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Par Baroudeurs de l'Espoir - Publié le 15 février 2022 - 08:00 - Mise à jour le 16 mars 2022 - 14:33
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Un hiver en Syrie 

Un triste anniversaire se dessine en Syrie : celui des 11 ans d’une guerre ayant entraîné la pire crise humanitaire du XXI° siècle. L’ampleur des destructions est inimaginable et une nouvelle guerre a commencé, qui mine le moral de toute une population. Le pays est exsangue et plus de 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Dans ce contexte, voici le témoignage de Diane, déléguée générale des Baroudeurs de l’Espoir, suite à sa présence pendant 8 semaines sur le terrain.

Illustration par Mathieu de Muizon
Illustration par Mathieu de Muizon

C’est l’hiver, une des saisons les plus dures au Proche-Orient. Alors que nous avons l’habitude en France d’appartements chauffés, de lumière en continu, d’eau chaude, d’un frigo qui fonctionne, de facilité d’accès aux soins ou aux médicaments, d’animations dans nos villes ou nos quartiers, en Syrie, la vie est tout autre.

Pas de chauffage, des maisons gelées, des médicaments inabordables, pas d'accès aux soins, pas d’essence, des enfants qui arrivent à l’école le ventre vide et qui mangent le soir une galette de pain avec du concentré de tomates.

L’électricité ? Une à deux heures par jour, au maximum

On m’avait prévenue : “Ne t’attends pas à voir des illuminations pendant ces fêtes de fin d’année, nous n’avons plus d’électricité.”

En moyenne, il y a deux heures d’électricité chaque jour mais qui arrivent, la plupart du temps, en pleine nuit ! Il n’est donc pas rare d’entendre vers les 4h du matin la vie qui reprend. On va brancher la machine à laver, un chauffage, le hammam (pour avoir de l’eau chaude pour se laver), et accessoirement le frigo pour tenter de maintenir une chaîne du froid qui n’a de chaîne que le nom. Alors, c’est une rengaine que l’on apprend vite : “Le courant est revenu ?” “Il est revenu ?“. “Combien d’heures as-tu eues aujourd’hui ?“ 

Je n’ai jamais autant apprécié dans ma vie que ce moment en Syrie où le courant revient, reçu comme un cadeau de Noël sous le sapin, annonciateur d’un peu de chaud, d’une douche à venir et de lumière qui clignote. Avec ce système, on découvre également le métier “d’apporteur de lumière” : ce chouette job qui consiste à déambuler dans les rues et à remonter les différents disjoncteurs qui sont à l’extérieur ! On évite ainsi souvent à des personnes âgées de devoir descendre et remonter plusieurs fois par jour 7 à 8 étages.

Compteur électrique
Compteur électrique

 

Par - 4 °, se chauffer à la lumière d’une bougie

Sentir le froid qui transperce les os. S’entendre dire que les températures sont les mêmes qu’en France. Expliquer que le ressenti est totalement différent. Froid dehors et froid dedans. - 4 à l’extérieur, - 4 à l’intérieur. Sans électricité, bien sûr, pas de chauffage. Les poêles à mazout ou à bois sont déjà un luxe. Les alimenter en matière première est un défi sans précédent. Cet hiver, une première distribution de 50 litres de mazout par famille a eu lieu. 6 à 7 heures dans le froid, dans une file d’attente de plusieurs centaines de mètres, pour venir récupérer sa ration. Jeune ou moins jeune, le temps d’attente est le même. 50 L de mazout, c’est très peu. Si on allume un poêle dans la maison, en continu jour et nuit, ça permet de tenir moins d’une semaine. Comment imaginer tenir 4 mois dans le froid mordant de l’hiver ?

Beaucoup de familles ont donc pris l’habitude de brûler des tissus et des sacs en plastique, ou de se réchauffer autour de bougies, quand les températures sont négatives et que le froid s’engouffre dans les maisons éventrées, aux vitres rafistolées avec du scotch et du papier bulle.

Cuisson des galettes au feu de bois pour pallier les pénuries de gaz
Cuisson des galettes au feu de bois pour pallier les pénuries de gaz

 

Des prix qui ne cessent de grimper, une population littéralement asphyxiée

Les prix peuvent désormais augmenter de 50 % d’un jour à l’autre. Même les produits courants deviennent chaque semaine encore plus inabordables. L’équivalent du salaire minimum est de 20€ aujourd’hui en Syrie. Un sachet journalier de galettes de pain pour une famille coûte 60 centimes par jour soit 18€ par mois, un kilo de viande rouge coûte 7€. Pour qu’une famille syrienne puisse vivre modestement (*), il faudrait qu’elle gagne au moins 250€, soit plus de 10 fois ce qu’elle est en mesure de gagner aujourd’hui. La nouvelle de l’exclusion de 600 000 familles d’un programme d’aide sociale (permettant aux plus pauvres de bénéficier de produits de base comme le riz, l’huile, le sucre) à l’aide de la carte « intelligente » s’est répandue comme traînée de poudre, en ce début d’année 2022. Lentement, la population syrienne se retrouve asphyxiée. Dans les rues, les visages sont jaunis et fatigués, les regards sont tristes et désemparés.

(*) Par vivre modestement, nous avons pris l’exemple d’une famille syrienne qui a un logement,  de la lumière, qui peut utiliser soit le frigo soit la machine à laver, qui a de l'eau chaude de temps en temps, qui mange de la viande une fois par semaine, qui se chauffe quand il fait extrêmement froid (et non en continu).

