Solène Ducrétot : « Nous avons créé le premier festival écoféministe de France, Après la Pluie »
Solène Ducrétot, réalisatrice et journaliste engagée dans l’ESS, a cocréé le premier festival écoféministe de France, Après la Pluie. À quelques jours de la deuxième édition, elle nous a parlé de l’importance de faire connaître l’écoféminisme, et expliqué comment son association, les Engraineuses, s’y attelle malgré la pandémie de Covid-19.
Solène Ducrétot, réalisatrice et journaliste engagée, a fait plus de 300 films pour des ONG, fondations, associations et entreprises sociales. Alice Jehan est cheffe de projet dans l’économie sociale et solidaire. Ensemble, elles ont créé l’association Collectif Les Engraineuses en 2018, et monté l’année suivante le premier festival écoféministe de France, Après la Pluie.
Alors que vient de paraître le livre éponyme, dans lequel 60 intervenantes explorent l'actualité de l’écoféminisme en France, et que doit bientôt commencer la seconde édition, entièrement numérique, du festival Après la Pluie, Solène Ducrétot a répondu à nos questions.
- C’est quoi exactement, l’écoféminisme ? Pourquoi lier féminisme et écologie ?
Il s’agit d’un mouvement qui existe depuis les années 70, et qui a surtout pris dans les pays anglosaxons. Né au sein de la société civile, porté par les femmes, l’écoféminisme revendiquait à l’origine la fin de la guerre du Vietnam, s’opposait aux installations de centrales nucléaires, etc.
Aujourd’hui, il n’y pas un mais des écoféminismes. Le mouvement est très large, avec une multiplicité de branches et de sous-branches. On distingue toutefois deux courants majeurs. Il s’agit, tout d’abord, de l’écoféminisme matérialiste, qui s’attaque à des questions très pratiques pour défendre les droits des femmes face au changement climatique, faire en sorte qu’elles n’en soient pas victimes mais actrices. Ensuite, il y a la branche dite spirituelle, qui vise à remettre de la spiritualité dans nos vies afin qu’en tant qu’humain, nous prenions mieux soin de nous pour mieux prendre soin des autres et donc de la planète. Ce pont, avec tout l’héritage culturel des sorcières, fait la jonction entre le féminisme et l’écologie.
On estime en effet que le patriarcat constitue le même système d’oppression sur les femmes et la planète. C’est ce système d'oppression qui fait que l’écoféminisme constitue la porte d'entrée pour revoir complètement notre société et la réorganiser afin de créer un monde meilleur pour les femmes et la planète — et ce, en prenant en compte toutes les oppressions (racisme, lutte des classes…). Une phrase bien connue dans le milieu militant résume à mon sens parfaitement bien l’importance d’associer la cause écologiste au féminisme : « Qui voudrait une part égale d’un gâteau cancérigène ? »
- Comment est né le Collectif Les Engraineuses ?
Alice Jehan et moi travaillons toutes les deux dans l’ESS. Nous nous sommes rencontrées grâce à cet engagement commun alors qu’elle effectuait un service civique chez Générations Cobayes. C’est ainsi que notre amitié a commencé. Il y a trois ans, nous avons voulu nous impliquer pour les causes féministe et écologiste au-delà de nos métiers. Nous ne nous retrouvions toutefois pas dans les associations écologistes, dont les systèmes restaient assez patriarcaux, et la brique écologique manquait aux associations féministes.
Nous voulions trouver une façon d’avoir rapidement un impact tangible. Nous avons donc finalement décidé de créer notre propre association pour porter et partager nos valeurs écoféministes auprès du grand public. Le nom des Engraineuses fait référence au fait de semer des graines d’idées, et correspond à notre objectif d’impact et de rassemblement, de s’engrainer ensemble. Pour faire connaître l’écoféminisme, dont on parlait extrêmement peu à l’époque, nous avons décidé de créer le premier festival écoféministe de France, Après la Pluie.
- Quel bilan tirez-vous de ce festival, un an après cette première édition ?
On est ravies, on ne pensait pas avoir autant de succès ! Les directrices de La Cité Fertile, à Pantin (Seine-Saint-Denis), nous ayant donné carte blanche pour occuper les lieux toute une journée, nous avons commencé par revoir nos ambitions initiales à la hausse. Le résultat ? Plus d’une cinquantaine d’intervenantes, plusieurs scènes avec des conférences tout au long de la journée, des rencontres, des performances artistiques, des ateliers… Le bilan est plus que positif, puisque nous avons réuni 1 600 personnes, pour certaines venues de région, et n’avons eu que des bons retours. Plus d’une cinquantaine de bénévoles nous ont aidées, nous avons même dû en refuser !
La sensibilisation à la cause a depuis évolué. D’autres associations et festival écoféministes se sont créés, en région de surcroît. Nous constatons aussi que le public commence petit à petit à s’approprier la thématique. Nous comptons donc redoubler d’efforts, même si nous restons une structure bénévole, sans aucune salariée. Au quotidien, dans l’association, une dizaine de bénévoles nous aident pour notre communication, notre programmation et le montage de projets et d’événements.
- Justement, comment mobiliser en cette année particulièrement compliquée ?
Nous avons dû organiser la deuxième édition de notre festival, du 2 au 8 novembre, en ligne, comme toutes nos actions depuis février. Mais si nous perdons ainsi toute une dimension d’échanges et de création d’une solide communauté locale, nous gagnons en essaimage national. C’est dans le même objectif que nous avons publié notre livre Après La Pluie - Horizons écoféministes, pour toucher toute la francophonie. Aujourd’hui, pour creuser la question des écoféminismes, on a le choix entre des conférences en ligne souvent mal enregistrées ou d'énormes ouvrages écrits dans un style universitaire. Dans l’objectif de toucher le grand public, nous avons voulu notre livre ludique, coloré, composés de textes pas trop longs aux angles différents : articles de fond, interviews, tutos, photos, illustrations, poèmes… Autant de façons de montrer la diversité des thématiques autour des écoféminismes. La prochaine étape sera de créer du contenu audiovisuel, et de consolider la communauté francophone, notamment en créant des ponts avec le Canada, où les écoféminismes sont bien plus développés. Et, bien sûr, dès que cela sera à nouveau possible, nous réorganiserons des événements avec du public, comme des ateliers de street art écoféministe ou des performances artistiques.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau