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Par Carenews PRO - Publié le 28 novembre 2014 - 09:24 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:56
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[REPORTAGE] Centrafrique : voyage au pays de la faim

Le conflit qui touche la République Centrafricaine depuis 2012 est loin d’être terminé : malgré l’arrivé de l’opération française Sangaris et de l’ONU, il est une arme bien plus destructrice qui menace le pays : la faim.

[REPORTAGE] Centrafrique : voyage au pays de la faim
[REPORTAGE] Centrafrique : voyage au pays de la faim

Nous sommes à Yombo, à 25km au sud de Bangui. Comme tous les jours, Joseph se rend vers ses cultures de manioc. Joseph est instituteur, mais n’est plus payé depuis des mois. Alors, il travaille lorsqu’il n’a pas cours sur ces parcelles agricoles dites « communautaires ».

« Avant la guerre, explique-t-il, nous avions de quoi subvenir aux besoins de trois villages. Nous avions également un plan pour augmenter le nombre de parcelles cultivées afin de vendre nos produits et ainsi de générer un revenu additionnel pour nos familles. »

Ce revenu additionnel aurait pu permettre à la famille de Joseph – et aux autres – de lutter contre la malnutrition chronique, endémique en RCA, causée bien souvent par un manque de diversité de l’alimentation. Consommer uniquement du manioc ou du riz n’apporte pas au corps les nutriments nécessaires pour bien se développer. Pouvoir se procurer d’autres aliments sur les marchés est indispensable pour une bonne santé. 

Entre-temps, la guerre a frappé. En avril 2013, les rebelles de la Séléka prennent Bangui, puis, dans le même temps, les villages alentour, dont Yombo.

« C’était la pire période de ma vie, poursuit Joseph. J’avais peur pour ma famille, nous avons dû nous cacher des nuits entières chez les uns, chez les autres. Dans le même temps, les rebelles ont tout pillé : nos greniers, et surtout nos outils agricoles. Tout a été emporté Dieu sait où. Le résultat est que nous n’avions ni réserves de nourriture, ni de quoi cultiver. »

Alors la famille de Joseph – et des dizaines de milliers d’autres familles en RCA basculent dans l'insécurité alimentaire. 

Selon l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le secteur primaire, pilier de l’économie centrafricaine, a régressé de 46% par rapport aux niveaux d’avant la crise.

Dans le cas de l’agriculture, le volume de production des céréales de bases, estimé à 763 000 tonnes cette année, est inférieur de 58% à la moyenne de la période 2008 – 2012.  

L’agence onusienne a mis en place un programme d’aide d’urgence pour plus de 100 000 ménages, à qui ont été distribués des semis et des outils agricoles. Mais est-ce bien assez ?

« Bien que ces efforts aient empêché une détérioration encore plus grave de la situation de l'alimentation et de l'agriculture, nous avons besoin de soutien supplémentaire pour stimuler la production alimentaire et le secteur agricole qui est à la fois le moyen principal de survie pour de nombreuses personnes et l'épine dorsale de l'économie nationale », affirme M. Jean-Alexandre Scaglia, Représentant de la FAO en RCA.

La dernière enquête sur la sécurité alimentaire conduite par la FAO et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a révélé que les stocks ne se reconstruisent que trop lentement, poussant les familles à trouver d’autres solutions pour se fournir en denrées de base, dont les prix ont augmenté de 30 à 70% entre mars et août 2014, la faute notamment à l’insécurité qui perdure sur les routes, coupant ainsi la voie aux échanges commerciaux.

« Nous allons dans la forêt couper du bois de chauffage que nous vendons ensuite sur le marché, raconte Joseph. Cela nous permet de nous nourrir une fois par jour. Cette situation ne peut pas continuer. Mes enfants, surtout, sont les premiers à souffrir… »

Alors Joseph, comme beaucoup d’autres, envisage un exil vers Bangui, la capitale, où il espère trouver un travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Ce rêve reste néanmoins une chimère : à Bangui, l’inflation est galopante, le chômage aussi. Des dizaines de milliers de réfugiés s’entassent toujours dans des tentes le long de l’aéroport. Dans les bidonvilles, ceux qui ont fui l’insécurité sont désormais rejoints par ceux qui, comme Joseph et sa famille, espèrent échapper à la faim.

Le PAM distribue chaque jour des rations alimentaires d’urgence pour contrer cette crise alimentaire dont le nombre des victimes ne cesse de croître. 

Pour Joseph, ces aides ne sont qu’un pansement qui ne permet pas de guérir : « Ce dont nous avons besoin, c’est de recommencer à cultiver comme avant. Il faudrait d’abord que l’insécurité cesse, que nous retrouvions nos champs, que les routes soient à nouveau praticables. Nous, Centrafricains, nous sommes prêts à redoubler d’efforts pour sortir de cet engrenage. »

La mission de maintien de la paix des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA) s’attelle à la lourde tâche de sécuriser le pays, avec l’aide de plus de 10 000 casques bleus qui sont venus remplacer les soldats de l’opération française Sangaris.

Les responsables onusiens martèlent que la réponse doit être multilatérale, avec le renforcement des mesures de sécurité, d’une part, et la reconstruction des moyens de production, d’une autre. Vont-ils réussir ?

« Il y a beaucoup d’espoir, conclut Joseph. C’est un espoir un peu désespéré, mais un espoir tout de même. S’ils échouent, c’est le chaos ; s’ils réussissent, nous pourrons retrouver une vie normale. »

Dans un sourire un peu crispé, Joseph retourne à son manioc. « Une vie normale… » Voilà peut-être ce que l’on peut souhaiter de mieux à Joseph et aux autres qui, dans ce pays d’Afrique Centrale que le monde oublie peu à peu, luttent chaque jour pour échapper au spectre de la faim.

Là où bat le cœur du monde, découvrez les reportages d’Alexandre Brecher

Co-fondateur de Carenews, Alexandre Brecher est un infatigable voyageur. Après avoir travaillé en France en tant que journaliste, il s’engage pour la mission des Nations Unies en Afghanistan. Depuis, il parcourt ces zones de conflit où l’histoire s’écrit à toute vitesse, comme le Libéria, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Nord, le Mali, la Centrafrique et l’Irak. Aujourd’hui basé à Yaoundé, au Cameroun, il présente sur Carenews ses reportages, récit des petites histoires qui font la grande, portraits d’une monde en perpétuel changement qu’il ne cesse d’explorer, fidèle à sa devise : « Les hommes pensent qu’il font des voyages, en fait ce sont les voyages qui nous font – ou nous défont. »

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