État eut égard au contrôle et à l’évaluation de l’efficacité du mécénat d’entreprise, aujourd’hui inqualifiable. Ainsi lors de la restitution devant le Parlement, Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, a en effet déclaré qu’il « [n’était] pas possible aujourd’hui d’apprécier l’apport du mécénat à la lutte contre l’exclusion ou à tel ou tel champ des activités culturelles, tout simplement parce que l’administration fiscale est aveugle », précisant qu’« elle ne connaît pas en réalité la destination et l’objet de cette dépense fiscale ».

 

Elle recommande notamment quatre grands axes de travail :

- considérer le mécénat d’entreprise comme une politique publique à part entière avec la nomination d’une administration « chef de file » chargée de suivre et d’animer au plan interministériel la politique de soutien public au mécénat des entreprise, rattachée au PM et qui rende compte au Parlement tous les 3 ans.

- mieux maîtriser la dépense fiscale avec plusieurs scénarios d’ajustement à court terme du dispositif fiscal. Trois scénarios fiscaux sont imaginés : une déduction des dépenses de mécénat du résultat fiscal, qui reviendra à traiter comptablement le mécénat comme le parrainage ; une baisse du taux de réduction fiscale (à 50 ou 40%) ; un plafonnement du montant des dons et non plus de la part dans le chiffre d’affaire (aujourd’hui 5/000) comme cela est déjà acté pour les TPE-PME.

- clarifier certaines des règles applicables au mécénat, en encadrant les contreparties par une base juridique claire qui reverrait leur valorisation objectivée à la baisse, préviendrait les conflits d’intérêt et en préciserait les règles relatives au mécénat de compétence.

- réexaminer à moyen terme la politique publique incitative du mécénat d’entreprise au regard de ses évolutions récentes et d’autres modes d’intervention existants, et d’encadrer de manière plus rigoureuse les modalité de création, de fonctionnement et de contrôle des fondations, fonds de dotation et fondations abritées.

 

Depuis la restitution de ce rapport, les députés de la commission des finances de l’Assemblée nationale ont créé un groupe de travail qui proposera à des dispositions pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, et le secteur s’organise pour apporter des réponses.

Deux amendements inspirés de ses recommandations ont déjà été adoptés à l’Assemblée nationale le 16 novembre dans le projet de loi de finances pour 2019.

Le premier concerne la traçabilité, et obligera les organisations bénéficiaires de dons à déclarer à l’administration fiscale la liste des donateurs et des contreparties accordées dans le cadre d’opérations de mécénat de plus de 153 000 euros.

Le second a relevé le plafond du CA concernant l’incitation fiscale pour les petites entreprises, leur permettant de choisir entre un seuil de 10 000 euros (franchise) ou 0,5 % de leur chiffre d’affaires.

 

Qu’en penser ?

 

À l’heure où les subventions aux associations se réduisent, où les dons des particuliers sont revus à la baisse suite à la suppression de l’ISF et à la crise sociale, le secteur associatif a plus que jamais besoin du mécénat d’entreprise. Et notamment pour financer de l’expérimentation qui sort des missions socles encore tant bien que mal financées sur fonds publics, là précisément où les retombées pour l’entreprise ne s’évaluent pas en retours financiers mais en retour humains. Dans certains domaines – social, humanitaire, environnemental – de réels partenariats innovants régulièrement documentés par l’Observatoire national des Partenariats du Rameau ont vu le jour grâce au mécénat d’entreprise qui joue ici le rôle de “capital risqueur” de l’intérêt général. L’évaluation de leur efficacité et des économies générées pour la collectivité (et non pas seulement de leur poids fiscal) a un coût dans lequel l’État devra prendre sa part s’il souhaite justifier auprès des contribuables les déductions fiscales qui laissent tout de même 40 % du don à la charge de l’entreprise mécène, lorsqu’elle souhaite le déduire de son IS. La logique du co-financement voudrait même que soient explicitement rendus éligibles dans l’article 238 bis du CGI de nouvelles priorités sociales et écologiques d’intérêt général (égalité numérique, citoyenneté européenne, préservation et transmission du patrimoine naturel et des savoir-faires artisanaux, soutien à l’agroécologie et à l’économie rurale, pour n’en citer que quelques-unes…).

À titre personnel, j’aurai une proposition à faire : un groupe de travail mixte pourrait travailler au cahier des charges d’une plateforme ouverte, sorte de guichet unique, qui permettrait aux mécènes et aux organisations bénéficiaires d’enregistrer le montant des dons perçus comme le recommande la Cour, mais également de fournir aux mécènes de l’open data sur leur champs d’intervention. Cela aurait le mérite de mieux flécher EN AMONT l’utilité du mécénat là où l’État et le marché font défaut. La croissance du “mécénat croisé”, la préférence croissante du mécénat “social” au mécénat culturel sont en réalité des indicateurs de responsabilité sociale. Les grandes causes nationales, sociales et économiques aujourd’hui concernent en priorité la lutte contre les inégalités et à la protection environnementale, mais le mécène manque d’information tangibles et centralisées. La plateforme permettait ainsi d’agréger et d’analyser la donnée publique et privée d’intérêt général afin de mieux évaluer les “meta-besoins” en terme d’intérêt général, en amont, pratique qui pourrait permettre d’ajuster le montant de la déduction fiscale. Et d’amorcer des solutions nouvelles issues de la société civile et de l’ESS, avec une relais ultérieur de l’Etat et/ou du marché. Un modèle innovant qui pourrait être étendu en Europe s’il fait ses preuves.

 

Alors, on s’y met quand ?

 

Jeanne Brétécher

Directrice associée de Génération2 conseil (SCOP G2c)

 

Créé en 2013, Génération2 est un cabinet conseil intégré, spécialisé en entrepreneuriat social, mécénat collaboratif, investissements citoyens et partenariats ESS-entreprises. 

 

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