Un suivi médical ou une opération, un luxe que très peu peuvent s’offrir

Alors que 50% des structures de santé ont été détruites et que 70% des professionnels de santé ont quitté le pays, se soigner est désormais devenu un luxe et non plus un droit. L’accès à un médecin, un dentiste, un gynécologue, n’est plus possible pour la majorité des Syriens. La survie à une opération tient désormais pour eux à des millions de livres  (monnaie locale syrienne) que l’on parviendra à réunir en un minimum de temps ; auprès des proches, auprès des associations humanitaires ou auprès des institutions religieuses. La solidarité ne fait jamais défaut, mais elle a besoin de caisses pleines… et elles sont vides.

On est informé des décès aux affichages de faire-part dans le quartier, aux publications sur les réseaux sociaux ou à la voiture mortuaire qui vient chercher le défunt, au son d’une musique lancinante qui dure de longues minutes, avant de faire quelques tours de ville avec la famille. Il est donc courant d’entendre : “il est parti d’une crise cardiaque”. 

Quand on ne peut plus être soigné, on tient pourtant encore à nommer les choses. 

C’est dans ce désert médical que j’ai appris au mois de janvier qu’une maman venait d’accoucher et que son bébé nécessitait une opération médicale que la famille ne pouvait régler. L’opération devait être réalisée au mois de février. Quelques jours plus tard, l’état du bébé empirait soudainement à l’hôpital et le médecin annonçait à la famille qu’il ne pourrait pas le sauver. Dans nos pays, le nouveau-né aurait été placé en assistance médicale pour lui permettre de partir doucement et la famille aurait pu l’accompagner dans ce deuil périnatal. Dans un pays où l’on manque de tout, la réalité est bien différente : l'hôpital a demandé à la famille de reprendre le bébé qui agonisait. Il est mort dans les bras de son oncle, 24 heures plus tard, la maman s’étant effondrée.

C’est dans ce désert médical également que j’ai assisté à une opération des dents de sagesse. Nous sommes en début d’après-midi et dans la pièce exiguë du dentiste et de son assistante se tiennent une patiente, sa mère et ses amies qui se relaient pour la soutenir ! Au bout d’une demi-heure, le courant saute ! L’assistante se met à prier à haute-voix, le médecin s’éponge le front et me demande d’allumer la torche de mon téléphone portable pour éclairer la bouche de l’adolescente. Deux heures plus tard, l’opération est terminée. J’ai l’impression d’avoir assisté à une scène de boucherie. Je me raisonne en me disant que ce n’est qu’une opération des dents de sagesse, dans un pays qui a connu bien pire que cela. Mais je ne peux m’empêcher d’admirer le courage de cette jeune qui a tenu bon pendant l’opération dans ces conditions et de penser, une fois de plus, à ce confort et cette chance incroyable que nous avons en France de pouvoir avoir accès à des soins dans des cabinets dentaires propres et équipés.

L’accès à l’école ? Une génération sacrifiée

Alors que 2,5 millions d'enfants sont déscolarisés et que 1,6 million d’enfants sont au bord de quitter les bancs de l'école, ce n’est plus un  risque prévisionnel mais une situation avérée.

Houssein n’a pas plus de 5 ans, je le croise tous les matins dans les rues d’Alep. Lorsque je lui demande son âge, il me répond du tac au tac : “j’ai 10 ans.” Il a un métier : vendeur ambulant, et un regard à la fois triste et déterminé. La rue lui a appris à ne pas se laisser faire. Il se tient là, dans le froid, immobile, toute la journée. Il ne joue pas, il ne mange pas. Comme un enfant sur deux en Syrie, il ne va pas à l’école. Comme 9 enfants sur 10 aujourd’hui en Syrie, il vit dans une extrême pauvreté. 

Comme les soins médicaux, comme l’accès à l’électricité, comme un logement (la liste est longue….), l’accès à l’école est désormais une chance que l’on tente de saisir ! 

Pour les chanceux qui vont à l’école, réussir sa scolarité comme chaque pas que l’on fait dans une journée reste un défi. En janvier, tous les établissements ont fermé leurs portes pendant plusieurs jours. Comment chauffer les élèves avec le froid qui s’est installé ? L’année précédente, c’était la pénurie d'essence qui obligeait à fermer les écoles pendant plusieurs semaines, aucun ramassage scolaire ne pouvant être effectué. Il faut être courageux et motivé pour se rendre sur les bancs de l’école, sans électricité, sans beaucoup de chauffage, avec des enseignants qui tentent de trouver un semblant de motivation, avec un salaire de 80 000 livres (moins de 20€).

 

Houssein, Syrie
Houssein

 

Survivre à l’hiver 

C’est le début du mois de février. Les premiers rayons de soleil chaud sont revenus. Quand on entre dans l’hiver, la survie commence. Entrevoir la fin de cette période a quelque chose de réconfortant, dans ce marasme absolu. Dans la voiture qui me ramène à la frontière libanaise, me reviennent en mémoire les mots d’Abdel : “Imagine le pire pays au monde et maintenant dis-toi que c’est bien pire ici.” Et ceux d’Odette: “Tu t’endors un soir, tu as 18 ans, dans la fleur de l’âge et tu te  réveilles un matin avec dix ans de ta vie qui sont partis en fumée”. Ce matin, Odette m’a avoué avoir fait une danse de la joie : pour célébrer le soleil et la fin de l’hiver.

Diane Antakli.

Pour en savoir plus sur l’ONG Baroudeurs de l’Espoir : https://linktr.ee/bdle

 

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