Aller au contenu principal
Par Lire pour en sortir - Publié le 10 avril 2017 - 15:45 - Mise à jour le 24 octobre 2017 - 10:20
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

[DANSLESMURS] Charlotte Dekoker, une écrivaine et vingt-cinq personnes détenues

On parle beaucoup de la génération Y comme de jeunes zappeurs égoïstes alors qu'ils sont en fait très libres de vivre leurs passions et qu'ils n'ont pas peur de les exprimer, fussent-elles en apparence très opposées. Charlotte Dekoker est de cette génération qui à 30 ans s'est dit qu'il était temps pour elle de montrer sa fantaisie franco-belge dans l'écriture. Jusque là elle avait animé avec enthousiasme le développement du mécénat en France en étant déléguée générale adjointe de l'association Admical - enthousiasme qui dans un milieu pas encore vraiment méga fun laissait déjà entrapercevoir sa singularité. Son écriture a donné lieu a un premier livre follement érudit et érudiment fou sur les expressions françaises, "Bière qui coule n'amasse pas mousse" publié en octobre 2016 aux éditions Digobar, et aussi à une chronique désopilante sur la radio belge RTBF dans l'émission "C'est presque sérieux". Lire pour en Sortir accompagner la réinsertion des personnes détenues par la lecture et offre non seulement des livres en prison mais y emmène également des auteurs. Qu'importent le sujet, l'auteur lui-même, c'est l'occasion qui crée les rencontres : c'est ainsi que Charlotte Dekoker est allée le 4 avril 2017 à la rencontre des lecteurs prisonniers de la maison d'arrêt et du centre de détention de Mont-de-Marsan. Elle nous le raconte ici...

[DANSLESMURS] Charlotte Dekoker, une écrivaine et vingt-cinq personnes détenues
[DANSLESMURS] Charlotte Dekoker, une écrivaine et vingt-cinq personnes détenues

"Mardi, je suis allée en prison. Enfin, en centre de détention. Enfin, dans un « lieu de privation de liberté », comme on dit quand on aime bien inventer des mots à la con pour désigner des situations à la con.

Oui, autant vous le dire tout de suite, il y aura un peu de parti-pris dans cet article.

Je me suis souvent demandé ce qu’on cherchait à faire en enfermant les gens. Je veux dire : je comprends bien la notion de punition, je comprends aussi le principe d’empêcher de recommencer. Je ne discute pas. Mais enfin, moi qui suis plutôt d’humeur égale, apte au respect de l’étiquette en toute société, ne cachant pas un goût certain pour le raffinement, eh bien… Je dois dire que ça me foutrait sacrément les glandes de me retrouver cloîtrée entre quatre murs. Ca me rendrait peut-être même un peu vilaine, voyez ? Donc à ce niveau-là, mon avis, c’est qu’on résout moyennement le défi de produire des citoyens modèles si on ne fait QUE enfermer les gens.

Ca, c’est un chouette discours. Progressiste et tout. Plutôt valorisant pour celui qui le tient, dans certains cercles. Et puis, ça anime un peu le déjeuner du dimanche si on ne sait plus quoi dire quand papy a fini de chanter « Félicie aussi ».

Jusqu’au jour où, comme ça, ma copine Sophie me dit « Hey, tu ne viendrais pas parler de ton bouquin en prison ? ». Et moi de répondre « Hey, cool ! » (oui, dans la vraie vie je parle comme ça). Ce sera un peu plus rock’n roll que le Salon du livre.

Après, j’ai réfléchi. De quoi parle mon livre, déjà ? Ah oui, il n’y a pas vraiment d’histoire, c’est un gros délire absurde sur les expressions françaises qui fait rigoler les intellos et les adeptes du surréalisme belge. Et puis, j’aime bien parler de sexe, aussi.

-    Allo, Sophie ? Tu as lu le livre, tu es sûre ?

-    Oui oui.

-    Ah, ok.

Je crois que ma confiance en moi a atteint un seuil négatif lorsque je me suis retrouvée assise sur ma petite chaise face à vingt-cinq détenus. Quand, après avoir lu un extrait, j’ai entendu un tonitruant « J’ai rien compris ! », je me suis vraiment demandé si j’étais à ma place. Et puis nous avons parlé. Pendant deux heures. Après les premières minutes où nous nous jaugions mutuellement, quelque chose s’est passé. J’ai senti qu’il suffisait d’être sincère, plutôt que de réfléchir démesurément avant de prononcer une phrase, de peur qu’elle soit trop ci ou trop ça.

J’ai été singulièrement frappée par la qualité de l’écoute, par le respect à mon égard et par la pertinence des remarques, questions et interventions de mon auditoire. Sans doute parce que j’avais, malgré tout, quelques a priori. Mais surtout parce que je n’ai jamais eu d’échange aussi authentique et intéressant sur mon imaginaire. Je le confesse : pour un auteur, discuter avec vingt-cinq personnes qui essaient de comprendre votre univers, c’est le kif intégral. Et puis, je crois que j’ai été un peu utile. Peut-être seulement un tout petit peu, mais bon sang, qu’est-ce que ça fait du bien !"

Charlotte Dekoker

(Ancienne déléguée générale adjointe de l'association ADMICAL pour le développement du mécénat, elle vient de publier "Bière qui coule n'amasse pas mousse" aux éditions Digobar. Franco-belge Charlotte Dekoker est également chroniqueuse dans l'émission C'est presque sérieux sur RTBF)

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer