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Par Carenews INFO - Publié le 27 janvier 2023 - 15:00 - Mise à jour le 27 janvier 2023 - 16:04
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Actes militants contre les œuvres d’art : « Ces jeunes sont des lanceurs d’alerte » , Alice Audouin d’Art of Change 21

En fin d’année, les musées ont été éprouvés par de nombreuses actions menées par des militants écologistes à l’encontre d’œuvres d’art. Pour Carenews, Alice Audouin, présidente d’Art of Change 21, une association mêlant art et enjeux environnementaux, revient sur cette forme de désobéissance civile.

Crédit photo : iStock.
Crédit photo : iStock.

 

La Joconde de Léonard de Vinci entartée, les Tournesols de Van Gogh recouvert de soupe à la tomate ou les Meules de Monet de purée… Ce fut une fin d’année mouvementée pour le secteur de la culture. Le lien en l’art et le climat a été remis en question par une série d’actions menées par des militants écologistes dans divers musées européens. Des images qui ont fait le tour du monde, notamment sur les réseaux sociaux, et qui n’avaient qu’un seul objectif : dénoncer l’inaction climatique. 

« Qu’est-ce qui est le plus important ? Ce tableau ? Ou notre avenir ? » ont dénoncé les membres du collectif Just Stop Oil en se collant la main sur une œuvre de Vincent Van Gogh à la Courtauld Gallery à Londres. « Est-ce qu’il faut lancer de la purée sur un tableau pour que vous nous écoutiez ? », ont alerté à leur tour les militants du mouvement Last Generation durant leur action au musée Barberini en Allemagne.

Pour ou contre ? Difficile d’avoir un avis tranché. Alice Audouin est la fondatrice d’Art of Change 21, une association créée en 2014 qui relie l’art et les enjeux environnementaux. Elle a accepté de répondre aux questions de Carenews. 

Art et militantisme : un phénomène ancien

  • Comment avez-vous réagi la première fois ?

Je suis depuis 20 ans les actions de désobéissance civile et les lanceurs d'alerte sur le climat et l’environnement. Je ne suis pas une activiste de terrain moi-même, mais je baigne dans cette culture de militantisme depuis des années et j'ai vu la montée progressive de nombreuses initiatives comme Extinction Rebellion. Au-delà du fait que ces militants s’en prennent à l’art, ces jeunes se sentent surtout dans une impasse.

J’ai une forme d'empathie et de compréhension vis-à-vis du geste, à la fois désespéré et d'alerte, nourri par le désespoir et beaucoup de conscience. Je partage la peur et la lassitude de ces jeunes activistes qui ont le sentiment que rien n'avance ou en tout cas pas de manière conséquente à la hauteur des enjeux.

 

  • Cette forme d’activisme a-t-elle évolué ?

La désobéissance civile est ancienne et normale quand une société dysfonctionne. On l'a vu prendre une forme plus créative avec le phénomène d'Extinction Rebellion, mais cet activisme environnemental existe dans l'art depuis très longtemps. En 2004, j’avais organisé un colloque à l’Unesco où intervenait Platform London qui était déjà à l’époque un collectif d’artistes activistes pro-climat qui organisait des interventions contre les banques...

Les interventions liées au climat dans un musée n'ont rien de nouveau. Avant, ces mobilisations étaient dirigées davantage contre leurs mécènes, comme celle du collectif Liberate Tate contre le géant pétrolier BP, la maison de ventes suédoise Bukowski avait également fait l'objet d'une intervention du fait de son propriétaire, Lundi Mining, ou encore Le Louvre, du fait de TotalEnergies

Ce qui est particulier en France est que nous n’avons pas l’habitude de cette forme d’activisme. Dans les milieux anglo-saxons, elles existent déjà depuis longtemps. En 2016, j’ai signé à Londres, au nom de mon association Art of Change 21, la charte Fossil Funds Free destinée aux acteurs culturels. En la signant, j’engageais mon association à refuser tout sponsor issu des énergies fossiles et j’étais alors la première association culturelle française à la signer. Le boycott du pétrole est plus ancré dans le secteur culturel outre-Manche.

Un activisme qui divise

  • Comprenez-vous que certaines personnes soient contre ces actions ?

Je comprends très bien les arguments de ceux qui sont « contre ». Il est impossible de ne pas être nuancé. Certains sont en colère, y compris parmi les écologistes, car ils considèrent que ces activistes donnent une image extrême, un visage radical et presque terroriste de l’écologie. D’autres affirment que cela pourrait renforcer les règles de sécurité des musées, augmenter le prix d’entrée et donc restreindre l’accès à la culture. Enfin, toucher à l’art peut paraître un sacrilège. 

 

  • Et selon vous, pourquoi les militants se tournent vers l'art ? Est-ce un moyen d’occuper l’espace médiatique ?

Ce qui est intéressant, ce sont les œuvres visées. Selon moi, ils s’en prennent à des œuvres symboliques de la nature et ils y déversent des liquides industriels. Je fais une métaphore extrêmement rapide, mais c'est un peu comme s’ils déversaient le symbole du capitalisme écocide sur la nature, comme si le monde actuel détruisait le monde d'avant. 

