Mesurer l’impact direct de sa fondation d’entreprise sur les associations soutenues et les salariés : l’exemple de la Fondation RTE
Il n’est pas évident de mesurer son impact pour une fondation distributrice et non opératrice, n’ayant pas un contact direct avec les bénéficiaires finaux. Mais certains effets peuvent être mesurés au niveau de ses parties prenantes, les associations soutenues notamment qui, elles, agissent sur les territoires. Quatre ans que la Fondation RTE, seule fondation exclusivement dédiée au monde rural, s’essaye à l’exercice de mesurer son impact direct. Un entretien-fleuve, tout en humilité, avec Élodie Rolland, adjointe à la déléguée générale de la Fondation, pour discuter des bonnes pratiques.
- Pouvez-vous présenter la Fondation RTE ?
La Fondation a été créée par RTE (Réseau de Transport d’Électricité) il y a 16 ans dans l’idée de prolonger, en dehors du cœur de métier de l’entreprise, son rôle d’aménageur du territoire et d’acteur de service public au service de l’intérêt général. À l’époque, et c’est toujours le cas, il n’y avait aucune fondation exclusivement dédiée au monde rural, et cela avait du sens de dédier la Fondation à cette cause-là le réseau électrique étant, lui aussi, dans les territoires ruraux. Nous avons distribué plus de 16 millions d’euros à plus de 645 projets partout en France, sur des thématiques très larges qui couvrent tous les champs de l’économie sociale et solidaire, et sont à l’image des enjeux qui traversent le monde rural. Nous parlons d’une dizaine de thématiques comme l’accès aux services, à la culture, le maintien dans l’habitat, l’éducation, l’insertion de tout public, les transitions… Grâce à cette approche, nous pouvons capter les signaux faibles et détecter très vite les innovations sociales qui émergent dans les territoires. Par exemple, nous accompagnons des nouvelles formes de partage et de lieux en collectif comme les tiers-lieux et les éco-lieux depuis déjà 7-8 ans.
- Quelle est l’origine de cette démarche de mesure d’impact social ?
Nous nous sommes intéressés assez tôt à la question de la mesure d’impact social. Le premier exercice a été réalisé en 2013 : c’en était une sans en être vraiment une. Nous étions sur l’observation des résultats de la Fondation plutôt que la mesure d’impact. Nous avons retenté l’exercice en 2015 en nous faisant accompagner par un cabinet spécialisé sur ces sujets. Avec le recul, nous pouvons dire que nous avons expérimenté tous les écueils à éviter : bâtir une usine à gaz avec des centaines d’indicateurs que nous n’avons pas réussi à exploiter par la suite comme nous le souhaitions, ne pas réussir à bien caractériser et harmoniser les données pour les rendre représentatives.
En 2020, nous avons refait une mesure d’impact. Nous avons été accompagnés par un cabinet en stratégie, Nuova Vista. Cela nous a permis de prendre de la hauteur et c’est à cette occasion que nous avons créé notre référentiel d’impact. Nous avons établi la théorie du changement de la Fondation avec nos parties prenantes et sur cette base, nous avons décidé, en 2023, de nous outiller avec Impact Track pour faciliter la collecte, avec une qualité de données meilleure. Cela nous a aussi permis de faciliter le monitoring, en fonction des parties prenantes auxquelles nous nous adressons. Nous avons pu gagner beaucoup de temps et affiner la théorie du changement, en nous rendant compte que certains indicateurs, qui étaient encore trop nombreux, n’étaient pas bien corrélés aux questions posées. Et enfin, cela nous a permis de nous inscrire dans la bonne temporalité entre les premiers effets et les impacts à long terme.
- Et vous avez décidé de vous concentrer sur l’impact direct de la Fondation…
Le parti pris sur la période 2019-2022 était d’aller identifier plus précisément l’impact de la Fondation sur les porteurs de projet et les salariés de l’entreprise RTE qui sont engagés à leurs côtés. D’un point de vue intellectuel, cela me semble clé de bien distinguer ce qui est attribuable à l’action de la Fondation via notre dotation, mais aussi les dispositifs proposés aux salariés de RTE, du reste. Nous n’avons qu’un effet indirect sur les bénéficiaires des associations.
- Pourquoi ce choix spécifique ?
Si nous devions aller mesurer l’impact sur les bénéficiaires, ce ne serait pas la même démarche. Il nous faudrait accompagner chacun des porteurs de projet pour qu’ils créent eux-mêmes leur référentiel et qu’on les outille pour qu’ils puissent aller collecter de la donnée. Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables d’outiller 40 projets par an. En revanche, nous savons qu’il y a certains impacts que nous visons à la Fondation qui ont des effets directs sur la structure. Ce qui nous intéresse aussi, c'est d’observer l’évolution des capacités de transformation des projets, les dynamiques partenariales à l’œuvre sur les territoires et la connaissance des porteurs de projet de leur écosystème, parce que ce sont aussi des critères de sélection de la Fondation.
- Comment vous êtes-vous organisés autour de ce projet ?
Nous nous sommes rapidement mis d’accord sur le fait que nous voulions un outil. Nous avons bénéficié de l’accompagnement Impact Track pour challenger notre théorie du changement et s’assurer qu’elle était toujours d’actualité. Nous avons enfin passé en revue notre référentiel d’impact pour nous assurer que tous ceux recherchés étaient bien pertinents et pilotables.
