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Par Carenews INFO - Publié le 22 février 2024 - 17:58 - Mise à jour le 22 février 2024 - 18:19 - Ecrit par : Célia Szymczak
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À Mayotte, les associations dénoncent des problèmes durables

Pour les associations, la suppression du droit du sol annoncée par le ministre de l’Intérieur ne mettra pas fin à des problèmes structurels.

Une crise multiple est en cours à Mayotte . Crédits : iStock.
Une crise multiple est en cours à Mayotte . Crédits : iStock.

 

Depuis le 22 janvier, le collectif citoyen Forces vives bloque Mayotte pour s’opposer à l’insécurité qui sévit dans le département. En déplacement sur l’île le 11 février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé son intention de mettre fin au droit du sol à Mayotte : les enfants nés sur l’île n’auront plus automatiquement droit à la nationalité française à leurs 18 ans, à condition qu’ils résident toujours sur le territoire français et y aient résidé pendant une certaine période. 48 % de la population de Mayotte était de nationalité étrangère en 2017, selon l’Insee. Une situation que l’organisme de statistique attribue à « l’immigration importante depuis les Comores et [au] départ des natifs de Mayotte vers l’extérieur ».

Pour autant, « c’est absurde » de penser que les crises que traversent l’île sont liées à l’immigration, estime Daniel Gros, référent local de la Ligue des droits de l’homme. « On croit que si on réussit à se débarrasser des étrangers, le problème sera résolu, au lieu de développer cette île », constate-t-il. Selon lui, « tout se passe comme si la France voulait maintenir Mayotte dans un état de misère et de pauvreté ».

 

Six logements sur dix sans confort sanitaire

 

La situation du département est en effet alarmante. 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, soit cinq fois plus que dans l’Hexagone. Le coût de la vie y est supérieur de 10 %. Et pourtant, certaines prestations sociales sont inférieures dans ce département que sur le reste du territoire. 

« C’est le département français qui dégage le moins de richesse, même une fois rapporté au nombre d’habitants », peut-on lire sur le site de l’Insee, en raison du tissu économique « encore très informel ». 34 % de la population active était au chômage au deuxième trimestre de 2022, toujours selon l’Insee. 29 % des logements n’ont pas d’eau courante, six logements sur dix sont dépourvus du confort sanitaire de base et un sur dix de l’électricité. Pour faire face à cette situation, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé la destruction de logements insalubres et le relogement des familles à partir d’avril dernier, dans le cadre de l’opération Wuanbushu.

Daniel Gros dénonce une « politique qui ne consiste qu’à détruire les maisons des pauvres sans les reloger ». Les « “relogements” promis, malgré le développement récent de logements sociaux sur le territoire (...) s’avèrent en grande majorité des solutions d’hébergement provisoires souvent inadaptées à la réalité quotidienne des familles, notamment en termes d’éloignement des lieux de scolarisation des enfants », confirment La Cimade, Médecins du monde, la Fondation Abbé Pierre et le Secours catholique dans une tribune publiée le 24 juin 2023 dans le journal Le Monde. 

 

Peu de perspectives pour les jeunes 

 

Cette opération, dont un deuxième volet a été annoncé par le ministre lors de sa visite récente, a aussi vocation à multiplier les opérations de sécurisation de l’île en renforçant la présence des forces de l’ordre. « L’État se focalise sur une réponse répressive vaine et préjudiciable ; sans formuler de réponses globales suffisantes face à l’ensemble des besoins pourtant criants », dénonce La Cimade dans un communiqué contestant Wuanbushu. « On dit “la justice n’est pas assez sévère”, j’ai plutôt le sentiment qu’il faut dire “éduquons nos enfants” », déclare Daniel Gros. « Notre gouvernement fabrique des lois complètement rétrogrades qui empêchent aux gens de s’épanouir », fustige-t-il. 

Dans un rapport publié en 2021, une mission d’information mandatée par la commission des lois du Sénat « fait le constat d’une violence qui semble trouver sa source dans le contexte d’oisiveté et le manque de perspectives offerts à la jeunesse mahoraise » - « au-delà d’une délinquance de subsistance, dont la prévalence ne peut surprendre au regard des conditions socio-économiques ». En 2017, 32 % des personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaire détiennent un diplôme qualifiant, contre 72 % dans l’Hexagone. 

Dans le communiqué cité plus haut, La Cimade dénonce aussi des « défaillances structurelles du service public pour favoriser l’accès aux soins et à l’éducation ». Daniel Gros décrit également le déficit de personnel dans les centres de soins. « Avec toute cette insécurité - qui est réelle -, les gens s’en vont, les médecins ne veulent pas vivre à Mayotte », regrette-t-il.

 

Une crise hydrique durable

 

En plus de ces problématiques, Mayotte traverse depuis mars 2023 une « crise hydrique exceptionnelle, due à un déficit structurel de production d’eau, conjugué à une très forte croissance démographique, et (...) à une sécheresse historique », selon les termes d’une décision rendue par le Conseil d’État en décembre dernier. Celle-ci faisait suite à la mobilisation des associations Notre affaire à tous et Mayotte a soif, ainsi que de 15 Mahorais requérants. 

Le Conseil d’État reconnaît que « cette situation a des conséquences extrêmement lourdes pour la population en termes notamment de conditions de vie et d’hygiène, de scolarisation des enfants ou d’exposition à des risques sanitaires ». Mais il rejette la requête de l’association, qui demandait le déclenchement du plan Orsec, un plan d’urgence destiné à répondre aux crises graves, estimant qu’il ne serait pas mieux adapté pour répondre à la situation. 

« Personnellement, depuis longtemps, je ne bois plus l’eau du robinet. Même en la filtrant, j’avais mal au ventre quand je la buvais », explique le secrétaire général de Mayotte à soif, Nicolas Salvador. Il ajoute que les barrages actuels rendent l’approvisionnement en eau « très compliqué ».

Des distributions de bouteilles d’eau sont organisées deux fois par semaine. Les habitants ont droit à un litre d’eau par jour chacun, ce qui est insuffisant. « Il faudrait 100 litres d’eau par personne et par jour », précise Nicolas Salvador. L'association demande des « chèques eau » financés par l’État, pour permettre aux personnes qui ne peuvent pas se rendre aux distributions d’en acheter, notamment s’ils travaillent pendant les distributions. L’eau est par ailleurs coupée 24 heures tous les trois jours. En décembre, c’était 54 heures de coupure d’eau par semaine. Le prix des bouteilles d’eau est plafonné à 1,40 euro par bouteille de 1,5 litre. « C’est trop élevé », estime Nicolas Salvador. 

La situation s’améliore et les mesures prendront fin le 29 février. Nicolas Salvador estime qu’elles auraient pu perdurer jusqu’en avril. Surtout, l’association demande des mesures « structurelles et non sporadiques ». « La première crise de l’eau a eu lieu en 2016, on n’a rien fait depuis », regrette Daniel Gros.

 

Célia Szymczak 

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