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Par Carenews INFO - Publié le 28 janvier 2020 - 10:39 - Mise à jour le 28 janvier 2020 - 15:44
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Sackler au Louvre, un mécénat empoisonné

L'auteur et journaliste Bernard Hasquenoph, fondateur du site Louvre pour tous, décrypte pour nous l'histoire des plus grandes fondations d'entreprises françaises et des financements des musées. Il consacre sa nouvelle chronique au Louvre. 

Crédit photo : PicsFactory.
Crédit photo : PicsFactory.

À l’époque, ce fut salué comme une innovation. À l’instar des pays anglo-saxons, le premier musée de France allait bénéficier d’un important mécénat privé pour le réaménagement d’une section du département des Antiquités orientales, dans le cadre du Grand Louvre. Une suite de salles pompeusement baptisée « aile » afin de recevoir le nom du donateur. « Voici le Louvre à l’américaine », annonçait le Journal des Arts en 1996. 

C’est Annie Caubet, la conservatrice chargée du département, qui avait déniché l’homme providentiel. Un événement marquant, se souviendra-t-elle : « J’ai écrit à tous les mécènes potentiels de ma connaissance, dont l’industriel américain Mortimer Sackler. Sa lettre reste une des plus belles surprises de ma carrière : il nous offrait le double de la somme que nous demandions ! ». Soit 10 millions de francs. Sans doute avait-elle en tête le don de Raymond, le frère, qui avait déjà permis en 1992 la restauration d’une stèle mésopotamienne. Elle connaissait, comme l’écrivait Le Monde, « les bienfaits de la famille Sackler » envers les musées. Une aile portait leur nom au Metropolitan Museum of Art (Met) de New York depuis 1978. Et la fondation Mortimer et Theresa Sackler avait fait des donations à la National Portrait Gallery et à la Tate Gallery de Londres.

La fondation Sackler distinguée par le ministère de la Culture

Au Louvre, « l’aile Sackler des Antiquités orientales » fut inaugurée le 10 octobre 1997. Grâce à un don « en témoignage d’admiration pour la France et sa culture », indiquait la plaque. Annie Caubet fit savoir ce qui avait motivé plus intimement le geste philanthropique : « Le docteur Sackler a fondé et dirigé plusieurs sociétés pharmaceutiques… et s’est montré très sensible au fait que les onze salles que nous allions ouvrir ne seraient pas accessibles aux handicapés. C’est cela, en grande partie, qui l’a convaincu de nous aider ». C’est à Mortimer Sackler que l’on doit donc les deux ascenseurs qui permettent d’accéder à cette partie du musée. Pour sa générosité qui profita aussi, en France, au musée des Arts décoratifs, sa fondation reçut en 2007 la distinction de Grand Mécène du ministère de la Culture.

Plus de deux décennies étaient passées depuis le don des Sackler au Louvre, les frères étaient décédés, quand le 1er juillet 2019, une banderole rouge sang fut déployée devant la pyramide pour demander que soit débaptisée l’aile au nom bien oublié. L’initiative en revenait au collectif PAIN (Prescription Addiction Intervention Now) créé en 2017 par la célèbre photographe américaine Nan Goldin (présente ce jour-là) pour dénoncer les ravages de l’OxyContin, médicament commercialisé depuis 1996 par la société Purdue Pharma, propriété des Sackler. 

Telle était l’origine de leur fortune estimée à 13 milliards de dollars. Cet antidouleur dérivé de l’opium, très addictif, avait conduit des dizaines de milliers de patients dans l’enfer de la drogue, pour beaucoup jusqu’à l’overdose. Il était le principal responsable aux États-Unis de la crise des opiacés, avec 2500 plaintes en justice. La firme pharmaceutique était accusée d’avoir écoulé sa marchandise mortifère en toute connaissance de cause, usant de méthodes commerciales agressives.

Nan Goldin était d’autant plus en colère, qu’elle-même victime du médicament, avait découvert que ses oeuvres étaient conservées dans des musées sponsorisés par les Sackler, comme au Guggenheim de New-York. En février 2019, elle fit partie de la petite foule qui envahit le musée, y dispersant de fausses ordonnances et s’allongeant au sol en un die-in. 

Des musées internationaux qui renoncèrent au mécénat des Sackler

Devant le scandale et sous la pression de ces performances qui se multiplièrent, plusieurs musées, aux États-Unis comme au Royaume-Uni, annoncèrent renoncer dès lors au mécénat des Sackler : le Guggenheim, le Met, la Tate Gallery, la National Portrait Gallery… Aucun, cependant, n’acceptait de débaptiser les espaces au nom des donateurs. Même refus du Victoria and Albert Museum de Londres ou du Musée juif de Berlin. Il y avait donc peu d’espoir pour le Louvre, qui avait juste fait savoir que l’établissement n’avait plus rien reçu de cette famille depuis 1997. 

Mais, le 16 juillet suivant, Jean-Luc Martinez, son président, fit cet aveux surprenant sur RTL : « Je nʼai pas voulu alimenter cette polémique mais vous savez ce nommage, comme on dit en utilisant ce mot affreux, date de 1993 (sic) et, dans notre pratique, ce nommage du Louvre dure 20 ans donc, en fait, je nʼai pas à débaptiser ces salles puisqu'elles ne portent plus le nom de Sackler ». Le lendemain, plusieurs personnes constatèrent qu’en effet la plaque commémorative, présente encore il y a peu, avait disparu. À d’autres endroits, « Aile Sackler » était piteusement masqué par du scotch !  La mention fut également effacée du site Internet. Ainsi se solda le premier mécénat moderne du Louvre.

Bernard Hasquenoph 

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