Nous avons pu aboutir à quelque chose de raisonnable et de satisfaisant. Nous avions des données fiables et exploitables pour communiquer derrière. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur ces deux parties prenantes, nos porteurs de projet et les salariés de RTE engagés, avec la perspective de communiquer pour les 15 ans de la Fondation.
Le travail itératif avec Impact Track était très enrichissant car cela nous a permis de nous décentrer des fichiers Excel. Nous avons réalisé une phase de test utilisateur afin de valider l’approcher, puis nous nous sommes lancés !
- Quel était le but recherché ?
Observer notre impact bien sûr, mais aussi identifier les leviers d’amélioration de l’action de la Fondation pour apporter également du grain à moudre à nos administrateurs. Sans nos porteurs de projet, nous n’avons aucune raison d’exister. Nous avions par ailleurs en perspective d’identifier des leviers pour renforcer l’engagement des salariés de RTE à nos côtés. Pour ce faire, la collecte qualitative a été très enrichissante. Elle nous a permis de penser de nouveaux dispositifs de soutien extra-financiers aux porteurs de projet et d’identifier les attentes des salariés pour penser la Fondation avec eux.
- Quels enseignements tirez-vous de vos premiers résultats de mesure d’impact ?
Cela nous a permis de valider des hypothèses de 2020. Tout le travail que nous menons en amont de l’instruction, avant que les projets soient présentés aux administrateurs, et après sur l’accompagnement que nous proposons, permet de transformer les dynamiques territoriales. Pour beaucoup de porteurs de projet, le fait d’être financé par la Fondation est un gage de qualité parce que nous sommes la seule fondation en France à accompagner les territoires ruraux. Cela leur permet de débloquer les premiers financements parce que nous sommes intervenus les premiers. C’est très satisfaisant de pouvoir percevoir l’utilité sociale de notre action au travers des témoignages collectés et des résultats observés.
Nous sommes très exigeants en phase de pré-instruction et d’instruction. Il en résulte très peu d’échecs parmi les projets financés. Nous essayons au maximum d’être auprès des porteurs de projet dès lors qu’ils rentrent dans notre communauté. C’est la force de la Fondation.
- Prévoyez-vous de faire une nouvelle mesure d’impact ?
Oui et c’est pour cela aussi que nous avons décidé ce partenariat avec Impact Track. L’idée était de pouvoir pérenniser ce travail et de continuer à observer les transformations. On grandit avec ces travaux. Peut-être qu’il y a encore des évolutions, des ajustements à apporter à notre référentiel. Probablement qu’il y a de nouveaux indicateurs à intégrer parce que nous évoluons et que nous allons vouloir aller chercher d’autres choses. Je vois la mesure d’impact comme quelque chose d’organique, qui n’est pas figée dans le marbre. La théorie du changement de 2020 peut encore être challengée parce que nous avons de nouvelles ambitions, de nouveaux moyens à notre disposition. Tout cela, dans le but d’ajuster notre rôle de philanthrope au service des acteurs des territoires ruraux.
- Vous êtes à un moment charnière, les 15 ans de la Fondation. Cela a-t-il soulevé de nouveaux objectifs pour la suite ?
Nous partons sur un nouveau quinquennat avec une nouvelle déléguée générale, Cécile Daclin, qui a pris ses fonctions il y a quelques semaines, et de nouvelles ambitions. Nous aimerions développer une nouvelle manière d’opérer avec un programme en propre pour lequel tout est à bâtir.
L’autre objectif est de renforcer la notoriété de la Fondation. Nous avons la chance d’être une structure experte de notre sujet et d’être assez innovants dans nos modalités d’accompagnement extra-financier. Nous souhaitons également poursuivre l’intégration des enjeux de la transition auprès de notre écosystème, raison pour laquelle la Fondation a rejoint le Mouvement Tilt en 2023. Et nous avons des travaux en cours avec nos partenaires sur les questions de lien social, le développement des capacités de coopération sur les territoires, et bien d’autres sujets encore. Nous avons de belles années devant nous !
- Avez-vous des conseils pour les fondations qui hésitent à se lancer dans une démarche de mesure d’impact direct ?
La première chose, c’est de ne pas avoir peur de se lancer dans une démarche de mesure d’impact social. Il faut prendre le temps de réfléchir à la nature de l’impact qu’on veut observer. On ne pourra jamais tout observer simultanément de manière satisfaisante, au risque de créer une usine à gaz et de ressentir, in fine, une très grande frustration au regard des moyens humains et financiers alloués. Le temps de réflexion et de consultation de ses administrateurs, de ses parties prenantes est très précieux, il ne faut pas le négliger. Cet exercice est également une occasion de dialoguer avec eux !
Il faut aussi savoir se limiter sur le nombre d’indicateurs et essayer d’être rationnel sur ce qui est pilotable. Et enfin, ne pas hésiter à s’outiller. Nous avons constaté que c’est très compliqué de transmettre des fichiers Excel quand les équipes côté porteurs de projet ou fondation changent et si la méthodologie n’a pas été posée en amont.