Le virage domiciliaire se concrétise, mais il nécessite des investissements collectifs
Face au vieillissement de la population et au souhait des personnes âgées de vieillir à domicile, Valérie Levacher, Directrice du Pôle Accompagnement de VYV 3, propose, dans cet article une note de constat et de positionnement sur comment relever le défi du bien-vieillir.
 
                                Les constats sur le bien-vieillir à domicile
Le vieillissement de la population française constitue un défi majeur et structurel, qui impose une transformation profonde de notre système d’accompagnement. D’ici 2030, ce sont environ 20 000 personnes dépendantes supplémentaires par an qu’il faudra accompagner, un chiffre qui grimpera jusqu’à 40 000 par an après cette échéance*.
Dans ce contexte, la question de leur lieu de vie devient centrale, d’autant plus que plus de 85 % des personnes concernées expriment une volonté claire : vieillir à domicile. Cette aspiration croissante intervient alors même que le modèle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) traverse une crise multidimensionnelle, témoignant de ses limites non pas dans sa vocation, mais dans sa capacité à absorber les besoins croissants. De nombreux établissements souffrent de déséquilibres financiers persistants : en 2023, les deux tiers des Ehpad étaient déficitaires, un phénomène accentué par l’augmentation des coûts (rénovation, transition énergétique, recours à l’intérim…) et la baisse du pouvoir d’achat des personnes et des familles, qui limite toute marge de manœuvre tarifaire. Les difficultés de recrutement, la fragilisation du lien avec les collectivités locales et une entrée toujours plus tardive des personnes en Ehpad contribuent également à une remise en question structurelle du modèle. Face à ces limites, le virage domiciliaire* est non seulement une nécessité mais doit devenir une priorité collective d’investissement.
Il est indispensable de repenser et d’améliorer l’accompagnement des personnes âgées à domicile. Pour y parvenir, réformer l’écosystème actuel, encore trop cloisonné, est impératif. La création d’un guichet unique* pour l’usager, mais avec un modèle souple pour les acteurs, afin de centraliser les démarches administratives et améliorer la communication entre les différents intervenants, est aujourd’hui essentielle pour assurer un parcours de soin fluide et cohérent.
Les défis et solutions pour mieux accompagner les personnes âgées
Au-delà de la simplification administrative, l’un des piliers essentiels de ce virage repose sur une personnalisation accrue des services. Les personnes âgées, de plus en plus nombreuses, ont des besoins extrêmement variés, qu’il s’agisse de leur état de santé, leur autonomie, environnement ou rythme de vie. Il est donc indispensable de sortir d’un modèle standardisé pour apporter des réponses adaptées à la situation de chacun. Cela signifie, par exemple, des interventions plus longues pour certains, ou des horaires différents pour d’autres. Cela implique aussi de renforcer les compétences des équipes sur le terrain en matière d’écoute et d’observation, tout en s’appuyant sur les technologies d’aide tels que les objets connectés pour mieux comprendre et anticiper les besoins des usagers.
Un deuxième levier essentiel concerne la coordination entre les différents professionnels. Aujourd’hui, vieillir à domicile revient souvent à évoluer dans un système morcelé, dans lequel les familles se perdent face aux multiples interlocuteurs : aides-soignants, kinésithérapeutes, médecins, infirmiers, aides à domicile… Ce manque de continuité dans les soins peut amener à des ruptures de prises en charge, notamment lors de sorties d’hospitalisation. Dans une véritable logique de parcours, cela passe notamment par la construction de partenariats solides avec les hôpitaux afin d’organiser les sorties en amont, un lien renforcé avec les médecins généralistes et les soignants de ville et l’usage d’outils numériques partagés facilitant la coordination des interventions. L'Equipe Prête à Partir "Relai", portée par VYV Domicile en Bourgogne, en partenariat avec l'UNA, est une bonne illustration de ce qui se développe en ce sens.
Enfin, rien de tout cela ne sera possible sans une mobilisation forte autour des métiers du domicile. Face à une pénurie historique de main-d’œuvre, il devient urgent de rendre ces professions plus attractives, en proposant des conditions d’emploi davantage en adéquation avec les aspirations des professionnels (salaires équitables, sécurité de l’emploi, possibilités d’évolutions et conditions de travail favorables). Une aide à domicile peut évoluer vers des postes d’assistante technique ou de responsable de secteur, voire vers un métier d’aide-soignante grâce à des formations diplômantes et qualifiantes. Les outils numériques ou les innovations technologiques ont aussi un rôle à jouer : ils améliorent la communication entre les intervenants, contribuant ainsi à réduire l’isolement professionnel.
A quand une loi de programmation pluriannuelle ?
Mais ce virage comporte aussi des écueils. Tout d’abord, il ne pourra pas concerner toutes les personnes âgées car certaines situations complexes telles que les pathologies lourdes, l’isolement social ou un habitat inadapté nécessitent encore un accueil en établissement. De plus, vieillir à domicile peut signifier dans un domicile adapté (résidence services, habitat inclusif), et non nécessairement dans le logement historique. Il est donc essentiel d’adapter l’habitat ou d’envisager des formes alternatives d’hébergement, plus souples, et de soutenir concrètement celles qui se développent déjà. Enfin, si la réforme en cours visant à créer de nouveaux Services Autonomie à Domicile est louable dans ses intentions de faciliter le parcours des usagers, elle présente en revanche plusieurs risques dans ses modalités d’application. En voulant fusionner, dans une même structure, les services de soins infirmiers et d’aide à domicile, on risque de de fragiliser l’équilibre économique de la filière, de démobiliser les professionnels et finalement de desservir la qualité de l’accompagnement plutôt que de l’améliorer. Imposer un guichet unique pour l’usager ne passe pas forcément par l’imposition d’une structure juridique unique.
S’il convient de se féliciter des avancées apportées pour les droits des personnes âgées de la loi Bien Vieillir adoptée le 19 mars 2024 à l’Assemblée nationale, une loi de programmation pluriannuelle, telle que prévue dans la loi de 2024, donnerait une réelle impulsion politique à même de relever le défi du vieillissement. Elle serait porteuse d’une transformation en profondeur du secteur de l’accompagnement des personnes âgées, avec une priorisation forte d’investissements sur le virage domiciliaire afin de soutenir le développement des acteurs au plus près du terrain, et dans la durée. Sans une action ambitieuse, la France se retrouvera face à une crise démographique et sociale sans précédent, dont les conséquences seront impossibles à combler à terme.
*Selon les chiffres de la DRESS
*On entend par virage domiciliaire, le fait de maintenir à domicile des personnes âgées, en opposition à l’accueil en établissement.
*La notion de guichet unique recouvre la simplification des démarches administratives et le soutien à domicile via un service dédié aux personnes âgées et à leurs familles.
