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Par Aux captifs, la libération - Publié le 27 août 2021 - 11:22 - Mise à jour le 30 août 2021 - 17:26
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Interview de Bertrand Galichon, médecin urgentiste

Le docteur Bertrand Galichon est responsable adjoint des urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris. C’est grâce à sa grande contribution que le projet Maquéro de l’association Aux captifs, la libération (tournées-rue pour les malades psy) a pu voir le jour.

Bertrand Galichon
Bertrand Galichon

 

En tant que médecin, quand un malade arrive aux urgences, sur quoi se porte votre attention ?

Il me paraît fondamental de distinguer soin et traitement. En ayant traité la raison de la venue d’un malade aux urgences, on a fait qu’une partie du chemin du soin. En effet, le malade accueilli aux urgences est avant tout une histoire. Il nous faut comme médecins pour un soin ajusté tout d’abord écouter cette histoire. Il est essentiel d’écouter l’anamnèse de l’évènement qui amène le malade. De quoi sa vie est-elle constituée ? Quelles sont les tensions qui la traversent ? Quelles sont les raisons d’inquiétude, d’espérance ? Le malade vient poser son sac pour que nous l’aidions à le ranger, l’épurer pour pouvoir le porter à nouveau. Le malade et son histoire sont uniques. Ils forment une unité. Le malade vient nous la confier car blessée. C’est bien elle, cette dignité ontologique qu’il nous faut panser, remettre en perspective. Le malade quel qu’il soit se pose toujours la question du pourquoi. Mais très vite arrive celle du pronostic qui cache celle du « pour quoi » faire, donc celle du sens dans toutes les acceptations du terme. Le malade devient le patient quand il aura intégré cet événement dans sa biographie, dans son histoire. Le soin a pour objet de rendre au patient sa liberté, sa responsabilité.

« Le malade accueilli aux urgences est avant tout une histoire. »

Le projet Maquéro de l’association a vu le jour en grande partie grâce à votre aide. Comment accueillez-vous les malades psy aux urgences ?

La toute première équipe de Maquéro est arrivée dans mon bureau les mains nues par un après-midi à une période où le service était en grand souffrance. Beaucoup des soignants, des médecins perdaient le sens de leur engagement professionnel en particulier la nuit. Les hommes et les événements y ont une couleur différente. Les services de secours nous amènent plus souvent qu’à leur tour les mêmes « gueules cassées », sans nom et donc sans histoire. Si nus, perdus dans leurs vapeurs d’alcool ou de toxiques, aucun élément de leur histoire pour se raccrocher. À peine dégrisés, ils repartaient… L’équipe de Maquéro nous présente le projet avec un maître-mot, ces hommes et ces femmes ont une histoire. Et la maladie est le prétexte pour une prise en charge plus avant. Le soin est la raison d’une nouvelle altérité et pour certains un regard renouvelé sur eux-mêmes. Se pardonner est le début de la guérison… Cette visite a tout changé… Cette équipe en accompagnant ces êtres humains ont rapidement changé notre regard. La « piche », le « tox », le « psy » avaient du coup un prénom, un nom puis une histoire. Ils sont autre chose que leur maladie. Aller vers l’autre même cabossé devenait possible. Le traitement, le soin ont pu commencer à être possibles… Les soignants se sont trouvés soignés en retrouvant leur raison d’être, le pourquoi de leur engagement. Certains sont restés enfermés dans leur blouse… Néanmoins, Maquéro mais aussi l’ensemble des « Captifs » nous montrent que la dignité de ces hommes et ces femmes est masquée par un indicible. Ne serait-il pas pour certains de ces invisibles une ultime protection, un ultime rempart contre le monde extérieur ?

Vous êtes médecin et catholique… comment alliez-vous soins et spiritualité ? 

Je n’ai jamais cherché à soigner le visage du Christ. Peut-être aurai-je la chance d’entrevoir une part de sa vérité dans le soin porté à l’autre. La relation à l’autre, l’inconnu, est première. Faut-il soigner le corps pour libérer l’âme ou la spiritualité de l’autre ? Ou faut-il considérer la digne indisponibilité de sa spiritualité pour traiter et soigner son corps ? Je ne sais pas. Mais la grande leçon que les urgences de Lariboisière m’ont donnée est de considérer l’autre comme aussi aimable que moi aux yeux du Père. Croire en ce mystère est comme l’injonction de nous mettre à hauteur d’hommes, ou plus encore, de cœurs. Perdre ce repère c’est prendre le risque de ne plus être disponible, libre, de passer à côté de l’autre, ne pas entendre son histoire, ne pas respecter sa liberté ou lui rendre sa responsabilité. Ma liberté ne commence-t-elle pas avec celle de l’autre ? L’autre ne peut être instrumentalisé pour ma foi.

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