[MÉCÉNAT CULTUREL] Le musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, oublié du mécénat ?
Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une rubrique mensuelle. À travers des chroniques étudiant quelques cas d'études de mécénat culturel, Bernard Hasquenoph retrace l'historique des relations entre de grandes marques, souvent du luxe, et les institutions culturelles françaises. Croisant les problématiques de la philanthropie, du marketing, de l'image, du financement, du parrainage... ses récits sont au coeur d'une spécificité bien française, celle du mécénat culturel traditionnel, devenu nécessaire et omniprésent, parfois sans le dire, dans les musées, établissements publics, opéras, théâtres... En ce mois d'avril, lumières sur le musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme dit le mahJ.
« Force est de constater que les entreprises sont réticentes, en France, à mécéner un musée comme le nôtre. »
Ainsi s’exprime dans une interview Paul Salmona, directeur du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme dit le mahJ. Et c’est vrai qu’à éplucher ses rapports d’activité, hormis le mécénat de compétence d'un cabinet d’avocats, on ne trouve pas trace de ces grands groupes qui savent se montrer si généreux d’un musée à l’autre. Le mahJ serait-il moins glamour ? Abrité dans l’hôtel particulier de Saint-Aignan, l’un des plus beaux du Marais, l'établissement ouvert en 1998 occupe une place à part dans le paysage muséal français. En premier lieu, par son statut hybride. Ni national, ni municipal, il est un peu les deux puisque, constitué en association, il est soutenu par le ministère de la Culture et la Ville de Paris qui lui versent à parts égales une subvention sans laquelle il ne pourrait vivre. Encore plus depuis les attentats où, « perçu comme un lieu plus sensible que d’autre » comme le note son directeur, sa fréquentation s’est effondrée de près d'un tiers en deux ans. Une situation critique qui l’a contraint à ouvrir désormais le samedi afin d’attirer un public plus large, jour fermé jusque là pour respecter le shabbat. Une décision pas seulement pragmatique mais aussi symbolique qui marque la volonté de s’affirmer davantage encore comme « un musée du judaïsme pour tous les publics » – titre du projet scientifique et culturel établi pour les dix ans à venir –, plutôt qu’un simple « musée juif ». Car c’est là toute son originalité. Ni communautaire – dimension peu goûtée chez nous –, ni confessionnel, le mahJ se définirait plutôt comme un musée de civilisation. Ses collections, riches de plus de 12 000 oeuvres dont certaines en dépôt de musées nationaux, présentent le judaïsme dans toute sa diversité, dont les deux mille ans de vie des communautés juives de France, partie intégrante de notre histoire. Quelles que soient ses difficultés, le mahJ reste un musée dynamique. Outre une programmation d’évènements qui attire un public nombreux dans son auditorium (disponible par ailleurs à la location), le musée propose des expositions reconnues pour leur qualité et leur exigence. Mais celles-ci auraient du mal à se monter sans le soutien d’organisations oeuvrant dans le champ du judaïsme comme la Fondation pour la Mémoire de la Shoah qui, gardienne des fonds en déshérence issus de la spoliation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale, finance des projets pour « transmettre l’héritage de la culture juive ». Est-ce cette identité marquée qui fait peur aux entreprises ? Après plusieurs tentatives infructueuses de recherche active menées en interne ou confiées à des agences spécialisées comme Optimus ou Publicis Dialog, Paul Salmona considère que :
« Mécéner un musée du judaïsme semble trop clivant pour des entreprises qui veulent toucher tous les publics. Une chef d’entreprise que je connais bien m’expliquait qu’elle ne voyait pas comment le justifier vis-à-vis de son conseil d’administration, de son personnel ou de ses clients, quel que soit l’intérêt qu’elle-même porte au mahJ. »
Et c’est fort dommage car le mahJ est avant tout un musée citoyen, comme le prouve son service éducatif qui mène une politique essentielle en direction des jeunes de tous âges. Pas seulement pour faire découvrir ses collections mais aussi et surtout pour amener à réfléchir à des notions comme l’interculturalité, à la nécessité du « vivre ensemble », sa mission s’inscrivant dans la lutte contre le racisme au sens large, l’antisémitisme n’en étant qu’une facette. C’est pour cela que ses équipes forment les enseignants pour leur permettre de lutter contre stéréotypes et préjugés, programme également proposé aux adolescents distingué par le Conseil international des musées (ICOM) et qui a fait l’objet en 2016 d’un partenariat avec la Fondation Lilian Thuram. Ainsi, sans grande publicité, le mahJ mène des actions conjointes avec d’autres institutions, des Archives nationales au musée de l’Histoire de l’immigration, de l’Institut du monde arabe au Collège des Bernardins. À l’heure où le mahJ aurait plus que jamais besoin de solidarité, l’absence du monde de l'entreprise a de quoi interroger. C’est d’autant plus injuste que l’une des racines historiques du mécénat moderne, chose que l’on oublie trop souvent, se trouve du côté des grandes dynasties juives qui émergèrent au 19e siècle. Leur extrême générosité ne relevait pas seulement de choix personnels et d’un élan patriotique mais répondait à une obligation naturelle dans la religion juive de redonner un peu de sa richesse, ce que l’on nomme en hébreu la « tsedaka ». Que seraient nos musées sans les multiples gestes philanthropiques des Rothschild, Cahen d'Anvers et autre Camondo ? La porte bien sûr toujours ouverte aux entreprises, le mahJ a décidé de porter ses efforts vers les particuliers. Mais même si les dons sont en constante progression, notamment via la fondation Pro mahj adossée au musée, ils ne représentent encore qu’une infime partie du budget. Après l’achat récent d’un fonds photo important - celui d’Helmar Lerski - dont un tiers du prix a été réuni grâce à une souscription publique mobilisant 330 personnes, une première pour le mahJ, les projets sont nombreux : un cercle des grands donateurs, une Amicale américaine... Reste à trouver avant 2020 les 10 millions d’euros nécessaires à la refonte totale du parcours permanent pour le rendre plus lisible. À bon entendeur, shalom ! PS : Nos remerciements à Paul Salmona, directeur du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et à Sandrine Adass de son service presse.
Crédit photo : Wikimedia