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Par Carenews PRO - Publié le 20 septembre 2013 - 15:49 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:19
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[Histoire] Le Royaume Oublié

Il y a deux Afriques. Celle, incandescente, bruyante, désordonnée, sale et miséreuse des grandes villes et celle, éternelle, de la brousse, comme une photo jaunie des temps anciens, des tribus et des rois. C’est dans cet univers que Carenews vous entraîne pour son histoire du vendredi.

[Histoire] Le Royaume Oublié
[Histoire] Le Royaume Oublié

« Biton Coulibaly… Les Diarra… Les Toucouleurs… » Assis dans un recoin poussiéreux de son palais de sable rouge, le Roi Koike Coulibaly énumère ses ancêtres. Ils sont nombreux. Des générations et des  générations de Coulibaly, de Diarra, tour à tour esclaves et rois qui ont jalonné la longue histoire du royaume bambara de Ségou. Il fut un temps, le Mali était un puissant empire, presque aussi puissant que celui du Ghana qui dominait alors l’Afrique de l’Ouest. C’était le temps de Biton Coulibaly, le 18ème siècle, quelque dizaines d'années seulement avant les premières incursions d’un autre empire, celui de la France que les évènements révolutionnaires dessinaient au grand dam des premiers démocrates.

A cette époque, l’explorateur Mungo Park se lançait dans une épopée à la recherche des sources du puissant fleuve Niger, serpent de vie au milieu des sables arides du Sahel, le seuil du Sahara, et qui coule imperturbable vers les oasis mythiques de Gao et de Tombouctou. Ses sources sont dans les monts de la Guinée - On le sait aujourd’hui, mais l’expédition de Park fut couronné par un échec, l’explorateur, ruiné, volé par les tribus hostiles dut vendre les boutons de sa chemise pour survivre avant de se noyer dans les eaux de ce fleuve qu’il avait suivi jusqu’aux confins du monde connu et de sa propre vie.

Voilà le décor où le Roi Coulibaly, l’héritier du Royaume de Ségou, qui ne fait désormais que la taille d’un village, nous a reçus. L’ombre de son palais, construit en argile de termitière (les termites sont considérés comme des animaux sacrés et sont censés donner au roi sa sagesse et sa puissance), confère au personnage une stature mystérieuse et ses mouvements, lents et mesurés, révèlent en cet être presque surnaturel l’infinie noblesse de l’aristocratie africaine.

« Le temps de mes ancêtres était bien plus facile, nous annonce-t-il de sa voix rocailleuse, comme sortie d’un autre âge. A cette époque, l’enfant devait respecter son père, sa mère son frère ou sa sœur. Il ne pouvait pas faire de bêtises. Aujourd’hui, ça a bien changé. On laisse les enfants faire trop de choses. Ils ne connaissent plus le respect. »

Surgissant de l’obscurité d’une coursive suintant d’humidité, un serviteur apporte des verres de thé malien, ce thé sucré et brûlant qui, dans le désert, désaltère plus que n’importe quelle gourde d’eau fraîche. 

« La démocratie, je ne sais pas ce que c’est, poursuit le Roi. La démocratie, c’est bien le fait d’être libres et égaux ? Et bien je n’y crois pas. Nous sommes tous libres et égaux, mais tout le monde ne peut pas être président. Tout le monde ne peut pas être roi. »

Très vite, la conversation devient un monologue. Une fois le verre des préjugés brisé et la confiance établie, le Roi nous parle de ses préoccupations. La région de Ségou est ce que l’on appelle une poche de sécheresse. Les pluies, de plus en plus faibles, à mesure que la désertification continue son œuvre destructrice, n’autorise que de maigres récoltes.

« Je ne dors pas la nuit en pensant aux problèmes de mon peuple. Il n’y a pas de pluie donc pas de mil, pas de sorgho, pas de riz, rien. Les gens meurent à cause de la faim. On n’a même pas de voiture pour transporter les enfants à l’hôpital, pas d’électricité non plus. On a vraiment besoin d’aide. »

Cette aide, pourtant, est venue, mais ailleurs. Des milliards de dollars, versés par la communauté internationale suite à l’occupation d’une grande partie du territoire malien par des groupes armés, et de l'intervention menée par la France qui s’en est suivi. Mais, comme la pluie, l’argent n’est pas arrivé jusqu’à Sékoro, l’ancienne ville de Ségou, fief du Roi Coulibaly. Au point de regretter que cette région soit située à plus de 300km du lieu où les colonnes armées ont été stoppées net par la chasse française ?

« Non ! S’écrie le roi. Non ! Jamais je ne pourrai tolérer que l’on fasse du mal à nos femmes, à nos enfants. Là-haut, dans le Nord, c’est ce qui s’est passé. Jamais je n’accepterai que ça se passe comme ça ici. Je préfère ne rien avoir et subir la pauvreté plutôt que la guerre. »

Mais les besoins sont là, criants, visibles, dans cette région oubliée du Mali. Sékoro n’est pas mythique comme Tombouctou ou stratégique comme Bamako, mais c’est un endroit où les gens souffrent chaque jour, luttent contre des forces qui les dépassent, contre un désert qui avance inexorablement et prient sans relâche pour des pluies qui ne viennent pas.

L’on pourrait voir Sékoro avec des yeux naïfs, émerveillé par la lenteur des bœufs qui labourent inexorablement une terre aride, les simples haillons éfilés qui cachent maladroitement la noblesse et l’orgueil de ces habitants d’un royaume millénaire, les maisons de boue séchée devant lesquelles résonne le son du djembé comme autant de battement de cœur du voyageur qui explore ce monde comme l’ont fait voilà des siècles Mongo Park, René Caillé ou Richard Burton. L’on pourrait se laisser happer par ce présent si empreint des temps anciens, se laisser aller à dire, les yeux brillants, les mains tremblantes et le front ruisselant de sueur « Quand même, qu’est-ce que c’est beau ».

Oui, c’est beau. Oui, c’est authentique. Oui, ces gens-là ont ce que les gris habitants de nos villes ont perdu depuis trop longtemps. Mais la réalité est autre. C’est gens-là n’ont rien. Ils ont été oubliés, sur l’échiquier politique de l’aide mondiale, leur cause n’est jamais apparue comme une priorité stratégique. En doutant de la démocratie, peut-être le Roi voulait-il dire que les problèmes eux aussi ne sont pas tous égaux?

Lorsque nous prîmes congé, le Roi, drapé dans sa dignité comme dans son épais vêtement de coton blanc nous demande, calmement, posément, de l’aider à attirer l’attention du monde sur son royaume oublié. Nous promîmes de le faire, sans trop savoir comment s’y prendre. Peut-être est-ce là l’un des rôles de Carenews. Celui d’aider le lecteur à découvrir de nouvelles causes, qui deviendront peut-être siennes.

C’est pourquoi nous vous avons présenté aujourd’hui l’histoire de ce roi. Pour le trouver, rien de plus simple, de Bamako, regardez vers le Nord, vers la ville de Ségou, et avant d’y arriver, demandez à visiter Sékoro, tout le monde connaît ces plaines desséchées dormant sous la poussière, dans la mémoire des gens s'y élève encore l'ancienne capitale. Et traversez le village, au fond il y a le palais, grand, rouge et majestueux. Cheminez sans douter, même si vous ne pouvez pas aider, même pour une simple discussion qui dans les savanes su Sahel vaut son pesant d’or ou d’eau, avancez toujours car il y a fort à parier que sur son trône éternel d’argile rouge, au bout d’une coursive baignée d’obscurité et suintant d’humidité, un roi vous attende. 

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