[MÉCÉNAT CULTUREL] Versailles, un lieu Dior par excellence
Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une rubrique mensuelle. À travers des chroniques étudiant quelques cas d'études de mécénat culturel, Bernard Hasquenoph retrace l'historique des relations entre de grandes marques, souvent du luxe, et les institutions culturelles françaises. Croisant les problématiques de la philanthropie, du marketing, de l'image, du financement, du parrainage... ses récits sont au coeur d'une spécificité bien française, celle du mécénat culturel traditionnel, devenu nécessaire et omniprésent, parfois sans le dire, dans les musées, établissements publics, opéras, théâtres...
Quand sur Internet on associe les deux mots Dior et Versailles, on tombe sur "Secret Garden", série de spots publicitaires que la marque tourne au domaine depuis 2012. Mise en scène de ses collections couture, on y voit des mannequins courir dans les appartements royaux sur du Depeche Mode, ou déambuler entre copines dans les jardins. En 2015, c’est la chanteuse star Rihanna qui traverse un château plongé dans la nuit.
Ces élégants clips font écho à un autre spot Dior tourné en 2011 dans la Galerie des Glaces pour le parfum J'adore. La sculpturale Charlize Theron y défile, entourée de 200 figurants. Trois ans plus tard, on la retrouve filmée au même endroit, avant de s'élever sous une improbable coupole.
La marque justifie cet attachement à Versailles par les liens anciens qui l'unissent avec ce symbole intemporel de l'élégance à la française. Il est vrai que Christian Dior, son fondateur, vouait un culte au XVIIIe siècle. Nostalgique d'un certain goût perdu, il y puisa l'inspiration, tant pour la décoration de sa boutique avenue Montaigne au style néo-Louis XVI couleur gris Trianon, que pour ses packagings à médaillon et évidemment ses robes. Certaines portèrent d’ailleurs les noms de « Versailles » ou « Bal à Trianon », faisant déjà l’objet de campagnes photographiques au château.
Un style historicisant réinterprété de façon outrancière par son lointain successeur, John Galliano, embauché en 1996 pour propulser l'image d'une maison mythique, mais surannée vers le futur. Et booster ses ventes. Il y parvint avec génie. Aussi, quoi de plus naturel pour ce fleuron du groupe LVMH que de fêter en 2007 ses 60 ans à Versailles même, lors d'une soirée fastueuse avec défilé dans l'Orangerie. Comme pour la monarchie, la chute fut rude. En 2011, le roi Galliano sera licencié après avoir tenu des propos ignobles à la terrasse d'un café. Devenu infréquentable, son nom sera effacé, de manière peu élégante, d'une exposition mode présentée un peu plus tard au Grand Trianon, où plusieurs de ses robes Dior étaient présentées.
Est-ce pour redorer son blason ? C'est à partir de ce moment que la Maison Dior devint omniprésente à Versailles. LVMH flirtait déjà avec ce lieu patrimonial incontournable pour un grand groupe français, qui plus est numéro un mondial du luxe, mais essentiellement en son nom. LVMH y aurait même été le premier mécène français, finançant en 1992 la création d’espaces d’exposition dans l’aile nord. Depuis, le groupe apporte son soutien à des restaurations, des acquisitions d’oeuvres ou des expositions...
Mais en 2013, alors que les tournages de pubs Dior se succédaient à Versailles, l’établissement public annonça un mécénat exceptionnel de la marque cette fois : la restauration de la Maison de la Reine au Hameau, ce village d'opérette créé pour Marie-Antoinette. Quand les travaux démarrèrent en 2016, le bâtiment disparut sous une bâche estampillée Dior où l'on pouvait voir des mannequins en tenue maison. Plus visible encore, depuis l’été 2014, Dior s'afficha sur la façade même du château, grâce à une autre bâche masquant le chantier du Pavillon Dufour qui devait durer plus d’un an et demi. Confiée également à l’artiste Pierre Delavie, elle « mettait en scène les photographies des modèles les plus emblématiques de la Maison dans un décor de pierre et de verdure ». Mécénat pour la presse, il s’agissait en réalité d'un acte de parrainage, plus commercial. Officiellement décoratives, ces deux bâches étaient pourtant bien publicitaires, mais sans autorisation administrative comme la loi l’exige pour des monuments historiques, et contraires même à la législation du mécénat pour celle du Hameau.
Toutes ces actions croisées n'ont qu'un seul but, fusionner l’image de l'entreprise avec celle de Versailles. « En inscrivant une silhouette Dior entre deux arcades du bosquet des Colonnades, expliquait encore l’artiste, on dévoile une harmonie naturelle. Comme si notre inconscient collectif s’attendait à entendre le bruissement des robes dans les allées ». Une stratégie marketing d’alliance avec le domaine, de marque à marque. Car Dior est désormais aussi mécène des manifestations versaillaises d’art contemporain : Anish Kapoor en 2015, Olafur Eliasson l’année suivante. Dans la foulée, elle lança une collection de haute joaillerie directement inspirée des lieux, baptisée « Dior à Versailles » et présentée « dans l'ambiance feutrée d'une galerie des Glaces reconstituée » décrit un magazine. On atteint un tel degré d'appropriation que ce n'est plus le monument qui inspire Dior, mais presque l'inverse quand la marque décrète : « Le château de Versailles, icône du luxe et de l’art de vivre à la française, est un lieu Dior par excellence ».