[SAGA MÉCÉNAT] Versailles sauvé des eaux
Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une saga estivale. À travers des chroniques étudiant quelques cas d'études Bernard Hasquenoph retrace quelques étapes-phares du fundraising : financement participatif, produit-partage, adoption de bancs... Retrouvez cette semaine son premier récit sur le mécénat participatif autour du crowdfunding.
L’un s’est-il inspiré de l’autre ? On a tous en mémoire l’appel radiophonique que l'abbé Pierre lança à l’hiver 1954 pour venir en aide aux sans-abri, et « l'insurrection de la bonté » qui s’en suivit, à savoir la récolte de 500 millions de francs de dons. En revanche, dans un registre patrimonial, qui se souvient que le même scénario se produisit deux ans plus tôt, étrangement jour pour jour, au profit du château de Versailles ?
En août 1951, sous la présidence socialiste de Vincent Auriol, le sénateur André Cornu est nommé au poste, vacant depuis un moment, de secrétaire d’État aux Beaux-Arts. Ancêtre de notre ministre de la Culture, il trouve sur son bureau un rapport concernant le domaine de Versailles. Aussi fou que cela puisse paraître aujourd’hui, ses responsables tentaient d’alerter les autorités depuis des années sur l’état de dégradation avancée de ce fleuron de l’art français. Après 1925 où le mécénat providentiel de l’américain John D. Rockefeller Junior avait permis d’entreprendre des travaux urgents, le château recevait le minimum pour pallier à son entretien. La Seconde Guerre mondiale n’arrangea rien : le manque de chauffage, le froid, des toitures endommagées, l’eau ruisselait de partout... Un plan d’action était prêt mais chiffré à cinq milliards de francs, soit le double du budget annuel des monuments gérés par l’Etat. Comment réunir une telle somme ? Pour sensibiliser l’opinion et faire pression sur les pouvoirs publics, les dirigeants du château se tournèrent de façon très moderne vers les médias. Sans succès malgré des reportages alarmistes. La donne changea avec André Cornu. « Je n’avais pas attendu d’être ministre des Beaux-Arts pour aimer Versailles, mais comme tout le monde, j’en ignorais les misères secrètes », écrira-t-il dans ses mémoires. Dès son arrivée, il en fit sa priorité. Saisissant l'occasion d'un nouvel incident - la Grande Galerie inondée ! -, le 24 novembre 1951 il y débarqua avec une délégation de politiques et journalistes. Le choc se produisit. « Honte nationale », « Il faut sauver Versailles ! »... Du journal communiste Libération aux Actualités françaises projetées dans les cinémas, tout le monde s’offusqua. C’est dans ce contexte que le 1er février 1952, André Cornu se rendit dans les studios de la Radiodiffusion française pour appeler à la solidarité. Jouant de la fibre patriotique, il annonça le lancement d’une souscription nationale placée sous le haut patronage du président de la République : « Versailles est un bien commun, sa sauvegarde sera l’oeuvre commune de tous les Français ! » Alternant émotion et pragmatisme, Cornu savait communiquer : « Si chacun y affectait l’argent d’un paquet de Gauloises, les cinq milliards seraient trouvés ». L’image fit mouche. Dès l’appel lancé, les dons affluèrent, de particuliers comme d’entreprises. Et de partout : de France, y compris des Colonies, comme de l’étranger. Pour gérer la campagne, un Comité national pour la sauvegarde du château de Versailles fut créé, relayé dans les départements. Préfigurant les lois sur le mécénat, les manifestations organisées pour recueillir les dons - et elles furent nombreuses - bénéficièrent d’exonérations fiscales. Afin d’assurer l’avenir de Versailles, différentes mesures furent adoptées pour générer des recettes de façon pérenne, jetant les bases d’une gestion moderne du domaine : multiplication des droits d’entrée, taxations, concessions, spectacle payant… Le gouvernement aussi enfin prit sa part, puisant dans la cagnotte de la loterie nationale. Au point qu’au final, boosté par l’engouement populaire, c’est l’État qui supporta l’essentiel des dépenses, les dons ne représentant que 9% des sommes engagées, soit 509 millions de francs. La « sauvegarde de Versailles » a-t-elle été la première opération de mécénat participatif en France ? Par son ampleur sans doute. Lancée sur un média populaire alors dominant, la radio, bénéficiant d’une infrastructure et d’une communication adaptées, elle généra aussi son lot de critiques. Ainsi peut-on lire dans un journal de l’époque : « C’est une honte pour le gouvernement que de faire appel à la charité publique et de puiser dans la poche des visiteurs pour sauver notre château... ». Et de dénoncer pêle-mêle l’argent dépensé pour les guerres, l’incurie de l’Etat concernant l’entretien des monuments historiques, le danger d’un désengagement, les barrières tarifaires... Des débats toujours d’actualité. Source : Églantine Pasquier, « André Cornu et la sauvegarde de Versailles », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles.