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Par Carenews PRO - Publié le 6 décembre 2013 - 00:01 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:22
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En mémoire de Mandela : Les passagers de Johannesbourg (une histoire vraie)

Ce 5 décembre 2014, Nelson Mandela est mort à son domicile de Johannesbourg à l'âge de 95 ans. En hommage à ce personnage historique, Alexandre Brecher, co-fondateur de Carenews, vous livre le récit de sa rencontre fortuite avec Mandela. Beau moment et belle leçon : "N’oublie jamais qu’il est toujours bon d’essayer de deviner le chemin qu’un homme a dû parcourir afin d’arriver au point où tu t’apprêtes à le juger. »

En mémoire de Mandela : Les passagers de Johannesbourg (une histoire vraie)
En mémoire de Mandela : Les passagers de Johannesbourg (une histoire vraie)

Il est un peu plus de midi, une chaleur moite écrase Johannesbourg, en Afrique du Sud. Sur le goudron presque fondu, lentement, comme bercé par le bruit sourd de son moteur toussant une fumée noire et âcre, un bus passe. Nous y montons.

 

Nous sommes sous le régime de l’Apartheid, et le véhicule est séparé en deux parties, l’une, spacieuse, réservée aux Blancs, ces « Afrikaneers » au visage buriné, ces femmes de forte corpulence avachies sur le bois mal verni, et qui agitent à grand-peine un éventail aux couleurs  vives dans l’air moite et puant. Au fond, les Noirs, entassés, parqués, une foule obscure et informe qui grouille et qui sue, des enfants, des cris, des piaillements, des voix fortes et rauques baignant dans la fumée lourde des cigares de mauvaise qualité.

 

Et au milieu de cette multitude sans visage, celle des ghettoisés, de ceux qui n’ont pas de place sur les pelouses vertes taillées à ras, dans les maisons blanches alignées le long des rues toutes droites, ou sur les plages de sable fin où il fait si bon se promener le dimanche, au milieu de cette foule hirsute et anarchique, deux hommes.

 

L’un, très jeune, est penché sur son cartable de cuir, concentré sur le papier qu’il est en train d’écrire. L’autre, un peu plus vieux , le crâne chauve dissimulé sous un large chapeau de paille, essaie de lire un livre, déconcentré chaque seconde par les mouches qui le harcèlent, le narguent en en déchirant sous son nez l’air moite du bus, et en se posant sur ses joues.

 

Non loin, deux enfants d’environ huit ans sont en train de jouer. Se poursuivant tout autour de la section réservée aux Noirs, glissant sous les banquettes de bois, se cognant contre les jambes des passagers, ils crient, rient,  sautent, tapent dans leurs mains, comme aurait ou le faire n’importe quel enfant dans n’importe quel endroit du monde.

 

Le jeune homme continue de travailler, appuyé sur son cartable, non sans jeter une ou deux fois un regard bienveillant mais légèrement réprobateur aux enfants. Son ami, quant à lui, montre de plus en plus de signes d’énervement. Il fait plus chaud, il sort son mouchoir poisseux et ôte son chapeau pour essuyer la sueur qui coule à grosses gouttes sur son front. Il soupire longuement.

 

Le bus roule sur une ornière, semble s’élever pour retomber dans un bruit sourd de tôle froissée et d’amortisseurs déjà vieux qui poussent leur dernier cri. Les enfants hurlent, les passagers rient. Un ou deux blancs se retournent, silencieux. Dans le choc, le jeune homme a perdu son stylo, il se penche pour le ramasser. L’un des deux enfants l’a pris, et s’amuse avec, le passe à l’autre qui semble être son frère, celui-ci s’enfuit en courant.

 

C’en est trop pour l’homme au chapeau. Il se lève, transpirant, et se dirige droit vers un homme, la tête entre les mains, qui semble être le père des enfants. Il marche d’un pas décidé, ses yeux noirs le dardent d’éclairs.

« Rappelez vos enfants ! Lui hurle-t-il, mon associé ne peut pas se concentrer sur le discours qu’il doit écrire avec des marmots si bruyants qui lui courent entre les jambes !

- Mille pardons, répond le père d’une voix calme et triste, permettez-moi de vous dire que nous rentrons de l’hôpital. La mère de mes enfants vient de mourir, et aujourd’hui – Juste aujourd’hui – Je n’ai pas le cœur de les réprimander. Pardonnez-moi, Monsieur, sincèrement… »

 

L’homme au chapeau, la gorge nouée, empli de remords, ne peut articuler un mot. Il serre la main du père avec empathie tout en baissant les yeux. Lorsqu’il regagne sa place près du jeune homme, les deux enfants, redevenus plus calmes, le regardent passer en silence.

 

L’homme au chapeau s’assied sans rien dire, de longues minutes s’écoulent dans un silence pesant. Le jeune homme, toujours concentré sur son discours, lève finalement les yeux vers son associé et lui demande : « Vous êtes bien silencieux, que vous a dit cet homme ? »

 

Et l’homme au chapeau lui raconte toute l’histoire. A la fin du récit, le jeune homme lève les yeux, un large sourire éclairant son visage.

« Cela sera donc une leçon pour toi, cher ami. N’oublie jamais qu’il est toujours bon d’essayer de deviner le chemin qu’un homme a dû parcourir afin d’arriver au point où tu t’apprêtes à le juger. »

 

Et le jeune homme part dans un grand éclat de rire.

 

Ce jeune homme, c’était Nelson Mandela.

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