Ce sont des lanceurs d’alerte, une génération qui passe à l’action et utilise l’impact médiatique comme moyen, aucun de ces activistes n’agit par ego ou vise la notoriété, ils sont en retrait vis-à-vis de leur cause. 

 

  • Certains musées, comme celui d’Orsay, ont porté plainte à la suite de ces actions. Le comprenez-vous ?

Oui, même si je trouve que ce n’est pas la bonne réponse. N’oublions pas que ces actions sont faites contre des vitres. Je suis persuadée que ces activistes n’auraient pas lancé un produit pouvant endommager réellement un chef-d'œuvre. Il n’y a aucune intention de détérioration de l’œuvre, et par ailleurs, on sait que les peintures à l’huile se lavent très bien à l’eau et au savon !

 

  • L’un de leur slogan, en Angleterre notamment, est : « Qu'est-ce qui est le plus important, ce tableau ou notre avenir ? » Pensez-vous que c’est le bon message ?

Oui, c’est le bon message, même si je ne dirais pas avenir mais « la vie sur terre ». 

Toucher à la culture, c'est compliqué parce qu’il peut y avoir des analogies avec d'autres contextes historiques, comme à l’époque fasciste ou communiste. Il y a toujours la crainte de l’instrumentalisation. La culture est perçue comme une liberté à laquelle il ne faut pas toucher, mais ce que je comprends de leur action, c’est qu’ils posent justement un regard critique sur cela, une peinture est aussi un bien marchand dont le prix reflète ce à quoi une société accorde de la valeur. Et ils ont parfaitement raison d’utiliser ce parallèle, un tableau a une valeur considérable, mais le maintien des conditions de vie sur terre semble ne rien valoir ! 

Des actions à la hauteur des enjeux environnementaux ?

  • Est-il juste de parler de vandalisme ?

En utilisant le mot vandalisme, on qualifie immédiatement cette action avant tout comme hors-la-loi, ce n’est qu’une de ses facettes. Dire que c’est du vandalisme désigne un agresseur et une victime. Mais qui agresse qui dans notre monde ? Le déni, l’inaction sont des formes d’agression. TotalEnergies ne fait-elle pas du vandalisme en Ouganda avec EACOP, ne va-t-elle pas jeter du pétrole sur une nature préservée ? 

 

  • La radicalisation des jeunes activistes va-t-elle aller crescendo au vu de l'urgence climatique ?

Rappelons que la jeunesse agit depuis très peu de temps. Il n’y a pas si longtemps, en 2015 lors de la COP, il y avait très peu de jeunes en France qui se mobilisaient pour le climat, une petite poignée de super diplômés de Climates ! Et là, au moins, elle arrive la jeunesse ! Je les ai tellement attendus ! Ils sont enfin là ! Pour moi, c'est une joie de les voir enfin s’emparer du sujet, même si c’est parfois avec maladresse. Le pire serait d’avoir une jeunesse indifférente !

De plus en plus de jeunes sont impliqués. C’est comme une courbe de Gauss. En augmentant en volume, il va y avoir des extrêmes, des ermites qui vont se retirer du monde, vivre de manière totalement décarbonée par une forme de soustraction. D'autres vont être davantage dans l’activisme, voire la violence. Mais ce qu'il faut voir, ce ne sont pas les extrêmes, c'est le milieu, c'est-à-dire le nombre croissant de jeunes concernés et c’est très positif.

Quel rôle pour les musées ?

  • Justement, n’y aurait-il pas un tournant à prendre pour les musées afin qu’ils se rapprochent de cette jeunesse ? Que pourrait-on imaginer ?

Je collabore avec le secteur de la culture, notamment sur leur transition écologique. La plupart des musées et institutions culturelles ne se saisit pas suffisamment de l’enjeu culturel de la transition écologique, ne fait pas assez le lien avec leurs collections qui regorgent pourtant d’œuvres, d’idées et de valeurs « pré-pétrole », « pré-anthropocène ». Le plus souvent, ils prennent l’écologie sous l’angle de la réduction de leurs impacts environnementaux, déchets, consommation d’énergie, ce qui est bien, mais ils oublient ce qui est pourtant leur force, l’imaginaire et la culture. Les musées doivent contribuer au débat sur la crise climatique sur un plan culturel. Il est temps de voir ce que les collections et expositions peuvent apporter à un monde en forte mutation. La crise climatique oblige les institutions culturelles à repenser leur fonction et elle est même une formidable opportunité pour la renforcer. 

Les musées devraient être leaders du débat culturel dans une période de grande mutation. Comment la société civile s'exprime-t-elle au sein de leurs établissements ? Quelle est sa place ? Comment co-agir avec elle ? Si ce qu’ils qualifient de vandalisme est la seule relation entre eux et une jeunesse engagée, c’est un échec. D’autres types de relations bien plus constructives peuvent et doivent exister. 

 

  • Pensez-vous que si le milieu de la culture était plus engagé dans la transition écologique, les activistes seraient plus respectueux et s’en prendraient moins à l'art dans leurs actions ?

Bien sûr ! Il faut incarner le monde d’avant pour être une cible. Si les musées n'étaient pas vus comme conservateurs, liés à une représentation d'un monde caduque pour cette jeunesse-là, ils seraient moins attaqués. 

 

La rédaction 

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